Le drame du rembarquement

La date du 17 juin 1940 compte probablement parmi les plus sombres de l’histoire de France puisque c’est ce jour que le maréchal Pétain prononce l’allocution où il affirme « qu’il faut cesser de combattre ». En même temps ou presque, un fougueux général quitte Bordeaux pour l’Angleterre et un jeune préfet appelé à devenir Rex livre son Premier combat (du nom du récit publié à titre posthume par sa soeur, Laure Moulin)...  tandis que des milliers de Tommies perdent la vie à bord du Lancastria, coulé par l’aviation allemande au large de la pointe Saint-Gildas, non loin de Pornic, en pays de Retz.

Si juin 1940 est une véritable déroute pour l’Armée française, incapable à quelques exceptions près d’endiguer la blitzkrieg nazie, la fin de ce mois est synonyme de course contre la montre pour Londres. En effet, du fait de la fulgurante avancée des Allemands, ce sont des milliers de soldats britanniques qu’il faut évacuer afin de pouvoir poursuivre le combat. Tous les moyens sont alors bon pour rentrer au pays et les autorités réquisitionnent de nombreux paquebots qui constituent d’excellents transports de troupes : parmi ces bâtiments se trouve le Lancastria.

Carte postale. Collection particulière.

Lancé à Glasgow en 1922 après quasiment deux ans de construction, ce superbe vapeur est armé par la prestigieuse Cunard line. Mesurant 168 mètres, il est doté de turbines développant une puissance de 13 500 chevaux. Cruel détail de l’histoire, ce navire s’illustre lors d’une sévère tempête en 1928 en se déroutant pour répondre au SOS du Pommern, un paquebot allemand en mauvaise posture. En 1932, au large d'Ouessant, c'est à la rescousse de l'équipage d'un vapeur belge que se porte le Lancastria...

Mais en juin 1940, il n’est plus question de croisière transatlantique mais bien de  traverser le golfe de Gascogne pour rapatrier quelques-uns des 40 000 soldats britanniques encore en France. Le Lancastria appareille de Plymouth et arrive dans l’estuaire de la Loire, près de Saint-Nazaire, dans la matinée du 17, non sans auparavant avoir tenté d’accoster à Brest. Le paquebot se trouve à quatre miles du large, sur un fond d’une vingtaine de mètres en compagnie d’une grosse vingtaine de bâtiments britanniques venus ramener les boys en Angleterre. Les rembarquements débutent dès sept heures le matin à un rythme soutenu et bientôt le navire est bondé. Certains témoignages évoquent ainsi plus de 9 000 personnes à bords du Lancastria, alors que celui-ci est en théorie conçu pour recevoir un petit peu plus de 2 000 passagers.

En 1936, à la suite d'un fort coup de vent, le Lancastria s'échoue dans la Tamise. Gallica / BNF: Meurisse, 36 10 118/CT.

C’est alors qu’il s’apprête à appareiller que le paquebot de la Cunard réquisitionné par la Royale Navy est la cible de l’aviation allemande. Pris à partie par un bombardier, le Lancastria est rapidement touché : tout d’abord dans une cale puis près de sa cheminée et enfin dans une soute, libérant dans l’estuaire de la Loire près de 14 000 tonnes de fioul. Le drame survient lorsqu’une quatrième bombe explose sur le flanc du navire, engendrant un trou béant dans la coque : le paquebot coule en 24 minutes emportant avec lui des milliers d’hommes. Ceux qui se retrouvent à l’eau sont englués dans une mer d’huile et de fioul et sont, de surcroît, consciencieusement mitraillés par l’aviation allemande.

Pour Saint-Nazaire et sa région, le Lancastria est un véritable drame : durant des jours la mer jette sur les côtes des alentours les cadavres de centaines de victimes. En Grande-Bretagne, le naufrage n’est pas divulgué afin de ne pas démoraliser une population déjà passablement éprouvée. Mais bien évidemment, de tels secrets ne peuvent être gardés longtemps et bientôt le scandale retentit, au grand bonheur de Vichy qui peut laisser libre cours à son anglophobie – qui sera encore plus exacerbée avec Dakar et Mers-el-Kébir. Mais de manière très symptomatique, L’Ouest-Eclair oublie de préciser que c’est bien sous les bombes allemandes que sombre le Lancastria

Aujourd’hui, on estime que plus de 4 000 personnes ont perdu la vie dans ce drame et les restes du navire sont d’ailleurs considérés comme étant un cimetière sous-marin. La plongée y est ainsi soumise à autorisation préalable des autorités préfectorales. Bien que très abimée, l’épave du Lancastria git toujours au large de la pointe Saint-Gildas, par une vingtaine de mètres de fond. Il s’agit d’une plongée difficile du fait des forts courants et de la très mauvaise visibilité engendrée par les alluvions de la Loire.

Erwan LE GALL