Noël aux tranchées

Lorsque l’on songe à la célébration de Noël 1914, c’est bien souvent aux fameuses trêves que l’on pense. Il est vrai que ces instants de fraternisation où les armes, de part et d’autre de la ligne de front, se taisent pour quelques heures constituent un magnifique symbole de paix et d’espoir. Mais, malheureusement, l’histoire n’est bien souvent pas aussi belle que ne le suggère la mémoire et si de telles scènes ont existé, elles ne sauraient être généralisées à l’ensemble du front.

Carte postale. Collection particulière.

En ce mois de décembre 1914, le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo occupe des tranchées au nord d’Arras, dans le secteur de Saint-Laurent-Blangy1. Cela fait déjà quelques semaines qu’il se trouve dans ce secteur et le rythme n’est plus du tout le même que ce que l’on peut observer lors de l’été 1914. Sous l’effet conjoint de l’épuisement des hommes et des stocks de munitions, la guerre s’est en effet comme ralentie au fur et à mesure qu’elle s’enlisait dans les tranchées.

Mieux, tout semble indiquer que le 47e régiment d’infanterie s’installe dans une sorte de (sur)vie routinière, à la différence près que celle-ci ne se déroule pas au sein des casernes de Saint-Malo mais bien dans quelques tranchées des environs d’Arras. Plusieurs témoignages nous indiquent ainsi que, comme au quartier, au temps de leur service militaire, les hommes commencent à s’ennuyer, situation qui tranche singulièrement avec les premières semaines de la campagne. Un brancardier qui doit prendre la garde au petit poste pendant deux heures trouve que « c’est long ».

Dans ce cadre, les « fêtes » sont autant une manifestation de ce ralentissement du temps qu’un moyen d’entretenir l’esprit de corps et de mobiliser la troupe. Le 22 novembre, la musique du régiment fête ainsi la Sainte-Cécile, comme elle le ferait classiquement, en temps de paix. Et il n’y a dès lors rien d’étonnant à constater que le 47e régiment d’infanterie fête Noël. On sait ainsi que les hommes réveillonnent, tout du moins ceux qui ne sont pas en ligne, et qu’ils parviennent à améliorer leur ordinaire en s’approvisionnant chez certains des mercantis qui fleurissent un peu partout, non loin des tranchées. Mais il ne s’agit pas d’un Noël « normal », comme on pourrait le célébrer à Paramé, Saint-Servan, Guingamp ou Saint-Brieuc. C’est un Noël de guerre, sans trêve, marqué par une violente canonnade ennemie puis un puissant feu d’infanterie. Il en va de même pour le Nouvel an, salué par les Allemands par un violent bombardement de 77. Ou pour les Pâques, célébrées par l’artillerie du 10e corps par un intense bombardement de Chantecler.

Carte postale. Collection particulière.

Le cas du 47e régiment d’infanterie est intéressant car il rappelle combien la mémoire peut aller à l’encontre de l’histoire. En effet, en ce mois de décembre 1914, l’encadrement de l’unité fait face à un complexe dilemme. Car si les officiers sont bien conscients de la fatigue des hommes, ils doivent néanmoins s’attacher à ce qu’ils conservent un esprit offensif. La guerre a lieu en France, une partie du territoire national est occupé, et dans ces conditions l’on ne saurait songer une seule seconde à s’installer dans une posture défensive. Et c’est sans doute aussi dans ce cadre qu’il faut comprendre les bombardements et les fusillades de la nuit de Noël 1914 : ils sont aussi un moyen de remobiliser les troupes et d’entretenir leur patriotisme défensif en suggérant l’idée que s’ils sont dans des tranchées loin de leurs foyers, cela est par la faute des Allemands.

Erwan LE GALL

 

1 Pour de plus larges développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.