Une autre idée de la Résistance
La Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale est une idée difficile à cerner tant elle peut s’incarner en de multiples formes : il y a certes la lutte armée mais aussi la production de faux-papiers, l’hébergement de clandestins, les agents de liaison… De plus, contrairement à ce que l’on peut bien souvent croire, il n’y a pas qu’en France métropolitaine que peuvent se développer des actions de Résistance, comme en témoigne ce passionnant rapport concernant le Laos, alors sous domination japonaise.
Ce document est particulièrement intéressant tant il souligne certaines permanences en montrant les points communs entre l’Indochine et la France. Tout d’abord, il rappelle la grande importance du renseignement, élément essentiel de l’activité clandestine. Et, là encore, ce qui se dessine en réalité c’est le principe de disponibilité fonctionnelle puisque la Résistance étant avant tout synonyme de recherche d’efficacité, elle recrute en fonction de ses besoins1. Et l’on remarquera à ce propos que le noyautage par le mouvement clandestin de la police laotienne n’est pas sans rappeler ce qui peut se passer dans certaines brigades de gendarmerie bretonnes à partir de la fin de l’année 1943.
Enfin, ajoutons que la victoire s’accompagne d’une reprise en main des services publics qui entraine, d’une part, la promotion d’agents jugés sûrs, dont cet Emmanuel Prigent, et d’autre part une certaine forme d’épuration des éléments corrompus avec le régime précédent. Si cette dernière dimension n’est pas évoquée dans le document, elle apparait néanmoins en filigrane, contrairement à la première, qui elle est très explicite. En effet, il est très clairement indiqué que les compétences de cet Emmanuel Prigent permettent « de rendre de précieux services dans le domaine de l’influence chinoise au Laos », à tel point que l’on ne sait presque plus, au final, si ce document a pour objet de rendre compte de l’activité clandestine d’un Résistant ou de servir de mémorandum pour le recrutement d’un agent de renseignement.
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| Carte postale. Collection particulière. |
Enfin, c’est également du point de vue de la décolonisation que ce document est intéressant car la Résistance dont il est question ici est franco-laotienne, ce qui implique un combat contre un ennemi commun, le Japon, mais également des objectifs politiques radicalement différents. Là encore, cette situation n’est pas sans rappeler l’hétérogénéité doctrinale de l’Armée des ombres en métropole, à la différence qu’au Laos celle-ci se matérialise par le « coup d’état » du 4 novembre 1945, jour de la prise de contrôle de Luang Prabang par les indépendantistes. Certes, cette autonomie n’est que provisoire et la France reprend rapidement pied dans la région mais ce point rappelle combien la Résistance est au final indissociable d’un projet politique, qui peut diverger selon les différentes forces clandestines en présence.
On le voit, la Résistance est un phénomène éminemment complexe tant il s’incarne en de multiples réalités. Aussi est-ce pourquoi il est indispensable de rendre compte de toutes ces dimensions sauf à vouloir écrire une histoire édulcorée, sans saveurs ni perspectives.
Erwan LE GALL
1 Sur cette question on renverra à l’indispensable PROST, Antoine (Dir.), La Résistance, une histoire sociale, Paris, Les Editions de l’Atelier, 1997.
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