Noël dans les tranchées ou la trêve des confiseurs ?

Dans son numéro daté du 23 janvier 1915, la Semaine religieuse du diocèse de Rennes publie une intéressante lettre signée d’un « combattant anti-boche » anonyme, mais dont on sait seulement qu’il a le grade de lieutenant. Ce courrier décrit la messe de minuit donnée quelques semaines plus tôt, à noël, dans les tranchées du 270e régiment d’infanterie de Vitré1.

Cliché pris à Agny, en 1914. Carte postale. Collection particulière.

Bien que régiment de réserve, le 270e RI connait lors des premières semaines un parcours similaire aux unités d’unités d’active du 10e corps d’armée et participe aux batailles de Charleroi, Guise et la Marne pour enfin s’enliser avec la fin de la Course à la mer dans les tranchées d’Artois. C’est donc dans le secteur d’Agny, au sud d’Arras, que se déroule la messe décrite par cet officier du 270e RI :

« Dans notre trou de taupe, plus confortable que celui des hommes, un soldat abbé a revêtu un surplis, s’est assis dans une chaise reposant sur de la paille et a confessé les officiers, puis les soldats de la Compagnie. Comme à la manœuvre ou à l’attaque, nous avons précédé nos hommes, et ils nous ont suivis. »

Par la suite, l’auteur explique que le prêtre-soldat – un certain abbé Ganche – passe dans les tranchées qu’occupe l’unité pour donner la communion. C’est  alors pour le lecteur le moment de découvrir les prières des poilus du 270e RI qui, s’adressant à Dieu, demandent la victoire pour que leurs « chers petits-enfants soient, toute leur vie, à l’abri des horreurs de la guerre ». La participation des catholiques à l’effort de guerre ne fait dès lors aucun doute puisque la lettre s’achève sur ces mots : « Nous prierons enfin pour notre chère Patrie, pour qu’elle soit libérée des outrages de l’envahisseur, pour qu’elle soit plus grande, plus belle, plus armée, pour qu’elle soit immortelle ».

Dans l'Oise en mai 1915: une messe pour les combattants. BDIC: VAL 255/005.

Si ce texte est des plus intéressants, il convient toutefois d’être particulièrement prudent en le lisant. Il ressort en effet de sa lecture une sorte d’unanimité, comme si tous les poilus du 270e RI avaient participé à cette messe, qui est suspecte. Ajoutons d’ailleurs à ce propos qu’aucune autre source n’évoque à notre connaissance cette célébration.

De plus, la Semaine religieuse du diocèse de Rennes n’est pas une publication totalement neutre et sans doute faut-il ne pas prendre le propos de ce courrier au pied de la lettre, même si bien des messes dans les tranchées sont attestées par les archives. En effet, à en croire ce « combattant anti-boche », le conflit aurait le mérite de réveiller la foi des poilus : « Car si la guerre de 1914 veut que toutes les heures du jour connaissent le bruit du canon, qui trouble l’atmosphère, elle a voulu aussi que le soldat, au milieu de toute cette mitraille, se souvint qu’il était chrétien ou qu’il l’avait été ». Selon une grille de lecture assez classique chez les catholiques, le conflit est perçu comme un châtiment divin, en réaction notamment à la difficile séparation des églises et de l’Etat. En suivant le fil de ce raisonnement, c’est donc aussi sur le plan des mœurs que la guerre sera gagnée. Dès lors, un tel texte a moins pour ambition de décrire une scène réellement survenue dans les tranchées, ce que l’historien est de toute manière bien en peine de d’attester faute d’archives, que d’inciter à la pratique religieuse. Bref, point de trêve des confiseurs ici…

Erwan LE GALL

 

 

1 « La messe de minuit dans les tranchées du 270e régiment d’infanterie », La semaine religieuse du diocèse de Rennes, 51e année, n°19, 23 janvier 1915, p. 298-300.