L’invisible Pierre-Etienne Flandin

Le nom de Pierre-Etienne Flandin n’est pas le plus connu et probablement peu nombreux sont ceux à se rappeler que c’est lui qui, le 13 décembre 1940, succède à Pierre Laval. Pour leur décharge, il est vrai que le règne de ce parlementaire dont le fief se situe dans l’Yonne est particulièrement court,  puisqu’il s’achève au bout de cinq semaines.

Pierre-Etienne Flandin (au centre). Photographie prise par le journal Paris-Soir. Collection particulière.

Mais si le nom de Pierre-Etienne Flandin n’est pas des plus connu c’est que son rôle est au centre d’un certain nombre de controverses historiographiques, magnifiquement résumées dans un article désormais classique d’Olivier Wieviorka. Pour certains acteurs tels que Michel Peyrouton, suivis par des historiens comme Robert Aron, l’arrivée de Flandin au pouvoir témoignerait d’une volonté d’ouverture vers la Grande-Bretagne et d’une certaine velléité de d’opposition à l’Allemagne. En d’autres termes, il serait possible d’y voir une pause libérale. Pour d’autres, au contraire, il est clair que l’intermède Flandin ne se caractérise par aucun fléchissement des persécutions antisémites ni par le moindre raidissement diplomatique vis-à-vis de Berlin. Sans entrer dans un débat qui n’est ici pas le nôtre, remarquons juste que ce qui parait se distinguer parmi les partisans de Flandin est au final la classique dichotomie entre d’une part le « bon » Vichy qui serait une sorte de « bouclier » et, d’autre part, le mauvais, celui de Laval. Une thèse qui bien entendu n’a plus cours aujourd’hui tant on mesure les convergences qui peuvent exister en ces circonstances très particulières entre un homme politique réputé libéral et un régime autoritaire1.

Pour autant, ceci rappelé, il n’est semble-t-il pas inutile de se demander comment ces soubresauts politiques sont perçus par la population, loin de Vichy, en Bretagne. C’est avec deux jours de retard, le 15 décembre 1940, que les lecteurs de L’Ouest-Eclair apprennent la nomination de Pierre-Etienne Flandin. L’information fait bien évidemment la une du quotidien mais demeure assez neutre puisqu’elle se limite à la publication d’un communiqué officiel et d’une photo2.

L'Ouest-Eclair annonce l'accession à la tête du gouvernement de Pierre-Etienne Flandin. Archives Ouest-France.

Or, jamais jusqu’à sa démission, le 9 février suivant, Pierre-Etienne Flandin ne disposera d’une telle exposition dans le quotidien breton. L’Ouest-Eclair a beau rappeler, le 29 décembre, que « la Révolution nationale se poursuit » et qu’elle est « avant tout sociale »3, cette nouvelle politique ne s’incarne que dans la figure du Maréchal, et en aucun cas dans celle de Flandin, pourtant tout juste nommé. D’ailleurs, le lendemain, lorsqu’est évoqué le Conseil des ministres, un seul nom est mentionné, celui de Pétain4. Dès lors, comment s’étonner que Flandin, invisible, soit si peu connu ?

Le quotidien breton parait d’ailleurs être un bon reflet de la situation d’isolement de Flandin à la tête du gouvernement. En effet, comme le rappelle O. Wieviorka dans l’article mentionné plus haut, c’est au bout d’une quinzaine de jours de pouvoir que Pierre-Etienne Flandin est isolé politiquement. La preuve en est d’ailleurs que, bien que ministre en titre des Affaires étrangères, il ne rencontre jamais Otto Abetz et les Allemands. Pour L’Ouest-Eclair, la question semble d’ailleurs entendue à partir du 21 janvier 1941, jour où le journal rennais titre sur la rencontre entre Pétain et Laval au cours de laquelle « les malentendus nés le 13 décembre sont désormais dissipés »5.

Erwan LE GALL

 

1 WIEVIORKA, Olivier, « Vichy a-t-il été libéral ? Le sens de l’intermède Flandin », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n°11, juillet-septembre 1986, p. 55-66.

2 L’Ouest-Eclair, n°16090, 15 décembre 1940, p. 1.

3 « La Révolution nationale se poursuit », L’Ouest-Eclair, n°16 103, 29 décembre 1940, p. 1.

4 « Conseil des ministres aujourd’hui à Vichy », L’Ouest-Eclair, n°16 104, 30 décembre 1940, p. 1.

5 « Le maréchal Pétain et M. Pierre Laval ont eu samedi un entretien décisif », L’Ouest-Eclair, n°16 125, 21 janvier 1941, p. 1.