Les Bretons et l’islam en 1917

De par sa situation géographique, la Bretagne occupe pendant la Première Guerre mondiale une position véritablement stratégique qui en fait, en quelque sorte, l’une des principales – avec Marseille – portes d’entrée vers le front Ouest. Ce sont ainsi des Britanniques mais également des Canadiens, des Américains ou encore des Portugais qui transitent par la Péninsule armoricaine en route pour Verdun, la Somme ou encore le Chemin des Dames. Il en résulte des contacts plus ou moins prolongés et aboutissant, comme souvent en semblable occasion, à des rapports plus ou moins cordiaux entre la population bretonne et ces hommes venus parfois de très loin.

La place de la Liberté à Brest, avant-guerre. Carte postale. Collection particulière.

Deux articles publiés au début de l’été 1917, l’un dans la Dépêche de Brest, l’autre dans l’Ouest-Eclair, donnent à ce propos un bon aperçu de la nature de ces relations1. A chaque fois il y est question du ramadan chez des mobilisés en provenance de l’Empire colonial français. A Brest, il s’agit de kabyles regroupés dans un camp situé place de la Liberté. A Rennes, ce sont des Algériens, des Tunisiens et des Marocains, rassemblés au cantonnement de Verdun, au sud-ouest de la ville. Tous sont des travailleurs coloniaux et sont installés dans des locaux de fortune situés en lisière de la ville : hors les murs Vauban en ce qui concerne Brest, dans une sorte de friche industrielle de l’arsenal où ils sont employés pour Rennes.

Dans les deux articles, le ramadan est abordé de manière festive, ce qui ne manque pas d’interpeller lorsqu’on compare ce propos avec le traitement journalistique actuel du jeûne des musulmans, bien plus souvent associé à une période de tensions. Pour la Dépêche de Brest, l’ouverture du Ramadan est ainsi l’occasion d’une « vraie fête […] durant laquelle on se livre aux plaisirs les plus divers, qui viennent compenser en partie le rationnement sévère auquel se soumettent volontairement les fils de Mahomet ».

Bien évidemment, il convient de ne pas se méprendre sur le traitement éditorial qui est effectué en 1917 par ces deux journaux bretons. Ces travailleurs coloniaux sont avant tout perçus par l’intermédiaire du prisme folklorique et les fêtes dont il s’agit ressemblent en réalité plus à des expositions coloniales miniatures destinées à divertir les populations bretonnes qu’autre chose. Ainsi, L’Ouest-Eclair se réjouit des « talents divers et exotiques » qui sont déployés pour l’occasion et ne manque pas d’insister sur 0les « tambourins et hautbois arabes » qui, ce jour-là, résonnent dans le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine.

L'arsenal de Rennes, où sont employés les travailleurs coloniaux dont il est question dans L'Ouest-Eclair. Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, ce qui frappe ici c’est que tant dans L’Ouest-Eclair que dans La Dépêche de Brest, le ramadan est présenté comme étant « le carême des musulmans ». Une définition qui contraste singulièrement avec le jeûne que l’on emploie aujourd’hui, expression censément plus neutre mais qui masque trop souvent des sentiments mêlés de condescendance et de crainte. Or, en 1917, malgré l’iniquité fondamentale du système colonial,  on ne peut s’empêcher de remarquer que l’emploi de la formule « carême des musulmans » place de facto sur un pied d’égalité le catholicisme et l’islam.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Le Ramadan fêté place de la Liberté », La Dépêche de Brest, n°11641, 18 juin 1917, p. 2 et « Fête chez les travailleurs coloniaux », L’Ouest-Eclair, n°6468, 22 juillet 1917, p. 3.