Jim et Michel vers la Libération

L’évènement pourrait paraitre insignifiant, anecdotique. Le 14 avril 1944, à la sortie de Naizin, petit bourg des environs de Pontivy, dans le Morbihan, deux jeune hommes croisent à bord deux leur « traction avant » Citroën une patrouille allemande. Celui qui conduit se nomme Jean Kesler. Originaire d’Hennebont, il est un ouvrier chaudronnier âgé de 22 ans. Réfractaire au Service du travail obligatoire, il est un responsable important des Francs-tireurs et partisans du Morbihan et répond, dans la clandestinité, au pseudonyme de Commandant Jim. A côté de lui se trouve Maurice Devillers. Sensiblement du même âge, il est pour sa part contrôleur des Contributions directes et est lui aussi réfractaire au STO. FTP lui-même, il est connu dans la clandestinité comme étant le commandant Michel.

A droite Jean Kesler, à gauche, Maurice Devillers. Collection particulière.

Malgré leur jeune âge, tous deux sont d’importants responsables de l’Armée des ombres dans le département. Le premier est en effet commissaire aux opérations du Comité militaire régional des FTP tandis que le second est commissaire en charge des effectifs. Tous deux ont œuvré depuis quelques semaines, sous l’égide de Paul Chenailler, alias le colonel Morice, à la fusion des FTP et de l’Armée secrète, véritable acte de naissance des Forces Françaises de l’Intérieur dans le Morbihan.

Il s’agit là bien entendu d’une étape décisive dans la genèse de la résistance en Bretagne. Déjà, depuis la fin de l’année 1943, les groupes FTP intensifient leur action : sabotage de voies ferrées et de pylônes électriques (tout particulièrement ceux de la ligne qui alimente la base de sous-marins de Saint-Nazaire), attaque de soldats allemands isolés afin d’obtenir des armes… Dans le même temps, Jim et Michel durcissent le ton face aux quelques dérives commises par des éléments isolés, de manière à ce que la population ne confondent pas résistants et bandits, un message martelé par la propagande de Vichy.

Avec l’année 1944, les opérations redoublent à tel point que le 13 avril les FTP attaquent les Allemands à Naizin afin de délivrer 8 de leurs camarades arrêtés lors d’une rafle. Certes, l’opération se révèle être un échec puisque les détenus ne sont pas libérés et que les Francs-tireurs perdent deux hommes, l’un arrêté, l’autre blessé. Mais le message est bien passé : désormais la résistance est organisée et peut frapper.

Craignant néanmoins les représailles ennemies, Jim et Michel décident d’évacuer Naizin et de déménager armes et munitions vers Quistinic, à une trentaine de kilomètres de là. C’est au cours d’une de ces liaisons, la seconde, qu’ils croisent à bord de leur « traction avant » une colonne allemande. Jean Kesler et Maurice Devillers engagent immédiatement le combat. Malgré l’effet de surprise, la voiture est rapidement criblée de balle et les deux occupants tués.

En 1947, lors de l'inauguration d'une stèle en mémoire de Jean Kesler et Maurice Devillers. Collection particulière.

Bien entendu, une telle réaction peut être mise sur le compte d’une perte de sang-froid que pourrait expliquer la jeunesse. Il est vrai que le niveau de responsabilité de Jim et Michel dans la clandestinité est caractéristique des difficultés des FTP à trouver des cadres possédant à la fois une bonne formation militaire et une certaine autorité. Pour autant, on ne peut exclure que s’ils agissent ainsi, c’est que Jean Kesler et Maurice Devillers sont probablement galvanisés par les résultats obtenus. En cela, à peine deux mois avant le débarquement de Normandie et seulement quatre avant la Libération, ils témoignent de l’assurance croissante d’une résistance qui gagnera encore plus en efficacité avec l’arrivée des parachutistes du Special Air Service.

Erwan LE GALL