Le sabordage du Graf Spee

L’ombre portée de la Première Guerre mondiale est très visible dans les années 1930. Pour les nations, la marine compte encore parmi les attributs essentiels de la puissance même si  le front maritime de la Grande Guerre reste toujours en retrait des tranchées de la Somme et de Verdun. Aussi n’y a-t-il finalement rien de surprenant à ce qu’alors que la drôle de guerre s’immobilise sur les contreforts de la ligne Maginot, L’Ouest-Eclair s’enflamme pour une bataille navale ayant lieu au large de l’Uruguay, dans l’Atlantique-sud.

C’est ainsi que les Bretons, tout du moins ceux qui ne sont pas mobilisés, apprennent le 15 décembre 1939 en ouvrant leur quotidien, que s’est déroulé un « combat naval qui a forcé le Graff Spee à chercher refuge dans la baie de Montevideo ». Les gros titres insistent, à raison, sur le fait que le navire est « désemparé » et que l’équipage a subi de nombreuses pertes : 38 morts et 60 blessés1.

Le Graf Spee en 1936. Wikicommons / Bundesarchiv DVM 10 Bild-23-63-06.

En réalité, c’est le 13 décembre 1939 que commence la bataille navale entre le Graf Spee d’une part, l’Ajax, l’Exeter et l’Achilles. Subissant le  tir croisé des trois bâtiments Britanniques, le cuirassé allemand est obligé de se réfugier dans le port de Montevideo pour tenter de réparer. Mais cette escale ne peut être, du fait d’accords internationaux en vigueur, que momentanée et le Graf Spee est contraint de reprendre la mer lorsqu’il reçoit l’ordre de l’amiral Raeder commandant la Kriegsmarine de se saborder. Le 17 décembre, L’Ouest-Eclair peut même adjoindre la Royale au prestige de cette victoire britannique puisque le Dunkerque se joint au dispositif qui attend le Graf Spee au large de Montevideo2.

Avec les moyens modernes de transmission de l’information, les Bretons peuvent grâce à L’Ouest-Eclair suivre en quasi direct l’évolution de la situation. Dès le début, le quotidien fixe les enjeux du drame qui se déroule sous les yeux des lecteurs : si le Graf Spee reste à Montevideo, « ce serait avouer la défaite et reconnaître que les obus britanniques ont mis le cuirassé allemand hors d’état de reprendre la mer. S’il quitte les eaux territoriales uruguayennes, il retrouvera ses adversaires d’hier, qui croisent à proximité, prêts à intervenir au premier signal »3.

L'épave du Graf Spee, après son sabordage. Wikicommons.

Le sabordage du Graf Spee est annoncé en une de L’Ouest Eclair le 18 décembre 19394. S’il s’agit d’une incontestable défaite allemande, celle-ci appelle toutefois quelques remarques. La question navale est en effet sensible dans un contexte où prime l’ombre portée de la Grande Guerre. En 1919, le Traité de Versailles limite la puissance navale de Berlin en interdisant à l’Allemagne le lancement de croiseur de plus de 10 000 tonnes. L’idée est alors que seuls des bâtiments d’une jauge supérieure peuvent supporter une artillerie réellement dangereuse. Or en 1934 les ingénieurs allemands parviennent à contourner cette limite technique et à lancer le Graf Spee, un cuirassé dit de poche car disposant d’un tonnage inférieur à 10 000 tonnes mais doté, entre autres, de six canons de 280.

Un épisode tel que celui du Graf Spee se révèle en définitive être un message explicite au Reich de la part des alliés : vous avez beau contourner le Traité de Versailles, nous restons les maîtres. 6 mois plus tard, la réalité issue de la Campagne de France viendra apporter un cinglant démenti à ce propos.

Erwan LE GALL

 

1 « Une victoire navale de la flotte britannique », L’Ouest-Eclair, n°15 739, 15 décembre 1939, p. 1.

2 « A la veille d’une bataille navale », L’Ouest-Eclair, n°15741, 17 décembre 1939, p. 1.

3 « Une victoire navale de la flotte britannique », L’Ouest-Eclair, n°15 739, 15 décembre 1939, p. 1.

4 L’Ouest-Eclair, n°15742, 18 décembre 1939.