Les monuments de René Quillivic

En 1922, dans les colonnes de la Bretagne touristique, Jean Sannier publie un article richement illustré dans lequel il insiste sur la potentialité touristique des monuments aux morts1. L’affirmation peut surprendre tant, dans leur majorité, les édifices inaugurés à cette époque sont produits en série, ayant dès lors un faible intérêt artistique. Mais l’auteur justifie son propos en énumérant une liste de réalisations locales qu’il juge emblématiques. Parmi ces œuvres, celles de René Quillivic se trouvent en bonne place.

Carte postale. Collection particulière.

René Quillivic naît le 13 mai 1879 à Plouhinec dans le Finistère. Fils de pêcheur, il fait le choix d’embrasser une toute autre carrière que celle de son père. Devenu menuisier-charpentier, il quitte la Bretagne pour effectuer le Tour de France des Compagnons du Devoir. En 1900, son périple lui permet d’être embauché sur le chantier de la prochaine Exposition Universelle. A Paris, il se découvre une véritable passion pour la création artistique. Mais il ne parvient pas à intégrer l'Ecole des Beaux-Arts, échouant au concours d’entrée. Toutefois, le sculpteur Antonin Mercié accepte de lui ouvrir les portes de son atelier en tant qu’élève supplémentaire. R. Quillivic reçoit en outre une bourse du Conseil général du Finistère grâce aux recommandations du député finistérien Georges Le Bail, convaincu par le talent du jeune artiste. Son intuition s’avère juste puisque René Quillivic est plusieurs fois récompensé avant 1914 pour ses sculptures et ses gravures.

La Grande Guerre offre de nouvelles opportunités à sa carrière. En 1917, la femme d’Henri de Polignac, maire de Pont-Scorff (Morbihan), décide de rendre hommage à son défunt mari, mort au combat le 25 septembre 1915 près d'Auberive (Haute-Marne)2. Elle fait appel à l'architecte finistérien Charles Chaussepied qui lui conseille alors de travailler avec René Quillivic. Ce dernier réalise en septembre 1917 le croquis d’un monument s’inspirant des calvaires traditionnels bretons. L’édifice, initialement prévu pour l’ancien maire, est inauguré deux ans plus tard en hommage à tous les morts de la commune.

Le monument de Pont-Scorff, et celui de Saint-Pol-du-Léon inauguré la même année, constituent un véritable tournant dans la carrière de René Quillivic. Il réalise en tout 22 monuments mortuaires dont 17 se situent dans le Finistère, selon le recensement effectué par Sylvie Blottière3. Sa réalisation la plus célèbre est très certainement celle de Plozévet, inaugurée le 12 septembre 1922. Adossé à un menhir, un vieil homme porte son chapeau dans la main droite, et de l’autre main, serre une croix de guerre qu’il pose sur la poitrine. Le monument prend une symbolique d’autant plus forte qu’il représente un paysan du village, Sébastien Le Gouill, endeuillé par la perte de ses trois fils ainsi que de l’un de ses gendres. Pour René Guillevic, ce monument représente aussi une certaine forme d’accomplissement puisqu’il est réalisé à la demande du maire Georges Le Bail, celui qui lui avait permis de se lancer à Paris.

L’artiste est de nouveau sollicité après la Seconde Guerre mondiale. Il réalise ainsi en 1950 le second monument de Plozévet, représentant cette fois une femme, une bigoudène. De manière plus emblématique, il se voit confier l’exécution du monument dédié aux Forces Françaises Libres à l’île de Sein. Le 7 septembre 1960, il est inauguré par le président de la République, Charles de Gaulle.

Carte postale. Collection particulière.

Mais il serait injuste de résumer la carrière de R. Quillivic aux monuments aux morts. Son talent créatif est reconnu par ses contemporains, et ce sur de nombreux supports. En 1930 l'écrivain Charles Chassé le compare même à Gauguin :

« Quillivic n'est pas seulement  sculpteur ; il est aussi un de nos meilleurs graveurs sur bois, un de nos plus éminents céramistes, et je viens de voir de lui une série nouvelle de tableaux qui vont, je le croix, le classer parmi les meilleurs de nos peintres. Cette variété d'aptitudes […] évoque le souvenir d'un Gauguin désireux et capable de s'exprimer indifféremment par toutes les techniques. »4

René Quillivic meurt en 1969 à Paris, à l’âge de 89 ans. Il laisse derrière lui un fils, René, également sculpteur et graveur réputé, mais dont l’œuvre est essentiellement consacrée à la réalisation de timbres-poste.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 SANNIER, Jean, « Aux Bretons morts pour la France », La Bretagne touristique, n°8, 15 novembre 1922, p. 11-17.

2 Arch. dép. du Morbihan, 2 O 179/1530, croquis du monument aux morts, septembre 1917.

3 BLOTTIERE, Sylvie, « Monuments aux morts de René Quillivic », Arts de l'Ouest. Etudes et documents, 1983, p. 81-101.

4 CHASSE, Charles, « René Quillivic », L'Art et les artistes : revue mensuelle d'art ancien et moderne, 1930, p. 79.