Du héros à la figure légendaire : Pierre L’Héostic

Fondé en 1943 dans la clandestinité, le journal L’Aurore se présente comme « l’organe de la Résistance républicaine ». D’ailleurs, il est difficile de ne pas voir dans le choix de ce titre un hommage au journal qui, en janvier 1898, publie le célèbre J’Accuse d’Emile Zola, tribune en défense du capitaine Alfred Dreyfus. Pour autant, l’article qui attire l’attention dans l’édition du 4 octobre 1944, soit quelques semaines seulement après la libération de Paris, n’a rien à voir avec l’Affaire mais est le portrait d’un « jeune héros parmi tant d’autres… », à savoir Pierre L’Héostic, parachutiste de 15 ans présenté comme étant d’origine bretonne1. Composé à partir des propos du « caporal J. L. G. », l'article joue sur le registre de la confession et intéresse au final moins, et une fois n’est pas coutume, sur le fond que sur la forme.

Le visage du jeune héros... Collection particulière.

Il est vrai que lorsqu’un journal fondé au sein de l’Armée des ombres évoque le parcours d’un jeune Résistant tombé sous l’uniforme du Special Air Service en juin 1942, au cours d’une opération particulièrement ambitieuse sur l’aérodrome d’Héraklion, en Crète, il ne peut y avoir qu’un regard biaisé. En effet, c’est bien, à travers Pierre L’Héostic, la Résistance qui parle d’elle-même dans cet article, comme si consciente de son héroïsme, elle cherchait déjà, avant même que le conflit ne soit terminé et que le Reich ait définitivement déposé les armes, à magnifier sa propre épopée. C’est ainsi par exemple que « le caporal J. L. G. » dit de son camarade décédé :

« Il avait quitté Brest alors que tout semblait perdu. Comme il ne désespérait pas de la Patrie, il avait rejoint le général de Gaulle et c’est avec des milliers de ses camarades de Bretagne qu’il venait poursuivre la lutte. »

Passons sur les « milliers » qui n’étaient pas encore autant en décembre 1940, quand justement Pierre Leostic – son vrai nom à l’état-civil – rallie la France Libre. Pris dans la tourmente de la débâcle, le jeune homme « crut son père mort et ressentit le besoin de le venger » à en croire l’historien Serge Blanckaert, auteur qui fait donc peu de cas de la dimension patriotique de ce choix. Sans prétendre trier le bon grain de l’ivraie, précisons juste que l’engagement en France libre, et en Résistance de manière générale, est tellement complexe qu’une explication n’est pas nécessairement exclusive de l’autre2.

Mais à l’automne 1944, qui plus est dans les colonnes de L’Aurore, il ne peut y avoir de salut en dehors de la patrie. Il est vrai que, par bien des égards, cette nécrologie consacrée à Pierre L’Héostic s’apparente à une arme de guerre. Celle-ci est en effet loin d’être terminée et rappeler le souvenir de ce « parachutiste de 15 ans » permet de remobiliser les consciences dans une période aussi trouble que difficile. L’édition de ce journal publiée le 4 octobre 1944 en témoigne d’ailleurs. Alors que les Américains déclenchent une gigantesque offensive sur la ligne Siegfried, Philippe Pétain, réfugié en Allemagne, est inculpé de « trahison ». Pendant ce temps, on retrouve à Pau un charnier de 64 victimes de la répression nazie, prélude d’une longue série de découvertes analogues

Dès lors, tout se passe dans cet article comme si Pierre Léostic cessait de s’appartenir pour devenir Pierre L’Héostic, et servir l’histoire de la Résistance. Comment interpréter autrement cette phrase : « Mais les parachutistes ont des missions dont on revient rarement… » si ce n’est comme une volonté évidente de glorifier le sacrifice de la Résistance ? Non pas que cette intention soit illégitime en soi, mais les libertés prises avec l’histoire ne peuvent pas ne pas être soulignées. Car les archives de la France libre – et notamment la fameuse liste dressée par Henri Ecochard – sont formelles. Si Pierre Léostic embarque à Brest, il ne nait pas dans la péninsule armoricaine mais à Dunkerque. Ce n’est d’ailleurs que du fait de l’exode qu’il se retrouve dans la cité du Ponant. De surcroît, il ne voit pas le jour en 1926, mais en 1924, ce qui fait qu’il est âgé de 18 ans lors du raid sur Héraklion, et non de 16.

Pierre Léostic, deuxième en partant de la droite. Il est à noter que son visage semble bien peu juvénile. Crédits: francaislibres.net.

Certes, cela est déjà très jeune, trop jeune sûrement. Mais ces détails invitent en définitive à interroger la structure même du portrait qui est dressé de Pierre L’Héostic. En quoi celui-ci, dans la mesure où ce récit varie quelque peu de ce que l’on peut par ailleurs savoir de Pierre Léostic, ne relève pas d’une construction qui emprunterait à une autre figure de jeune combattant mythifié par la mémoire et pour les besoins de la cause ? Un jeune Breton – le détail a son importance et permet de comprendre certains aléas dans la graphie du patronyme du héros – qui, bien que mentant sur son âge, peine à s’engager mais parvient, sur sa demande, à intégrer une arme aérienne – non pas la chasse mais les parachutistes, deux affectations autrement plus prestigieuses que la classique biffe… Bref, dans quelle mesure ce portrait de Pierre L’Héostic n’est pas une reprise plus ou moins inconsciente de l’histoire de Jean-Corentin Carré ? Dans un essai particulièrement stimulant, l’historienne Manon Pignot montre, grâce à une analyse intertextuelle, que les vies d’adolescents combattants de la Grande Guerre obéissent toujours peu ou prou à la même structure narrative3. Sans doute l’exemple de Pierre L’Héostic invite-t-il à semblable réflexion, dévoilant par la même occasion une autre ombre portée de la Première Guerre mondiale sur la Seconde.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 « Pierre L’Heostic parachutiste de 15 ans ! », L’Aurore, 3e année, n°38, 4 octobre 1944, p. 1.

2 Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « L’engagement des Français libres : une mise en perspective » in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.

3 PIGNOT, Manon, L’appel de la guerre. Des adolescents au combat 1914-1918, Paris, Anamosa, 2019.