Mort-Homme, 14 mars 1916 : un bataillon du 270e RI submergé par les vagues d’assaut allemandes 
   									    « Les abris de 1e ligne ont été défoncés et les tranchées bouleversées » : tel est le constat que dressent, au soir du 14 mars 1916, les JMO du 270e RI, le régiment de réserve mobilisé à Vitré qui, depuis l’été 1915, fait brigade –  la 38e – avec son régiment frère, le 70e RI.  « Beaucoup de tués, cadavres déchiquetés, beaucoup d’hommes enterrés par  l’explosion des projectiles » indique pour sa part le journal du service de santé du régiment, même si la plupart « ont pu se dégager sans autres  accidents que des contusions multiples ». Les pertes n’en sont pas moins à la hauteur de l’intensité du bombardement de l’artillerie allemande ce jour-là. 
   									    
   									      
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   									        | Cadavre gisant sur le champ de bataille (1916). BDIC: VAL 195/080. | 
								           
								         
   									     En quelques heures en effet, le 270e perd plus d’hommes qu’il n’en avait encore jamais perdu depuis le début de la guerre.   
   									    Parmi les premiers à Verdun 
   									    La présence de la 38e BI et, au-delà, de la 19e DI à Verdun ne doit rien au hasard1. En  effet, en Argonne depuis le mois d’août 1915, la division a déjà été  momentanément mise à la disposition du 7e corps d’armée, tout  proche, par le 10e CA courant janvier 1916 : les soldats  doivent en effet participer à des travaux de renforcement des lignes de défense  de la région fortifiée de Verdun (RFV). Cantonnés en arrière du front, dans la  région de Dombasle, à mi-chemin entre la forêt d’Argonne et Verdun, les troupes  de la 38e alternent ainsi exercices ou manœuvres – le 14 janvier par  exemple, une manœuvre de la brigade entière qui doit prendre une ferme et un  bois, le 13 février suivant un exercice des seuls cadres des deux régiments et  de l’AD19 dirigé par le général de division en personne etc. – et travaux divers dans le secteur de la 29e DI  qui tient les premières lignes. Du 20 janvier au 6 février, ils sont ainsi chargés de « l’organisation d’une 2e ligne de défense en  arrière du front » dans le secteur de Chattancourt, au pied des crêtes du  Mort-Homme et de la cote 304. Ces travaux défensifs terminés, ce sont les  exercices qui reprennent à l’arrière-front, « des exercices de bataillon, l’état des cultures ne permettant pas la manœuvre d’unités plus fortes » dans  le secteur de Sivry-sur-Ante et Ante où sont cantonnées les deux unités2. 
   									    Dès le déclenchement de l’attaque  allemande, le 21 février 1916, les deux brigades de la 19e DI sont  alertées. La 37e est mise à la disposition du 7e CA tandis que la 38e se rapproche du Verdun et vient cantonner autour de Sainte-Menehould : elle subit d’ailleurs, à cette occasion, ses premières pertes liées à la bataille de Verdun même si elle en est encore éloignée, « 4 tués et 3 blessés par bombes d’avion »3. Le 24, elle est mise à la disposition de la RFV et en particulier du groupement  Bazelaire dont elle forme la réserve : elle rejoint à nouveau Dombasle en  automobile, puis les bois entre Récicourt et Avocourt avant de glisser quelques  kilomètres à l’est, à Sivry-la-Perche, en mesure de renforcer telle ou telle  partie du front si le secteur du Mort-Homme était attaqué. 
   									    Là, plusieurs jours durant, la  brigade fournit « la moitié de son effectif de travailleurs aux travaux de  fortification de la ligne des Bois Bourrus », avant d’occuper « la 3e  position du sous-secteur Est », formée par les forts et ouvrages établis  là dès le temps de paix4. Les  troupes des 70e et 270e RI, complétées par quatre  compagnies de territoriaux, se répartissent le long d’un front courant des  Bois-Bourrus à Charny. Relevés par le 72e territorial le 8 mars, les  soldats des deux régiments vitréens s’approchent un peu plus des lignes dès le  lendemain.   
   									    De la 3e à la 1e ligne dans le  secteur du Mort-Homme 
   									    La montée en ligne des 70e et 270e n’est en effet que progressive, ainsi que le laisse  indirectement au moins saisir les JMO du second de ces régiments : ceux du 70e RI n’ont en effet pas été conservés pour cette période. Au 270e, depuis les sept victimes du bombardement de l’aviation allemande le 22 février,  plus un mort, plus un blessé jusqu’au 6 mars : ce jour là, c’est un blessé  – sans qu’on en connaisse les causes d’ailleurs –, deux le 7, deux le 8 à  nouveau. Le 9 mars, un officier, le capitaine Aubry, venu du 41e RI  début janvier, commandant depuis la 18e compagnie, est touché ainsi que deux autres combattants qui, seuls, sont évacués. Le 10 en revanche, ce  sont cinq morts et cinq blessés, puis, du 11 au 13, des pertes qui, sans  atteindre ce niveau, indiquent que le régiment est désormais à portée du feu  allemand : un tué, une vingtaine de blessés, deux disparus. 
   									    
   									      
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   									        | Le 270e RI dans le secteur de Verdun. Carte: Yann Lagadec. | 
								           
								         
   									     En fait, en charge de la 3e  position le 6, les bataillons des 70e et 270e ont d’abord  glissé vers la 2e position le 8, certaines unités – les 11e et 12e compagnies du 70e, les 20e et 24e du 270e – étant à la disposition du colonel commandant la 1e position dès le 9. Le 12 ou le 13 encore cependant, seules quelques compagnies sont en première ligne : il s’agit du bataillon Laporte, une unité de circonstance formée des 17e, 18e et 19e compagnies du 270e, de la 9e compagnie du 70e et d’une compagnie de mitrailleuses du 270e, aux ordres du capitaine Lamy. En position à la cote 275 le 12, le bataillon relève, la nuit suivante, sur  la cote 265 au sud de Bethincourt, des éléments du 111e RI. Ce régiment de la 29e DI, en première ligne dans ce secteur avant même  le 21 février, a depuis subi des jours (et des nuits) de bombardements incessants : certaines compagnies tenaient les mêmes positions depuis fin  janvier lorsqu’elles sont relevées, exténuées5. Ce sont d’ailleurs des « éléments » du 111e RI que l’on  remplace en ligne : l’expression laisse entendre que bataillons, compagnies, sections ne correspondent plus à la moindre réalité concrète à  cette date6.  
   									     Il faut en effet, depuis  plusieurs jours, faire face à une offensive allemande dans ce secteur, dans le cadre de la « bataille des ailes » qui s’ouvre alors : ne  pouvant percer directement vers Verdun, les Allemands tentent de progresser à  l’est et, surtout, à l’ouest de la ville, sur la rive gauche de la Meuse, tout  particulièrement entre Cumières et Avocourt. Les troupes françaises y sont  pourtant solidement implantées, appuyant la défense sur les croupes de la cote 304 et du Mort-Homme. L’attaque a été déclenchée le 6 mars et progresse depuis,  notamment par les bois de Cumières et des Corbeaux, afin de tourner les  positions du Mort-Homme dont les Allemands occupent les pentes nord le 10 mars.    
   									    C’est dans ce secteur que le  bataillon Laporte est donc engagé.  
   									    Sous les bombardements de Verdun 
   									    A l’instar des JMO des unités qui les ont précédé – et qui les suivront – ici, c’est l’intensité du matraquage de l’artillerie allemande qui frappe, au premier chef, les soldats des 70e et 270e RI. Les JMO du second régiment parlent, pour le 14 mars,  « d’un bombardement d’une violence inouïe », d’un « bombardement  des plus intenses par obus de gros calibres sur la 1e ligne, et  par obus lacrymogènes dans les vallons au niveau des réserves »7. Si  ces obus à gaz semblent sans effet direct – « aucune indisposition par les gaz. Beaucoup d’hommes n’ont mis que les lunettes [de protection] et ont ainsi  été protégés » note un médecin du 270e RI8 –, il  n’en va pas de même des obus de gros calibres : « les abris de 1e ligne ont été défoncés et les tranchées bouleversées » indique un  officier. Un médecin évoque « beaucoup de tués », des « cadavres  déchiquetés », « beaucoup d’hommes enterrés par l’explosion des  projectiles ».  
   									    
   									      
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   									        | Pendant un bombardement. Collection particulière. | 
								           
								         
   									     Depuis le 21 février, l’on assiste en effet sans doute à un changement d’échelle en matière de  bombardement, pour le moins du côté allemand : il est vrai que, jusqu’alors, depuis la stabilisation du front à l’automne 1914, les troupes du Reich se sont principalement contentées  d’actions défensives sur le front français. En revanche, les descriptions faites des préparations d’artillerie françaises lors des offensives d’Artois en  mai 1915 ou de Champagne en septembre de la même année laissent entendre que  les soldats des 70e et 270e subissent à Verdun ce que les  Allemands ont encaissés quelques mois plus tôt. Avec des effets assez proches  sans doute, inversion des « rôles » mise à part.   
   									    Un tiers du 270e RI capturé… 
   									    En effet, dans les descriptions faites  de la sanglante offensive en Artois le 9 mai 1915, notamment dans les secteurs  où l’artillerie lourde a pu matraquer les premières lignes ennemies, la prise  de possession par les premières vagues se fait sans opposition majeure. C’est  le maintien dans ces premières lignes et la progression vers les lignes  suivantes qui s’avère souvent coûteuse en vies humaines, d’autant que les  vagues suivantes subissent alors le tir de barrage ennemi.  
   									     A Verdun ce 14 mars, le bombardement  est tel que les tranchées tenues par bataillon Laporte ont été nivelées :  « le terrain » est « entièrement retourné » indiquent les  JMO9. Comme souvent au cours de la bataille, c’est donc sur une succession de trous d’obus que les survivants tentent de s’organiser face aux troupes allemandes  qui, ensuite, selon les secteurs, déferlent ou s’infiltrent entre les positions  françaises, contournant les maigres défenses. Les soldats des 70e et  270e RI ont en effet été littéralement assommés ; « aveuglés,  hébétés, paralysés » dit l’historique du régiment, publié en 192010. Aussi, si le 270e RI compte ce jour-là une centaine de morts – des pertes  comparables à celles subies lors des grandes offensives, lorsque les  combattants doivent quitter la protection, même limitée et pour une part illusoire, qu’offre la tranchée – , tout particulièrement à la 18e compagnie « dont les hommes ont été broyés par la grosse artillerie », et autant de blessés, ce sont aussi et surtout 700 à 725 combattants qui sont  portés disparus. Parmi eux, le commandant du 5e bataillon, le commandant Laporte, tué dans ces combats, et une vingtaine d’autres officiers, pour la  plupart capturés. Seul un officier échappe à la captivité ou à la mort, le  capitaine Lamy, commandant la compagnie de mitrailleuses… 
   									     En quelques heures, le régiment a ainsi perdu près de la moitié de ses effectifs… Au lendemain de cette attaque,  les survivants des quatre compagnies du 5e bataillon – 17e, 18e, 19e, 20e – sont réunis pour en  reconstituer une seule, la 24e, qui avait été engagée à leurs  côtés sur les pentes du Mort-Homme. L’attaque allemande dans ce secteur n’a pu  déboucher cependant : si les premières positions ont cédé, les autres lignes de défense ont tenu. Engagés le lendemain dans ce même secteur, le 6e bataillon du 270e RI ne subit d’ailleurs que des pertes  limitées : un mort et cinq blessés jusqu’à la relève qui intervient le 16  mars à en croire les JMO.      
   									    
   									      
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   									        | En juin 1916, les ruines du village de Chattancourt, non loin des positions tenues par le V/270e RI, et à gauche, les pentes du Mort-Homme. BDIC: VAL 185/065. | 
								           
								         
   									    Les 70e et 270e RI ne sont pas les seules unités bretonnes combattant à Verdun dans les semaines qui suivent l’attaque du 21 février 1916, nous l’avons dit. Les deux  régiments sont cependant les premiers à faire l’amère expérience du Trommelfeuer allemand. Ainsi, si, comme le reconnait l’historique du 70e RI, le régiment, jusqu’au début 1916, « bien que mêlé aux grandes affaires, n’y a pas joué un rôle de premier plan », « la situation désormais va changer » avec l’engagement à Verdun.  
   									    L’ampleur des pertes subies courant mars est d’ailleurs rapidement connue à Vitré même. Georges Garreau, le maire, note que « le 270e a subi des pertes importantes »,  que « plusieurs de ses compagnies ont été faites prisonnières »11. En conséquence, il « a fallu combler par des emprunts aux dépôts des  garnisons » les « vides nombreux » créés dans les rangs des régiments par les combats de Verdun. Fin mars, 500 hommes quittent le dépôt du  106e RI, replié à Vitré. Du 5 au 12 avril, trois autres convois rejoignent le front, fournis par les dépôts des 70e et 106e. 
   									    D’autres suivront encore avant la  fin de la bataille de Verdun…                                          
   									    Yann LAGADEC 
                                        
                                        
                                      1 Depuis juillet 1915 et la cession du 41e RI à la 131e DI qui est en cours de formation, la 19e DI associe les 48e et 71e RI de Guingamp et Saint-Brieuc (37e BI) aux 70e et 270e RI de Vitré (38e BI). Elle est commandée par le  général Trouchaud.  
                                      2 SHD/DAT, 26 N 507/1, JMO  de la 38e BI,  février 1916. 
                                      3 SHD/DAT, 26 N 733/12, JMO  du 270e RI, 22 février 1916. 
                                      4 SHD/DAT, 26 N 507/1, JMO de la 38e BI, 6 mars 1916. 
                                      5 Après  quelques jours de repos, les éléments du 111e RI remontent en ligne le 20 mars. Une nouvelle attaque allemande submerge les positions du régiment antibois au nord d’Avocourt : seuls les hommes du 2e bataillon  échappent à la mort ou à la capture. Le 111e RI a cessé d’exister : il est dissous fin mars, et les survivants versés au 402e RI. 
                                      6 Notons que les JMO du 111e RI n’ont pas été conservés pour cette  période. L’historique publié en 1920 est par ailleurs assez flou sur ces  quelques semaines.  
                                      7 SHD/DAT, 26 N 733/12, JMO du 270e RI, 14 mars 1916. 
                                      8 SHD/DAT, 26 N 733/14, JMO du service de santé du 270e RI, 14 mars 1916. 
                                      9 SHD/DAT, 26 N 733/12, JMO du 270e RI, 14 mars 1916. 
                                      10 Historique du 270e régiment d’infanterie au cours de la  campagne contre l’Allemagne (1914-1918), Rennes, Oberthür, 1920, p. 14. 
                                      11 GARREAU, Georges, La vie d’une commune pendant la guerre (Vitré, 1914-1918), Rennes, Imprimerie de L’Ouest-Journal, 1932,  p. 426-427.  |