Eléments pour une EGO-histoire

Pour nombre d’historiens de la Première Guerre mondiale, la question de l’emploi du  témoignage comme source est demeurée sensible pendant de longues années, preuve de l’influence des travaux de Jean Norton Cru. Fort heureusement, les débats sont aujourd’hui beaucoup plus sains et, à la veille du centenaire, le témoin semble avoir recouvert ses lettres de noblesse. Il est vrai que la situation qui prévalait notamment à la fin des années 1990 était devenue quelque peu loufoque puisque ces controverses ne concernaient que les historiens de la Grande Guerre et que les chercheurs travaillant sur d’autres conflits finissaient par regarder d’un œil amusé, et parfois lassé, cette polémique.

Il est vrai que la Première Guerre mondiale se construit en grande partie sur une représentation mentale mythique qui est celle du poilu, au singulier, construction qui de facto place le témoin dans la situation de parler pour l’ensemble des combattants. Le poilu étant dans les esprits la synthétisation de tous les combattants – artilleurs, fantassins, pionniers, cavaliers… marins et aviateurs étant passés par pertes et fracas dans cette gigantesque compression mémorielle digne de César – le témoignage agit alors de manière métonymique, en prenant la partie pour le tout, en faisant du point de vue d’un individu l’histoire du conflit dans toute sa globalité. Tel est ici, fondamentalement, le nœud du problème.

Capture d'écran du site EGO 39-45.

La Seconde Guerre mondiale ne connait pas ces problèmes puisqu’elle est un conflit ayant donné lieu à des souvenirs distincts et parfois même balkanisés. Déportés – par mesure de répression et persécutions –, prisonniers de guerre, résistants, requis du travail forcé… ont des mémoires spécifiques qui ne se mélangent pas toujours et qui même, parfois, peuvent être en concurrence1. C’est ce constat qui est à la source de la base EGO 39-45, Ecrits de Guerre et d’Occupation, instrument de travail très prometteur qu’En Envor vous propose aujourd’hui de découvrir.

Un témoignage devenu un véritable classique: Le Grand cirque de Pierre Clostermann.
EGO 1939-1945 a pour ambition de répertorier la totalité des témoignages publiés, de 1940 à nos jours, portant sur la France et les Français durant la Seconde Guerre mondiale. L’objectif de ce projet mené par le Centre de recherche en histoire quantitative de Caen « est à la fois d’élaborer une base de données de référence, permettant des recherches bibliographiques poussées, et de proposer une grille d’analyse méthodologique facilitant les études scientifiques sur les témoignages ». A la date d’aujourd’hui, la base comporte plus de 300 notices de témoignages édités entre 1939 et 1949. A terme, c’est-à-dire à l’horizon 2016, EGO 39-45 devrait en comporter plus de 8 000 et constituera ainsi « un instrument de recherche bibliographique fiable, facilement accessible et commode d’utilisation [qui] sera ainsi mis gratuitement à la disposition de la communauté scientifique comme du grand public ».

Disons-le de suite, il s’agit là à nos yeux d’un outil rapidement appelé à devenir incontournable. Précisons de plus que la base de données est très facilement consultable, l’interface étant à la fois précise et intuitive. On apprécie tout particulièrement la possibilité de pouvoir localiser les ouvrages même si l’on aurait aimé que la Bibliothèque universitaire de Nantes ne soit pas la seule institution bretonne figurant dans les lieux de consultations. Une situation qui, à n’en pas douter, sera amenée à changer dans les prochaines semaines et qui ne fera que confirmer l’excellence de cette démarche.

Erwan LE GALL

1 Sur ce point nous renverrons à l’étude classique de CHAUMONT, Jean-Michel, La concurrence des victimes, Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.