A ce stade de la guerre…

A première vue, il s’agit d’un article anodin, comme il y en a eu déjà tant d’autres. Pour preuve, L’Ouest-Eclair ne le publie qu’en page intérieure. Ce jour-là, le maire de Rennes explique une nouvelle fois pourquoi  la ville ne pourra pas assurer les travaux d’agrandissement du parc des sports de la route de Lorient, là où joue notamment la célèbre équipe de football du Stade rennais. Quand on y pense, il s’agit là d’un débat très contemporain entre des équipes qui souhaitent bénéficier d’enceintes plus vastes pour augmenter leurs recettes au guichet et des communes qui renâclent à un tel investissement.

Il s’agirait donc d’un article anodin si le maire de Rennes en question n’était pas François Château. Après avoir effectué le rituel tour de France au sein d’une société compagnonnique, François Château ouvre son entreprise de maçonnerie et, très rapidement, se lance en politique. D’abord conseiller municipal en 1929, puis élu à la tête de la chambre de commerce, il s’empare de l’hôtel de ville de Rennes en 1935 et compte parmi les rares maires de grande ville à être maintenu en fonction par Vichy.

François Château. WikiRennes.

Dans cet entretien accordé à un journaliste de L’Ouest-Eclair1, François Château explique pourquoi la ville doit remettre à plus tard les travaux du parc des sports de la route de Lorient, tout en reconnaissant que celui-ci est à l’heure actuelle « indigne de notre grande ville et de notre grand football ». Il est vrai que les travaux d’aménagement sont votés mais que, plusieurs années plus tard, rien n’a changé, ce que concède d’ailleurs le Maire :

« Un projet d’aménagement du Parc des Sports a été voté fin 1938 et les travaux devaient être faits dans l’intersaison de 1939 (de juin à octobre). Hélas, les évènements que vous savez ont tout remis en question ! »

Et si en mars 1942, date de publication de cet entretien de François Château dans L’Ouest-Eclair, les travaux de rénovation du Parc des sports ne peuvent être entrepris c’est tout simplement parce que la ville ne dispose pas du ciment nécessaire ! Un propos savoureux dans la bouche d’un édile ayant fait carrière dans les métiers de la maçonnerie.

Le Parc des sports de la route de Lorient à Rennes: la première tribune, érigée en 1912. Wikicommons.

Un tel article ne manque pas de surprendre. Encore une fois, on ne peut que relever la grande contemporanéité de cette question puisque le sport de haut-niveau est bien compris comme un facteur dynamisant d’une commune. François Château est d’ailleurs très explicite à ce propos : « Il y a très longtemps que la question me tracasse et n’eut été la guerre nous aurions actuellement un stade, un vrai, et les belles manifestations sportives – Coupe de France ou Coupes des provinces de football – ne nous passeraient pas sous le nez ». On notera seulement qu’à la fin des années 1930, les enceintes  sportives de référence sont le stade de Reims et – déjà – le Parc des Princes.

Mais, plus encore, c’est bien entendu la chronologie qui doit attirer l’œil puisque cet article est publié en mars 1942. Et encore une fois, la Seconde Guerre mondiale se révèle être une période complexe puisque, indépendamment des affres du conflit en cours, il apparait que des questions de prime abord assez anodines se posent avec insistance aux responsables politiques – qui ont pourtant tant à faire ! Or si la question du Parc des Sports revêt en 1942 une telle importance, c’est sans doute parce que, à l’instar du cyclisme et du Tour de France, le football est un excellent moyen d’oublier la situation du moment. Tel est là un des grands paradoxes de la Seconde guerre mondiale en Bretagne, une période assurément exceptionnelle mais également marquée par des conduites en apparence ordinaires : le sport mais on pourrait également évoquer le cas du tourisme. Bien entendu il convient de ne pas généraliser un tel propos : la pensée principale des Français sous l’occupation n’est pas de se rendre à la plage où au terrain de football. Mais il n’en demeure pas moins que de tels comportements existent et qu’ils témoignent sans doute d’une grande volonté d’échapper – ne serait-ce que pour quelques instants – aux réalités de la guerre en cours et de retrouver une apparence de normalité.

Erwan LE GALL

1 « L’équipement sportif de Rennes », L’Ouest-Eclair, 18 mars 1942, n°16496, p. 2.