Un modèle de Résistance Yvon Pageot

En septembre 2013, la ville de Saint-Brieuc rendait hommage à Yvon Pageot en consacrant une exposition à ses modèles réduits au sein du Carré Rosengart. Ce bâtiment remarquable est l’exemple même d’une réhabilitation réussie du patrimoine industriel. Situé sur l’adorable port du Légué – vous savez, un vrai port, c’est-à-dire un endroit où l’on travaille et pas un lieu uniquement dédié à la plaisance – ce bâtiment de 10 000 m2 est en réalité une ancienne usine. Celle-ci porte d’ailleurs le nom de son fondateur, Lucien Rosengart. Ingénieur de formation, il ouvre d’abord un atelier de fabrication de vis et d’écrous, établissement qui avec la Première Guerre mondiale se transforme en fabrique d’obus, avant de créer en 1927 sa propre société de construction automobile.

Yvon Pageot a alors six ans mais sa carrière professionnelle est à bien des égards comparable à celle de Lucien Rosengart. En effet, l’a où l’un construit des voitures, l’autre les produit en modèle réduit ! Yvon Pageot est d’abord propriétaire d’un magasin de jouets et maquettes qui, de générations en générations, fait rêver petits et grands briochins puis, en 1975, il lance son entreprise – France-Maquette – et remporte plusieurs compétitions de modélisme radiocommandé. Ce sont d’ailleurs ses plus belles maquettes qui étaient exposées lors de cet hommage, retraçant ainsi quelques-unes des plus belles pages de l’histoire maritime.

Mais Yvon Pageot n’est pas qu’un entrepreneur de talent. Pilote chevronné, il rejoint dès le 19 juin 1940 l’Angleterre… aux commandes d’un bombardier. Après quelques missions de reconnaissances aériennes pour la Royal Air Force, il revient en Bretagne pour le compte du BCRA. A Saint-Brieuc, il établit rapidement une petite cellule de Résistance affiliée aux réseaux Confrérie Notre-Dame et Georges France 31. Parmi les agents du groupe on compte notamment un certain Michel Royer qui, à l’arrestation d’Yvon Pageot – en mai 1942 – prend la décision de rejoindre Londres par les Pyrénées1.

Transféré à Fresnes où il reste un an, puis à Compiègne, Yvon Pageot est déporté par mesure de répression le 17 septembre 1943 vers Buchenwald. Le voyage est difficilement imaginable :

« Nous étions 150 dans notre wagon en bois neuf, aux lucarnes condamnées, ne laissant pas entrer d’air. L’asphyxie gagna rapidement ; dans notre seul wagon, il y eut 75 morts à l’arrivée à Buchenwald. »

Crématoires de Buchenwald. Wikicommons.

Ceux-ci sont directement expédiés aux crématoires, sans même être identifiés. Immatriculé sous le numéro 21 672, Yvon Pageot est envoyé à Dora, gigantesque usine de construction de V2, alors camp satellite de Buchenwald. En avril 1945, Dora est évacué et Yvon Pageot échoue à Bergen-Belsen après être passé par Ravensbrück. Libéré par les Anglais, il arrive au Lutétia, à Paris, le 20 mai 1945.

De retour à Saint-Brieuc, il se marie le 31 décembre 1945 et entame la carrière que l’on sait. Encore une raison supplémentaire d’aller voir ce week-end la belle exposition du Carré Rosengart.

Erwan LE GALL

Source: KLEIN, Marie-Pierre et Pierre, Les Déportés des Côtes-du-Nord, avril 1914 / septembre 1944, Livre mémorial, Lanvallay, AFMD 22, 2007, p. 372-373.

 

1 Pour une analyse plus longue de l’engagement de Michel Royer on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « L’engagement des Français libres : une mise en perspective », in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.