Vive la mariée !

Dans son édition du 6 janvier 1915, dans le cadre des nouvelles de « dernière heure », L’Ouest-Eclair publie une bien curieuse brève : un mariage a été célébré la semaine précédente sur le front ! La scène, pour le moins incongrue en pleine zone des armées, se serait déroulée à Hauteville, dans le Pas-de-Calais, non loin d’Arras, et aurait scellé l’union d’un adjudant de dragons et d’une « charmante parisienne ».

Carte postale. Collection particulière.

Confronté à un tel article, le premier réflexe est certainement celui de la suspicion face à une nouvelle qui sent bon le bourrage de crâne. De plus, les actes de mariages de la commune d’Hauteville n’étant pas, en ce qui concerne la période 1914-1922, numérisés, il n’est pas possible d’attester la véracité de l’information diffusée par le quotidien breton1. De même, les journaux de marches et opérations ne sont également pas d’une grande aide. L’article nous apprend en effet que l’unité du marié se situe dans le secteur d’Arras ce qui, immédiatement, fait penser au 10e corps d’armée et donc au 24e régiment de dragons. Or aucune information ne nous permet d’en savoir plus sur cette cérémonie. L’historique officiel publié après-guerre n’est pas plus disert et la vérification de l’information se révèle donc mener à une impasse.

Pourtant, il existe sans doute un second niveau de lecture possible de cet article, celui des représentations. Car, dans l’absolu, si une telle nouvelle est incongrue, elle n’apparait pas non plus comme totalement impossible. Il existe en effet un certain nombre de cas d’épouses ou d’amantes ayant tout tenté – et parfois réussi – pour retrouver leur homme dans la zone des armées. En Bretagne, le cas d’Armand et Armandine Le Douarec est ainsi bien connu, grâce notamment à un ouvrage exhumant la correspondance de ce couple de Binicais.2 De plus, on sait que le rythme de cet hiver 1914-1915 est terriblement ralenti sous l’effet conjugué de l’épuisement des hommes, des rigueurs du climat et de la crise des munitions. Tout concoure à une apparence de normalité à tel point que le rédacteur du journal des marches et opérations du 47e RI, qui occupe des lignes non loin du 24e dragons, n’hésite pas à affirmer que « la vie intérieure du régiment se rapproche de plus en plus de la vie de garnison »3.

Dès lors, une telle cérémonie pourrait se comprendre dans le cadre de l’ensemble des mesures prises par l’Etat pour sauvegarder l’institution du mariage, en en facilitant notamment la tenue4. D’ailleurs, quelques semaines plus tard, le 4 avril 1915, une loi est votée autorisant le mariage par procuration. Aussi, l’article publié par L’Ouest-Eclair peut également apparaître comme un message directement adressé aux couples que la guerre a séparé. La puissance publique se fait alors protectrice, bienveillante, en mettant tout en œuvre pour que les unions soient scellées malgré l’Allemagne.

Carte postale. Collection particulière.

Car il convient de ne pas se méprendre. La dénonciation de l’ennemi reste bien présente comme le rappelle de manière assez subtile la dernière phrase de l’article : « Une messe suivit dans l’église, encore respectée par les obus ». C’est donc une manière de rappeler que le mariage – donc les Français – est plus fort que la guerre – donc les Allemands. Mais c’est aussi pour les historiens un rappel de la dimension totale de ce conflit qui s’immisce partout, y compris dans les moindres recoins de la vie intime des contemporains.

Erwan LE GALL

 

 

1 Arc. Dép. P de C : 3 E 418/14.

2 DUMONT LE DOUAREC, Jean-Pol (Rassemblées par), Armandine. Lettres d’Amour de Binic au front (1914-1918), Spézet, Keltia Graphic, 2008.

3 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014, p. 130.

4 Sur ce point Vidal-Naquet, Clémentine, Couples dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les belles lettres, 2014.