Jean Poulmarc’h : entre histoire et mémoire

Il est des noms qui résonnent étrangement, familièrement, sans que l’on sache exactement à quoi, à qui, ils renvoient exactement. Il en est ainsi de Jean Poulmarc’h, que l’on associe spontanément à un nom de rue. Il est vrai que cette dénomination de voie publique est assez fréquente et qu’on la retrouve notamment dans plusieurs communes de la région parisienne (Paris, mais également Argenteuil, Saint-Denis, Gif-sur-Yvette, …), mais paradoxalement plus rarement en Bretagne, alors que son patronyme n’est pas sans évoquer la péninsule armoricaine.

Des noms de rues qui interpellent. Collection particulière.

Jean Poulmarc’h n’entretient en effet que des liens distants avec la Bretagne. Né dans le XIe arrondissement de Paris le 7 août 1915, il est le fils d’un cheminot Breton qui ne tarde pas à s’établir à Dreux, sous-préfecture du nord de l’Eure-et-Loir et important nœud ferroviaire. Mais à l’inverse de beaucoup de Bretons de Paris ou de région parisienne qui entretiennent un lien très fort avec leur petite patrie d’origine, son regard est moins tourné vers l’Ouest que vers l’Est, et plus particulièrement vers l’Union soviétique, où il fait un séjour de 13 mois à partir de 1933.

Militant communiste et syndicaliste CGT, Jean Poulmarc’h s’engage très jeune et gravit rapidement les échelons de ces deux organisations. En 1936, il devient à 21 ans membre du comité central des Jeunesses communistes et, deux ans plus tard, accède aux fonctions de secrétaire général du syndicat CGT des produits chimiques pour la région parisienne. Il siège également au Conseil national économique, troisième assemblée de la République après le Sénat et le Parlement, ancêtre de l’actuel Conseil économique et social et organisme dépendant directement de la Présidence du Conseil.

C’est donc une carrière politique débutée sous les meilleurs auspices que vient interrompre, en septembre 1939, la déclaration de guerre puis la débâcle de juin 1940. Démobilisé au mois de septembre 1940, il se trouve alors dans une situation particulièrement sibylline puisque si, du fait du pacte germano-soviétique, Berlin est Moscou sont théoriquement liés par un accord de non-agression, la France de la Troisième République puis de Vichy mène une intense répression contre les militants communistes. C’est d’ailleurs bien un inspecteur de la police française qui vient arrêter Jean Poulmarc’h à son domicile d’Ivry-sur-Seine, le 5 octobre 1940. D’abord interné à Aincourt, dans l’actuel Val d’Oise, il est transféré à l’abbaye de Fontevrault, alors transformée en prison, puis au « centre de séjour surveillé » de Choisel, à Châteaubriant, en Bretagne. C’est ce qui le conduit à être fusillé par les Allemands le 22 octobre 1941, soit quelques semaines après le déclanchement  le 22 juin 1941 de l’opération Barbarossa, en compagnie de 49 autres otages, ce en répression de la liquidation, à Nantes, par un réseau de résistants communistes, du feldkommandant Karl Hotz.

Le monument de la Sablière, en mémoire des fusillés de Châteaubriant. Carte postale. Collection particulière.

Avant même la libération, le Parti communiste érige le souvenir des fusillés de Châteaubriant, et notamment du jeune Guy Môquet, en véritable symbole de la lutte contre l’occupant. Les rues Jean Poulmarc’h en constituent un parfait exemple en ce que ces dénominations de voies entendent fixer dans l’espace et l’imaginaire public des débuts de la IVe République une certaine représentation de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la mémoire doit encore une fois s’analyser à l’aune de l’outil politique du temps présent car un tel usage de l’histoire n’est pas neutre.  Non seulement Jean Poulmarc’h et les fusillés de Châteaubriant permettent de conforter le statut de « parti des 75 000 » que s’arroge le Parti communiste, contestant la primauté et le leadership en la matière des Gaulllistes, mais ce souvenir permet d’en occulter un autre, beaucoup plus sensible, celui du pacte germano-soviétique.

Erwan LE GALL