La triste Fête nationale du coq mutilé de Ploërmel (14 juillet 1940)

Le 14 juillet 1939, la France organise des cérémonies fastueuses pour exposer sa puissance, celle de ses colonies et celle de ses alliés britanniques. Pour la commémoration des 150 ans de la Révolution française, qui plus est dans un contexte international tendu, les autorités souhaitent envoyer un message fort à leurs ennemis potentiels. Pourtant, un an plus tard, une large partie de la France est occupée. Pire, à la veille de la Fête nationale, la commune de Ploërmel subit deux dégradations particulièrement humiliantes.

Carte postale. Collection particuière.

Tout commence le 13 juillet 1940 aux alentours de 23 h 301. Entre six et douze hommes se réunissent dans le bourg le long de la route nationale. Tous parlent une « langue étrangère » selon les témoins. Leur tenue militaire ne laisse aucun doute sur leur nationalité, ce sont des Allemands. Après quelques minutes, l’agitation prend une nouvelle tournure. Un marteau frappe sur un objet métallique. Un soldat, éclairé par la lampe torche de ses camarades, s’accroche comme il peut aux pieds du coq surplombant le monument aux morts. Puis rapidement, l’inefficace marteau cède à place à une scie. Cette fois, il suffit de quelques minutes. Un bruit sourd surgit. Le coq en bronze est au sol. Désormais, l’obélisque du monument aux morts n’est plus dominé que par le casque à pointe caractéristique de l’armée allemande en 1914 à côté duquel demeurent les pattes orphelines du coq mutilé.

C’est le lendemain, vers 8 h, que Louis Guillois, maire de Ploërmel s’aperçoit de la dégradation. Mais son étonnement ne s’arrête pas là. En levant les yeux, il découvre une croix gammée peinte sur le drapeau français faisant office de « girouette ». Ce dernier est installé justement sur la tour de l’église qui sert depuis quelques jours de poste de surveillance aux soldats. Il s’insurge immédiatement auprès de l’autorité occupante ainsi que de la gendarmerie. Cette dernière mène alors une enquête de voisinage qui conclue à la culpabilité des Allemands. Aucune mesure ne semble pourtant prise à leur encontre.

L’affaire paraît rebondir quelques jours plus tard. Un témoin distingue l’activité suspecte de deux soldats dans la cour de l’école Lammenais, réquisitionnée pour le cantonnement des Allemands. Ils semblent être en train de scier « quelque chose qui paraissait très dur » puis l’enterrent dans une tranchée2. Le lendemain, le détachement d’artillerie quitte Ploërmel. Le témoin en profite pour déterrer le mystérieux objet et découvre le coq désormais décapité.

Carte postale (détail). Collection particulière.

L’intrigue, si elle est anecdotique, met bien en évidence le manque de « correction » de l’armée allemande. Ces faits divers font partie des nombreux incidents qui émaillent les premières semaines d’Occupation en Bretagne. Ceux de Ploërmel sont d’autant plus emblématiques qu’ils touchent deux symboles forts pour les Français, qui plus est lorsque les actes accomplis sont découverts le jour de la Fête nationale. La dégradation paraît plus étonnante pour le monument aux morts dans la mesure où elle touche un symbole commun, celui du martyr d’une génération européenne entière. Peut-être faut-il y voir la marque d'un certain agacement à l’encontre d’un coq belliciste et volontairement humiliant pour l’occupant ? C’est pour éviter un tel acte que le maire de La Faurie (Haute Alpes) décide de démonter son coq pour le protéger lorsque les Allemands occupent sa commune. Pour en revenir au monument de Ploërmel, il reste endeuillé de son coq jusqu’à la Libération. Il retrouve sa place le 11 novembre 1945 pour commémorer tant les morts de la commune, que pour célébrer fièrement la fin de la guerre.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Arch. dép. du Morbihan: 2 W 15798, procès-verbal de la gendarmerie de Ploërmel, 15 juillet 1940.

2 Arch. dép. du Morbihan: 2 W 15798, procès-verbal de la gendarmerie de Ploërmel, 23 juillet 1940.