Lire L’héroïsme de nos frères canadiens dans le cadre d’une approche régionale de la Grande Guerre

 

Pour accompagner la sortie des Petites patries dans la Grande Guerre aux Presses universitaires de Rennes, actes de la journée d'études Pour une approche régionale de la Grande Guerre organisée en novembre 2012, En Envor, Revue d'histoire contemporaine en Bretagne propose une relecture d'un article d'Armand Rio publié en novembre 1917. En effet, passé au prisme d'une approche régionale, ce texte prend un sens qui, par bien des égards, éclaire notre compréhension de la Première Guerre mondiale.

Par Erwan LE GALL

 

 

Il est encore difficile de dire si la multitude de manifestations devant se dérouler dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale contribuera ou non à renouveler en profondeur la compréhension de ce conflit1. En Bretagne, ce grand temps de mémoire a été lancé dès novembre 2012 avec l’organisation d’une journée d’études ayant pour objet le fait régional dans la Grande Guerre. Publiés par les Presses universitaires de Rennes, les actes présentent les communications des différents intervenants ainsi que plusieurs articles permettant d’aborder le sujet sous des latitudes plus ou moins éloignées de l’Armorique, de l’Alsace à la Nouvelle-Zélande en passant par le Québec2.

Belle province francophone d’un vaste pays où la langue de Shakespeare domine, le Québec est un cas particulièrement intéressant pour qui s’intéresse au fait régional dans la Grande Guerre. Spécialiste du sujet et auteur d’articles faisant référence sur la question3, C. Pépin rappelle dans la communication qu’il publie dans ce volume que l’histoire de l’engagement des canadiens-français au cours de ce conflit oscille toujours entre deux fidélités, celle « organique », d’une part, envers la couronne britannique puis, d’autre part, celle sans doute plus « affective » qui renvoie aux racines françaises des Québécois. Ce faisant, il démontre toute la complexité du fait régional pendant la Grande Guerre qui, loin de se limiter à des considérations strictement locales, questionne au contraire l’échelle nationale et celle, encore plus fragile sans doute, de l’alliance parfois contre nature des deux alliés que sont Londres et Paris.

 

Couverture du numéro du 15 juillet 1917 de Lectures pour tous. Collection privée.

Dans cette optique, la lecture de l’article d’Armand Rio sur « l’héroïsme de nos frères canadiens »4 se révèle d’un grand intérêt. Publié le 15 janvier 1917 dans l’illustré Lectures pour tous, celui-ci n’est bien entendu pas neutre. Emanation des éditions Hachette, il s’agit d’un bimensuel « populaire dont le contenu n’aborde que des thèmes accessibles au large public »5. Sa publication est interrompue en août 1914, pour ne reprendre que le 24 octobre suivant. L’ironie de l’histoire veut d’ailleurs que Lectures pour tous soit fondé par un homme de lettre aujourd’hui oublié, Victor Tissot, qui bien que Suisse est néanmoins né en Allemagne en août 18446.Ce détail ne manque pas de saveur puisqu’élément d’un soft power au service d’un pays non seulement en guerre mais plongé dans un conflit interminable et d’un coût, tant humain que financier, jusqu’alors inédit, la prose d’Armand Rio est bien évidement partiale et foncièrement anti-allemande.

Celui-ci ne s’en cache d’ailleurs pas puisqu’il justifie son propos en proclamant que « rendre hommage à un si magnifique effort [que celui prodigué par les Canadiens NDA] est pour nous un devoir que nous sommes heureux et fiers d’accomplir » (p. 517). Ce texte est donc bien une hagiographie d’un allié écrite en temps de guerre. Or plutôt que de renier cette source au motif que celle-ci s’inscrirait dans ce que certains qualifient encore de bourrage de crânes, il nous parait au contraire intéressant d’objectiver la subjectivité de cette plume qui, au final, a beaucoup à nous dire sur le fait régional, et plus particulièrement le cas canadien-français, pendant le premier conflit mondial. En effet, comme s’il souhaitait projeter l’Union Sacrée outre-Atlantique, Armand Rio englobe tous les combattants de la feuille d’érable dans le même ensemble, puisqu’ils sont tous « nos frères canadiens ». Mais, derrière cette unanimité de façade, se cachent des lignes de fractures plus profondes. Ainsi, dans le même temps, en combattant en France, ces hommes attestent « leur fidélité à leur ancienne patrie comme leur loyalisme vis-à-vis de l’Angleterre » (p. 517). Souvent métonymique, la stratégie rhétorique permet alors de saisir la place de la dimension régionale dans le discours d’Armand Rio.

 

 

Le Canada, si loin et pourtant si proche

La France et le Canada entretiennent une relation étroite, et ce   depuis longtemps. Les fêtes données à Saint-Malo en juillet 1905 en l’honneur de Jacques Cartier en sont un bel exemple puisque parmi les personnalités on compte un certain nombre de dignitaires français et canadiens7. Mais les discours prononcés lors de ce genre de cérémonies sont souvent trompeurs puisqu’ils ont plus pour fonction de célébrer une amitié dans un but incitatif que de décrire avec l’œil objectif des sciences sociales la force d’un lien. Aussi, à la veille de la mobilisation générale de l’été 1914, le Canada est sans doute une entité extrêmement lointaine pour nombre de Français.

L’exotisme de la feuille d’érable

C’est une réalité sans doute oubliée aujourd’hui que la Première Guerre mondiale exerce sur les contemporains des sentiments ambivalents. Si elle est bien entendu synonyme d’horreur absolue, elle n’est cependant pas sans susciter une certaine fascination.

L’aviation, les sous-marins et d’une manière générale l’ensemble des progrès technologiques accompagnant le conflit entrainent régulièrement l’émerveillement des petits comme des grands. Pour ne citer qu’un exemple, en mars 1915, l’illustré La Science et la Vie publie en couverture une illustration représentant la traque d’un U-boot par un dreadnought. Bien sûr, un tel choix éditorial s’accorde des contraintes du moment et s’insère dans la culture de guerre ambiante puisque le but proclamé de ce magazine est la publication de « numéros exceptionnels de guerre et de technique militaire dont la réunion, quand la paix aura délivré les peuples du cauchemar qui les étreint, constituera l’histoire complète du cataclysme déchaîné par l’ambition et les appétits de l’Allemagne » 8. Mais derrière l’impératif patriotique, il est indéniable que le sensationnalisme de cette couverture vise aussi à satisfaire une certaine curiosité … et des besoins d’ordre commercial.

 

Couverture du numéro 19 de l'illustré La Science et la vie daté de mars 1915.

De la même manière, en publiant le texte qu’Armand Rio consacre aux Canadiens, Lectures pour tous s’offre un article attractif pour le lectorat tout en respectant les normes imposées de la culture de guerre. A l’époque, la rencontre d’un canadien est en effet un spectacle probablement aussi sensationnel que celui d’un sous-marin ou d’un aéroplane. Il est difficile à l’heure actuelle, où l’on peut en vingt-quatre heures se rendre dans quasiment n’importe quel recoin de la planète, de s’imaginer combien la Première Guerre mondiale est un moment d’intense brassage de populations. Longtemps ignorée, la question des Chinois pendant la Première Guerre mondiale est désormais mieux connue, grâce notamment aux travaux de L. Ma. Ce sont pourtant pas moins de 140 000 Chinois qui viennent participer à l’effort de guerre et, par la même occasion, foulent pour la première fois le sol européen. Certains y laisseront même la vie9. Leur présence n’est d’ailleurs pas circonscrite à la zone des arrières puisque les Archives départementales de la Manche conservent des documents attestant la présence de travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale au sein de la 10e région militaire, et notamment à Cherbourg10. De la même manière, les quelques 130 000 Indiens qui viennent combattre en Artois et dans le Pas-de-Calais pendant la Grande Guerre sont tout simplement parmi les premiers à découvrir la France, si l’on excepte quelques fortunés maharajas11. Et que dire des 45 Rarotongas des îles Cook qui en 1916 stationnent dans le secteur d’Armentières ?12 On pourrait aussi évoquer les Indochinois ou les soldats africains qui en grand nombre découvrent la France à l’occasion de la Première Guerre mondiale. On connait d’ailleurs les discours de l’époque, non dénués de racisme, où « l’indigène s’émerveille de tout ce qu’il découvre »13.

Mais l’altérité fonctionne dans les deux sens et pour les Français, la Première Guerre mondiale est également l’occasion de côtoyer des peuples auparavant inconnus, ce qui n’est pas, là-aussi, sans exercer une certaine fascination. Pour le lecteur de 1917, des noms tels que Winnipeg, Alberta, Québec ou encore Saskatchewan suscitent indéniablement l’intérêt tant ils évoquent des univers lointains et pour tout dire, exotiques. Ce n’est sans doute pas un hasard si sur le cliché qui illustre la première page de l’article d’Armand Rio figurent deux soldats canadiens habillés en kilt. Indissociable de la volonté d’étancher la curiosité insatiable du lecteur, la folklorisation participe ici pleinement de l’exotisme du sujet traité. Le récit que donne L. David, un instituteur vendéen, d’un voyage effectué au Canada en 1908 est à ce titre révélateur des réactions que peut faire naître à l’époque cette contrée. Il s’agit en effet d’une destination lointaine qui exige un long voyage : le départ s’effectue en paquebot de Liverpool et le débarquement outre-Atlantique a lieu après 8 jours de traversée, bien souvent ponctués par un fort mal de mer, dans des cabines que seuls les plus riches voyageurs peuvent s’offrir individuelles14. C’est parce qu’elle est lointaine que cette terre est exotique.

Canadiens en kilt servant à illustrer l'article d'Armand Rio dans Lectures pour tous.

On remarquera néanmoins que sous la plume d’Armand Rio, l’altérité se cantonne aux populations canadiennes combattantes d’origine européenne et n’inclue à aucun moment  les populations amérindiennes. Non pas que celles-ci ne sont pas différentes ; elles sont justes passées sous silence. Or, en 1919, un rapport du gouvernement canadien estime à plus de 4 000 le nombre d’Indiens engagés pendant la Première Guerre mondiale, soit environ 35% de la population masculine en âge de porter les armes. Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Ecosse, la moitié des Micmacs et des Malécites aptes s’enrôlent. De même, nombreux sont les Algonquins à s’engager. On dénombre aussi des Ojibwas du nord de l’Ontario et même des Inuits. Négligée par Armand Rio, la participation autochtone à l’effort de guerre canadien est néanmoins réelle15. On profitera d’ailleurs de l’occasion pour remarquer que la doctrine canadienne d’emploi des troupes indiennes parait toujours osciller entre stéréotypes raciaux d’une part et, d’autre part, un certain pragmatisme. Perçus comme de redoutables chasseurs sachant se mouvoir en toute discrétion et dotés d’une adresse redoutable, ces soldats autochtones sont ainsi régulièrement affectés à des sections de tireurs ou d’éclaireurs. Soldat Ojibwa de 2e classe, Joseph de la Ronde illustre bien cette dualité. Titulaire de la médaille militaire, son colonel écrit en effet à son propos que « Indien de naissance, il donna un exemple remarquable du courage et de la persévérance de sa race »16. Rappelons à ce propos que sur ce point, Ottawa ne semble pas se différencier de Washington, comme le montre E. Cronier à propos des indiens Choctaw, régulièrement employés par l’armée américaine en tant que codetalkers17.

Un étrange allié

Compte tenu du processus de folklorisation utilisé par Armand Rio, il ne faut sans doute pas s’étonner de découvrir dans cet article de Lectures pour tous maints stéréotypes. Ces procédés rhétoriques sont en effet employés pour décrire ce curieux allié, si proche des populations françaises puisque combattant sur son sol, mais pourtant provenant de contrées si lointaines (p. 519):

« Quant à leur résistance physique, elle va de pair avec leur moral ; elle stupéfait quiconque oublierait qu’il n’est pas un de ces hommes qui ne soit rompu à tous les sports, que la vie de la prairie, la chasse et la forêt en ont fait des athlètes incomparables et rompus à toutes les    fatigues. Songez qu’une brigade canadienne de 6 000 hommes, la cinquième, après avoir passé tout le mois de décembre 1915 avec trois pieds d’eau dans les tranchées, n’a évacué qu’une centaine de malades à peine ! »

Bien des choses frappent en lisant ces propos. Les chiffres avancés comme attestation-même de la vérité décrite interpellent tant ils évoquent Winston Churchill, qui disait ne croire aux statistiques que quand il les avait lui-même falsifiées. Plus sérieusement, le Canadien est essentiellement vu comme un rural, comme si Toronto, Vancouver, Québec ou encore Montréal n’étaient pas de grandes villes. Pour information, en 1909, Québec compte 70 000 habitants tandis qu’Ottawa 60 000, Halifax 42 000, Toronto 215 00018. De même, en 1912, on dénombre 450 000 habitants à Montréal19.

En 1914, la foule se masse autour des armureries de Toronto. Wikicommons / City of Toronto archives, Fonds 1244, Item 766B.

Pour mémoire, Rennes compte au recensement de 1911 79 000 habitants, Nantes 170 000, Brest 90 000… Mais outre leur invraisemblance, c’est bien au final un certain manque d’originalité qui attire l’attention dans le propos d’Armand Rio puisqu’à l’en croire, si les Canadiens sont des combattants aussi valeureux, c’est du fait de la météorologie spécifique à ce pays. Or J.-Y. Le Naour démontre que c’est précisément cette théorie des climats élaborée par Montesquieu au XVIIIe siècle qui alimente nombre de stéréotypes liés au Midi de la France. De la même manière, on connait les propos du commandant Bourguet pour qui, si les combattants Bretons sont si valeureux, c’est précisément parce qu’ils vivent perpétuellement dans la brume20.

Aussi, le portrait dressé par Armand Rio interpelle tant il participe d’un processus de déréalisation de la guerre. A l’en croire, le combat serait moins une materialshaft qu’une partie de chasse, le combattant canadien un être terré sous les obus qu’un trappeur (p. 522) :

« D’abord ce sont des tireurs extraordinaires que ces chasseurs des bois, dont l’appel de Georges V a fait des soldats. […] Ajoutez à cela tout ce que la vie presque solitaire au cœur de la forêt ou sur l’océan des prairies leur a donné d’initiative individuelle. Ils sont débrouillards en diable. L’armée anglaise a trouvé en eux des patrouilleurs sans rivaux. C’est un jour, en décembre 1915, une patrouille du 3e bataillon du Canadian Royal Highlanders qui se glisse par les brèches non repérées des fils de fer ennemis, à 30 pieds des parapets allemands, et achève tranquillement sa reconnaissance sans être vue. Le lendemain une autre patrouille de trois hommes se faufile à nouveau au cœur des fils de fer, découvre un parti ennemi et, à la lumière des projecteurs envoyés des tranchées allemandes, l’extermine à coups de bombes. Leur sport favori, c’est d’enlever les sentinelles, de les ficeler comme saucisses en un tour de main et de les rapporter en triomphe. »

L’influence du roman d’aventure – et sans doute encore plus du personnage de Davy Crockett – est  ici manifeste. En conséquence, le soldat canadien est paré de toutes les vertus du héros légendaire, à commencer par une témérité et une bravoure sans égales puisqu’il est « insensible aux pertes, en un merveilleux mépris de la mort » (p. 520). On ne manquera pas de remarquer combien ce tableau contraste avec celui donné en 1912 par L. David, instituteur vendéen imbibé de républicanisme. Ne voyant dans le Canada qu’une terre de refuge pour ceux qui  « anciens officiers, nobles déchus appartenant aux anciens partis royalistes ou réactionnaires veulent fuir la France moderne », il décrit ses habitants comme n’ayant « aucune des qualités qui distinguent la race française : la vertu, l’honnêteté, l’honneur, la morale y sont des mots creux qui s’appliquent à des choses mortes […] »21.

Cette illustration accompagnant l'article d'Armand Rio semble tout droit tirée d'un western. Elle est accompagnée de la légende suivante: "Au camp canadien: à l'école de ces rudes cavaliers, l'apprenti devient vite un maître".

Le Canada tel que vu par Armand Rio, et par extension le combattant canadien, est donc le fruit d’une construction intellectuelle parfaitement artificielle, complètement déconnectée de la réalité. Mais il est remarquable de constater combien cette construction contraste diamétralement avec l’image, tout aussi factice, qui peut-être véhiculée quelques mois seulement avant le conflit. Enfin, on remarquera la place particulière accordée au folklore et à l’exotisme, autant d’éléments qui sont ici des outils rhétoriques convoqués à la fois pour susciter l’appétit du lecteur et pour apposer des grilles de lecture permettant d’insérer le sujet décrit dans un réel certes imaginaire, mais connu.

 

Projeter l’Union sacrée22 au Canada

Ce discours est sans doute essentiel pour que puisse être dressé un parallèle entre cette contrée si lointaine et la France, ce dans le but de démontrer la force de l’engagement des Canadiens dans la guerre aux côtés des alliés et, par la même occasion, l’ignominie des Allemands.

Ottawa, Reims et Louvain

C’est d’ailleurs en décrivant l’incendie du parlement canadien survenu à Ottawa le 3 février 1916 qu’Armand Rio débute son article (p. 517) :

« Cinq explosions formidables retentirent soudain. En quelques minutes, un ouragan de feu se déchaîna à travers l’édifice et envahit la salle des séances. Le premier ministre, M. Borden, surpris dans son cabinet de travail, eut à peine le temps de fuir. Le ministre de l’agriculture, M. Burnett, eut le visage et les mains brûlés. La femme du « speaker » dut sauter d’une fenêtre, de sept mètres de haut ; on sauva ses enfants par miracle. Deux de ses amies périssaient asphyxiées, trois secrétaires écrasés sous l’écroulement de la tour du Nord. Le député de Yarmouth, M. Law, et le greffier de la Chambre des Communes étaient au nombre des victimes. Du splendide monument, il ne restait plus que des ruines fumantes, et le Canada avait, dès ce jour-là, son Reims et son Louvain. »

La destruction du parlement fédéral à Ottawa est assurément un traumatisme pour la toute jeune nation canadienne. En cela, Armand Rio a sans doute raison de comparer cet événement aux destructions de la cathédrale de Reims et de la bibliothèque de Louvain. Un point néanmoins mérite d’être signalé.

Carte postale. University of South Carolina, Joseph M. Bruccoli Great Wr Collection, postcards, D 522.P67634.

Si pour l’historiographie ce sinistre semble bien être d’origine accidentelle, pour Armand Rio elle ne l’est pas puisque selon lui il faut y voir là l’œuvre des « bombes allemandes » (p. 517). Notons d’ailleurs que ce point de vue n’est pas unique. Le traitement de l’incendie du parlement canadien par Le Temps est à cet égard particulièrement révélateur. C’est le 5 février, à partir d’un télégramme d’agence, que le journal évoque l’événement dans sa rubrique « Dernières nouvelles », en seulement quelques lignes, par manque d’éléments. Néanmoins, dès ce jour s’élabore une mise en récit indissociable de la culture de guerre ambiante :

« Un télégramme d’Ottawa annonce qu’un violent incendie s’est déclaré dans les bâtiments de la Chambre des députés, au cours de la séance.
On ne sait encore si députés et spectateurs réussirent tous à se sauver, et on craint des victimes.
Une heure après que le feu fut déclaré, une violente explosion retentit. On croit que cette catastrophe est un nouvel attentat des Allemands.
Les bâtiments sont déjà presque totalement détruits. »23

Le lendemain, le quotidien confirme en première page, dans un état de la « situation diplomatique » du jour, que le sinistre est bien l’œuvre des « incendiaires allemands »24. Un article en page intérieure détaille pour sa part les circonstances de la catastrophe et fixe une narration semblable à celle que livre, onze mois plus tard, Armand Rio. Le journal insiste bien entendu sur les flammes et l’ampleur du brasier tout en donnant quelques éléments « sensationnels ». Ainsi, on apprend que « la femme du speaker n’a pu échapper à la mort qu’en sautant d’une fenêtre dans un filet de sauvetage ». Mais, alors que la chose paraissait entendue en « une », Le Temps explique en seconde page de ce même numéro daté du 6 février 1916 que non seulement l’enquête en cours n’a pas encore livré ses conclusions mais que, de surcroît, le sinistre paraît être d’origine accidentelle :

« Un député, M. Mac Lean, a exprimé l’opinion que l’incendie était dû à la malveillance. Le feu s’est déclaré dans la salle de lecture, qui était encombrée de paperasses et couverte de panneaux en bois. Une seule personne, une dame, s’y trouvait pour consulter des collections. Elle a raconté qu’elle a vu se produire une grande étincelle qui a mis le feu à une pile de journaux. Une légère détonation suivit. Démentant les bruits qui tendent à attribuer l’incendie à la malveillance, la police d’Ottawa assure que la catastrophe est purement accidentelle. L’enquête faite n’a pas établi encore les causes exactes du sinistre. »25

Pourtant, malgré cette position équilibrée en seconde page, c’est bien la version attribuant la catastrophe à l’Allemagne qui s’impose dans les colonnes du Temps. Il faut dire que la succession des événements semble plaider contre la modération26.

Le pont Victoria enjambant le Saint-Laurent à Montréal. Wikicommons.

Ainsi, le 7 février, le quotidien qui, pendant l’entre-deux guerres, aura la réputation d’être l’organe officieux du Quai d’Orsay, fait état de deux nouveaux incendies au Canada, l’un dans une usine d’uniformes militaires, l’autre dans une fabrique de munitions. Pire, une « tentative criminelle » semble avoir été déjouée à Montréal, contre le pont Victoria, ouvrage d’art long de 3 kilomètres enjambant le Saint-Laurent27. S’en est sans doute trop pour Le Temps qui, le lendemain, annonce en des termes assez similaires à ceux employés onze mois plus tard par Armand Rio,

« la découverte d’un complot allemand qui avait son centre aux Etats-Unis et se proposait d’organiser une incursion armée au Canada. La destruction du canal de Welland28 était un des premiers était objectifs que recherchaient les organisateurs de cette expédition en vue de laquelle de grandes quantités d’armes avaient été secrètement réunies le long de la frontière canadienne. L’incendie du Parlement d’Ottawa, les attentats contre les fabriques de munitions sont l’œuvre des conspirateurs teutons qui continuent à abuser de l’hospitalité américaine pour perpétuer leurs crimes sur le territoire-même de la République transatlantique tout en préparant la guerre chez ses voisins. »29

Une telle escalade dans la désinformation peut surprendre de la part d’un quotidien aussi sérieux que Le Temps. Or, elle semble bien être l’écho de la fébrilité qui, au même moment, gagne l’Amérique du Nord. A Ottawa, le Citizen suspecte le 9 février plusieurs départs de feu dans le sinistre ayant ravagé une usine de munitions30. A Moncton, dans le Nouveau-Brunswick, l’Acadien consacre la « une » de son numéro de la veille à l’arrestation du pianiste de la cantatrice canadienne Louise Edvina alors qu’il se rendait à Chicago, ville dont la mauvaise réputation n’est plus à établir. Suspecté d’être impliqué dans l’incendie du Parlement, il est en réalité un citoyen belge dont le seul tort est – semble-t-il – de parler avec « un accent bien allemand »31. Si la police continue à maintenir la thèse de l’accident, comme le rapporte la Gazette de Montréal le 5 février 191632, le Daily Herald de Calgary se demande lui très sérieusement si les extincteurs du parlement n’étaient pas remplis de liquide inflammable, ce qui serait la preuve certaine de la culpabilité de l’Allemagne33. La classe politique semble également assez prompte à débusquer la main de l’Allemagne derrière ces mystérieux faits divers, quitte à entretenir la psychose dans la population. Ainsi, dans le texte d’Armand Rio, la référence à Reims et Louvain n’est pas une belle formule jaillie de sa plume mais un emprunt au discours de l’ancien premier ministre, Sir Wilfrid Laurier, livrant son analyse suite à la destruction du Parlement à Ottawa :

« Il ne semble pas y avoir de doute sur la cause de l’incendie. Le Canada a maintenant son Louvain et son Reims. »34

Répondre à l’appel de Londres

Dans ces conditions, il n’est sans doute pas étonnant de voir le Canada prêter « spontanément » son concours à l’effort de guerre de la Grande-Bretagne. C’est en tout cas ce qu’explique Armand Rio (p. 518) :

« A l’appel de l’Angleterre, de chaque village des volontaires surgissent. Tâcherons, cultivateurs, forestiers, employés de commerce et de banque, élèves des universités, jeunes millionnaires des riches familles canadiennes, enfiévrés d’une même ardeur, ils ne briguent les uns et les autres que l’honneur d’être simples soldats. Les bureaux de recrutement refusent impitoyablement d’enrôler avant vingt ans ; ils mettent les quadragénaires à la porte. Jeunes garçons et barbons reviennent à la charge. A Winnipeg, un enfant de seize ans, Johnson Douglass, se présente, offrant ses bras et ses yeux clairs à l’Empire et au Roi. […] »

L’analogie avec une France qui partirait pour une guerre « fraîche et joyeuse », « la fleur au fusil », est assez troublante. D’ailleurs, tout comme la Bretagne s’enorgueillit de Corentin Carré, le Canada est fier de Johnson Douglass, volontaire de seize ans. Peu importe pour notre propos que C. Pépin démontre dans ses travaux combien peut être beaucoup plus complexe la réalité au Canada, notamment chez les Canadien-français qui acceptent difficilement la conscription35.

Affiche de recrutement canadienne-française. Musée candien de la Guerre: 19750046-009.

Ce qui compte, c’est au contraire l’unanimité qui semble se dégager derrière ce propos. En effet, le procédé rhétorique employé par Armand Rio est caractéristique d’une volonté explicite de projeter l’Union sacrée au Canada. A l’en croire, le Canada serait un et indivisible. Mais cette vision jacobine ne résiste pas à l’épreuve des faits. Non seulement on a vu plus haut qu’Armand Rio exclut de son propos les populations autochtones mais, de plus, il semble ignorer qu’en 1914, 500 000 Canadiens – soit tout de même un habitant sur quatorze – est d’origine allemande ou austro-hongroise36. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans cet article, les auteurs de ces attentats sont, « maquillés en réfugiés belges, des officiers allemands » arrivant des Etats-Unis. Il est vrai que le Wisconsin, connu pour son immigration allemande, n’est séparé de la frontière canadienne que par quelques kilomètres.

Mais au-delà de ces questions liées aux minorités, S. Haroun montre que la Première Guerre mondiale questionne l’identité même du Canada et révèle le fossé qui existe alors entre deux conceptions radicalement différentes de la destinée de ce pays : « Les Canadiens anglais, notamment ceux d’entre eux – et ils étaient nombreux – qui étaient nés en Angleterre et qui étaient arrivés récemment au Canada, croyaient appartenir à une nation britannique d’Amérique du Nord, appelée à façonner les destinées de l’Empire sur ce continent , alors que les Canadiens français, établis au Canada depuis trois siècles et n’ayant avec leur mère patrie que des rapports distants, étaient persuadés qu’une petite nation nord-américaine comme la leur devait s’occuper de ses propres affaires et s’épargner les aventures guerrières dans de lointaines contrées »37. Sans doute contestable sur la forme puisque tous les Canadiens français ne sont pas établis en Amérique du Nord depuis le XVIIIe siècle38, un tel propos est d’importance sur le fond puisqu’il dit bien combien un événement tel que la Grande Guerre questionne l’unité du Canada en tant que Nation. La longueur du conflit et la litanie des morts ne fait bien entendu rien pour combler ce fossé. Or Armand Rio publie son texte en 1917, année par excellence du fléchissement des consentements. Au Canada, et non plus au seul Québec, la situation devient telle que le ministre de la milice, au moment de la création d’un nouveau bataillon, se voit apostropher de la sorte : « Mes compatriotes d’origine française de l’Ontario, Canadiens comme vous, subissent maintenant un régime pire que celui qui est imposé par les Prussiens en Alsace-Lorraine »39. Propos sans doute excessif mais qui témoigne néanmoins d’une indéniable fracture.

Donnant une vision monolithique de ce pays, Armand Rio calque en réalité l’Union sacrée française – qui est elle-même bien souvent plus une posture qu’une réalité – sur ce qu’il imagine du Canada.

Il n’est dès lors pas étonnant que sous sa plume, les soldats de ces deux pays soient confrontés au même péril allemand. Or c’est précisément ce qui arrive lors de la seconde bataille d’Ypres le 22 avril 1915, dans le secteur de Langemark. A cette occasion, Français et Canadiens sont d’ailleurs d’autant plus unis qu’ils subissent le premier bombardement massif de gaz toxiques : 150 tonnes de chlore contenues dans 5830 cylindres sont libérées dans l’atmosphère sur un front de six kilomètres, aux alentours du canal de l’Yser.  Si les Français s’intéressent à ce type d’armes assez tôt en travaillant, avant même 1914, sur des projectiles dénommés « cartouches suffocantes », ainsi que sur quelques modèles de grenades lacrymogènes, ce sont bien les Allemands qui franchissent un pas décisif dans la genèse de la guerre chimique.
Image patriotique: "Canada! 22-24 avril 1915". Collection privée.

Certes l’emploi de gaz n’est assurément pas une nouveauté, mais le 22 avril 1915 marque néanmoins un tournant décisif du warfare en ce qu’à partir de ce jour l’arme chimique est désormais employée à grande échelle et avec une efficacité meurtrière sans précédent. Le choc en est d’autant plus violent qu’il est suivi immédiatement d’une immense polémique, l’usage d’une telle arme étant tenu comme une preuve certaine de la barbarie de l’ennemi40.

Effort de guerre ou stratégie diplomatique ?

On comprend dès lors pourquoi, sous la plume d’Armand Rio, Canadiens et Français sont unis pour « la cause commune » (p.523). A l’en croire, comme en France, cette solidarité se mesure à l’extrême implication de l’arrière.

Celle-ci est d’abord visible sur le plan de la mobilisation des ressources économiques canadiennes. L’effort de guerre est avant tout industriel et par nature gigantesque, comme en témoigne l’article (p. 522-523):

« L’an dernier, à Montréal, à Hamilton, à Toronto, toutes les grandes industries se sont converties en fabrique d’obus. 329 établissements produisaient de jour et de nuit du matériel. 250 autres sont venus depuis apporter l’appoint de leur production. 10 000 petits industriels se sont offerts.
Les chiffres disent assez haut l’excellence des résultats. En une année de guerre, exactement jusqu’au début de septembre 1915, le Canada avait fourni à la cause commune pour 3 millions de francs de baïonnettes et 15 millions de francs de fusils. Les munitions et petites armes atteignent un total de 22 millions, les obus à la lyddite 116 millions, les shrapnells 202 millions et demi. Il est sorti en un an des usines canadiennes des obusiers représentant 140 millions de francs, des avant-trains d’artillerie 1 million, des cuisines roulantes 1 millions et demi, des wagons pour chevaux 1 700 000 francs. »

Un contigent canadien débarque en Angleterre, en route pour le front, en France. Illustration de l'article d'Armand Rio.

Les chiffres donnent le tournis – mais tel est bien là l’intention de l’auteur – et  ne peuvent être égalés que par les faramineuses richesses naturelles de l’eldorado canadien, tout naturellement mises au service de l’effort de guerre allié (p. 522):

« En cuivre, en nickel, en zinc, en minerai de fer rouge, les ressources du Dominion sont considérables. Il possède, notamment à Bell Island, des gisements sous-marins d’hématite d’une importance énorme, évalués à plus de 3 milliards 500 millions de tonnes. »

Mais l’extrême mobilisation de l’arrière canadien est également d’ordre caritatif. Ainsi l’exemple de l’hôpital de Dinard (Ille-et-Vilaine) financé par le Canada est-il particulièrement mis en avant (p. 524). A en croire Armand Rio, tout le pays se distingue par un « magnifique élan de générosité » (p. 523). Il est vrai que, comme le dit joliment A. Lechiver, la mondialisation de la guerre entraîne la mondialisation du soutien humanitaire. Or, dans une analyse particulièrement instructive de l’action caritative du Comité France Amérique – une organisation qui comme son nom ne l’indique pas est Canadienne-Française et est créée avant-guerre afin de resserrer les liens entre les deux pays – entre 1914 et 1918, cet historien décèle une triple logique qui n’est pas dénuée d’arrière-pensées. Bien entendu, en temps de guerre, la première fonction d’une telle organisation est d’ordre humanitaire et, en l’occurrence, cible plus précisément les populations civiles. Mais une telle activité n’est pas sans desseins politiques et mercantiles, que cela soit vis-à-vis des Canadiens anglais ou des Français eux-mêmes. Le président de ce comité, Raoul Dandurand, en est lui-même un bon exemple puisqu’il escompte qu’une telle aide contribue au développement après-guerre des relations économiques canadiennes. Enfin, le soutien de la feuille d’érable est bien moins spontané que ne semble l’envisager Armand Rio puisque lors des heures tragiques d’août 1914, avant que ne s’opère le « miracle de la Marne », c’est bien Paris qui sollicite l’aide du Comité France Canada et non celui-ci qui se propose41.

Robert Borden. Wikicommons / National archives of Canada.
Mais en insistant sur les liens forts qui unissent le Canada et la Grande-Bretagne, Armand Rio néglige la signification politique de la participation canadienne à la Grande Guerre. En effet, pour Ottawa, participer au conflit c’est s’assurer d’un certain poids sur l’échiquier diplomatique de l’Empire britannique. En d’autres termes, c’est s’affirmer pour mieux faire valoir ses vues à Londres. C’est d’ailleurs ce qu’explique très explicitement le Premier ministre canadien Robert Borden en 1916 : « Il serait difficilement concevable que nous envoyions 400 000 ou 500 000 soldats sur les champs de bataille et qu’en échange nous renoncions à avoir une voix au chapitre et que nous ne recevions pas plus d’égards que des automates »42.

Bien entendu, Londres ne considère pas tout-à-fait les choses de la sorte, la feuille d’érable comptant à ses yeux parmi les innombrables ressources de la couronne britannique, au même titre que l’Australie ou l’Inde. Or à en croire S. Haroun, ce malentendu n’est pas sans répercussions sur l’effort de guerre canadien, tout particulièrement lorsque celui-ci est envisagé dans sa dimension militaire. En effet, la Force expéditionnaire canadienne demeure tout au long du conflit sous l’emprise du commandement stratégique britannique, comme un reflet du lien de subordination qui existerait entre les deux pays43. Mais le Canada se considère bien du côté des vainqueurs de la guerre, à rang égal de la France ou du Royaume-Uni. D’ailleurs, dans son édition du 22 avril 1919, c’est-à-dire à une date où le traité de Versailles n’est pas encore signé, Le Devoir, quotidien dirigé par Henri Bourassa, se demande faussement ingénu,« si l’Allemagne paie une indemnité de guerre considérable aux Alliés, qu’en touchera le Canada ? »44.

Encore une fois, même lorsqu’il s’agit de louer l’effort de guerre canadien, la prose d’Armand Rio se révèle après examen bien naïve. Précisons toutefois qu’il est bien loin d’être en France le seul à se méprendre de la sorte. Ainsi de Tommies et Gourkas, publiée dans la collection Patrie qui « raconte chaque semaine un épisode de la Grande Guerre, émouvant, dramatique, vécu, puisé dans la glorieuse épopée » et entend être au final « la véritable publication destinée à perpétuer l'admiration pour les héros et l'exécration pour les barbares ».

L’auteur, A. Norec, y livre un panégyrique de la Grande-Bretagne qui non seulement aurait paru complètement impensable vingt ans plus tôt mais, de plus, se révèle au final bien loin de la réalité :

« C'est la gloire de l'incomparable colonisatrice qu'est l'Angleterre d'avoir laissé à ses enfants émigrés dans le monde entier et aux autres descendants d'Européens mêlés à eux, cette absolue autonomie politique qui fait de la plupart des immenses possessions britanniques autant de républiques autonomes rattachées à la mère-patrie par un lien moral. Lien qui n'est jamais une chaîne! »45

Comme Armand Rio, Norec postule que le Canada répond le plus spontanément du monde à l’appel du Londres, sans calcul. Ces deux textes sont d’ailleurs tous deux publiés dans la première partie de l’année 1917. Et comme Rio, Norec dresse de ce pays un tableau qui ne peut que laisser songeur. Ainsi fait-il dire à un Québécois à propos des Canadiens anglais :

Affiche de recrutement. Wikicommons, National archives of Canada.

« — Eh oui, disait Morel, nos arrières grands-pères se sont combattus à Québec. Ils se sont massacrés, sans peut-être trop savoir pourquoi ; la guerre est toujours horrible, n'est-ce pas, sauf dans les romans. Pourtant, vainqueurs et vaincus se sont réconciliés et aujourd'hui ne forment plus qu'un seul peuple ; le même monument a reçu les restes de Wolf et de Montcalm, les deux généraux adversaires plutôt qu'ennemis, tués l'un et J'autre à la prise de Québec. Et aujourd'hui les Canadiens, sans distinction d'origine luttent aux côtés des Anglais et des Français contre les barbares d'Allemagne. »46

 

Du fait régional chez Armand Rio

Il serait donc particulièrement hasardeux de se baser sur l’article d’Armand Rio pour tenter de comprendre l’action du Canada pendant la Première Guerre mondiale. Néanmoins, il n’en demeure pas moins qu’en publiant cet article, Lectures pour tous offre une importante source à quiconque s’intéresse au fait régional pendant la Grande Guerre.

Derrière l’Union sacrée, une mosaïque d’appartenances

En effet, Armand Rio ne nie pas le caractère composite de la nation canadienne. Notamment, la spécificité québécoise est évoquée à plusieurs reprises. Mais à l’en croire, toutes les provinces du pays marchent résolument du même pas, étant comme mues par une sorte d’émulation patriotique, toute au service de la couronne britannique (p. 518):

« Chaque province n’a plus qu’un désir : dépasser le chiffre des volontaires obtenu par les autres. Elle organise des parades pour le recrutement. Alberta arrive en tête de la liste ; aux derniers mois de 1915, elle avait fourni à elle seule 20 000 engagés, le cinquième de sa population, qui se préparaient à la guerre à Sarcee-Camp, près des antiques ruines indiennes de Calgary. Le Manitoba et le Saskatchewan viennent ensuite avec un enrôlement total de 24 000 hommes, le tiers de sa population. L’Ontario, les Provinces maritimes, Québec donnent des chiffres un peu inférieurs, superbes encore. »

Affiche de recrutement. Archives of Ontario War Poster Collection, C 233-2-8-0-264.

On l’a vu, un tel discours ne résiste pas à l’épreuve des faits et tout particulièrement à l’examen de la question de la conscription chez les Canadiens français. De même, les quelques plans qui, effectivement envisagent des raids pro-allemands au Canada – voire même une invasion pure et simple du pays – à partir des Etats-Unis sont sur ce point, bien que complètement délirants sur le plan opérationnel, particulièrement significatifs. En effet, tous ont en commun de compter sur le sentiment antibritannique de la population canadienne. Les communautés germanophones, mais également irlandaises, sont alors perçues comme des alliés « naturels » de la politique de Berlin contre Londres au Canada. Certes, ces plans sont aussi loufoques que leurs auteurs instables psychologiquement47. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont des objets d’histoire d’un grand intérêt dans le cadre d’une approche régionale de la Grande Guerre. On pourra certes avancer que ces plans surestiment la valeur – sur le plan quantitatif – de ces communautés et qu’au final, jamais l’opinion publique canadienne ne bascule dans un sentiment pro-allemand. Au contraire même puisque c’est plutôt l’inverse qui se produit. On pourra également soutenir à raison que, s’il existe effectivement un certain sentiment antibritannique au Canada, celui-ci est moins un soutien à l’Allemagne qu’un refus de la guerre et une volonté de conserver une position isolationniste. Mais, au final, le plus important pour notre propos est de voir que la vision que donnent du Canada ces plans, pour être inexacte, n’en est pas moins diamétralement opposée à l’unanimisme que véhicule la plume d’Armand Rio.

On peut d’ailleurs se demander si, là encore, le journaliste de Lectures pour tous ne plaque pas son discours régional sur la réalité qui existe en France. En effet, contrairement à ce que l’on peut trop souvent lire, la Troisième république ne nie pas le fait régional. Au contraire même, puisque dans sa pédagogie patriotique, elle estime l’enseignement de l’amour de la « petite patrie » comme étant indispensable à celui de la grande. Mais si la France tire sa force de sa diversité, ce discours insiste bien sur le fait que non seulement ces provinces ne sont aucunement adverses – le Breton n’est pas l’ennemi du Normand, du Corse ou du Basque – mais que, de surcroît, elles ne peuvent avoir d’existence en dehors du cadre national. Comme le résume parfaitement A.-M. Thiesse, « la France est variété dans l’unité » et il ne peut y avoir de salut en dehors de cette voie48.

La métonymie régionale

En voulant projeter l’Union Sacrée, et de manière plus générale les schémas d’interprétation français, au Canada, cet article de Lectures pour tous confère une place singulière aux éléments relevant d’un certain localisme. Venant à l’appui d’une démonstration orientée sur le plan idéologique, l’exemple local se veut nécessairement représentatif de la situation du pays dans son ensemble (p. 524) : « Venant à l’aide de tous les Alliés pour la cause commune, les Canadiens ont tenu à nous donner une preuve particulière de leur amour, à nous crier par-delà les mers qu’ils se souvenaient du sang français qui coulent dans les veines de tant de leurs fils, qu’ils étaient doublement nous avec nous par le cœur et par la race ».

Peu importe pour Armand Rio que les Canadiens ne soient pas tous descendants d’immigrants français, le cas des Québécois est la partie prise pour le tout, ce qui en terme rhétorique se dénomme métonymie.

Affiche de recrutement. Archives of Ontario War Poster Collection, C 233-2-8-0-243.

C’est d’ailleurs probablement dans la dernière phrase de l’article que ce phénomène atteint son apogée, quand l’auteur assimile la Belle province au pays dans son ensemble (p. 524). C’est en effet dans l’emploi de l’adjectif canadien que se place toute l’ambiguïté du propos d’Armand Rio :

« En sept mois la Croix-Rouge du Dominion a expédié aux hôpitaux de Boulogne et de Paris 28 000 caisses de marchandises et 11 000 paquets de vêtements. Les souscriptions ont atteint 2 500 000 francs. Les infirmières canadiennes sont aujourd’hui 600 en France penchées sur nos soldats, heureuses, ont-elles crié à la face de l’Allemand, heureuses infiniment de prouver que la Nouvelle-France n’a jamais cessé d’aimer l’ancienne France, qu’elle leur a jalousement gardé le meilleur d’elle-même, son âme et son dévouement. »

Il est à cet égard frappant de remarquer que ce procédé rhétorique n’est pas, chez Armand Rio, l’apanage de la feuille d’érable. En effet, la métonymie concerne aussi la Belgique (p. 523) :

« Mais souscrire, c’est placer son argent, ce n’est pas le donner, et le Canada veut donner. Avec quelle générosité jamais lasse et quel bel élan de tous ! A la Belgique d’abord, à la Belgique crucifiée, dont sa merveilleuse moisson assure en grande partie le ravitaillement. Gouvernements et villes rivalisent pour soutenir de leur argent le comité de secours belge. […] Aux Flamands qui meurent de faim, Alberta donne 5 000 sacs de farine, le Nouveau-Brunswick 15 000 barils de pomme de terre ; à ceux qui meurent de froid la Nouvelle-Ecosse expédie des vêtements. »

Passant sous silence les Wallons, Armand Rio érige les Flamands en une synthèse du peuple belge, situation d’autant plus surprenante lorsque l’on connait les logiques parfois divergentes qui conduisent ces deux communautés pendant la Première Guerre mondiale. Si 60% des soldats de l’armée belge sont Flamands, la langue du commandement est le français, c’est-à-dire celle de la communauté wallonne49. Encore une fois, l’élément local  est considéré pour le tout afin d’aller dans le sens d’une unanimité nationale qui, en bien des cas, peut s’avérer assez éloignée d’une réalité plus complexe, pour ne pas dire problématique.

Un tel constat amène d’ailleurs à s’interroger sur la fonction du sentiment régional pendant la Première Guerre mondiale. On sait en effet que lorsque celui-ci est ressenti par un acteur, il sert à l’inscrire territorialement dans un vaste jeu où les appartenances géographiques sont autant de matriochkas : petite patrie / région / nation / Triple-Entente ou Triplice50. Mais à la lecture de l’article d’Armand Rio, on peut se demander si, à l’inverse, l’appartenance régionale, quand elle est observée de l’extérieur par le prisme de l’altérité, n’est pas systématiquement mis au profit d’un discours de guerre où la patrie résume le tout, faisant fi des spécificités locales.

 

L'héroïsme de nos frères canadiens est donc une excellente source pour quiconque s’intéresse au fait régional pendant la Grande Guerre. Sa lecture permet notamment de déceler nombre de stéréotypes français à propos de ce pays et de voir comment celui-ci est compris au travers du prisme français. Mais en définitive, ce qui frappe dans l’article d’Armand Rio n’est pas tant ce qu’il dit de la situation au Canada pendant la Grande Guerre que ce que ce texte révèle de l’idée régionale pendant le conflit.

En effet, dans bien des cas, celle-ci parait plus solide que le concept national. Si l’unité du Canada en tant que pays ne parait jamais sérieusement en danger pendant la Première Guerre mondiale, il n’en demeure pas moins que son coût humain, et plus particulièrement la question de la conscription, ne sont pas sans poser de graves problèmes. Aujourd’hui encore, le souvenir des émeutes de Québec51 constitue une sorte de point de contraction mémorielle. Le Canada n’est d’ailleurs pas un exemple unique. C’est d’ailleurs outre-Rhin que la situation est probablement, de ce point de vue, la plus critique. En effet, on y sait la notion de heimat particulièrement forte52. Or, récemment, M.-B. Vincent a démontré que non seulement c’est l’échelon régional qui se substitue au délitement de l’Etat allemand plongé dans les affres de la défaite mais que c’est, semble-t-il, ce même échelon régional qui précipite la chute du Reich en cessant de lui accorder sa confiance53. Révélant les contradictions internes des Nations, la Grande Guerre n’en souligne pas moins une certaine intemporalité des régions, probablement perçues alors comme de rassurants refuges.

Erwan LE GALL

 

 

1 Nous tenons à remercier tout particulièrement Erik Soulard sans qui nous n’aurions pas pu avoir connaissance de cette source. Qu’il soit assuré à travers ces lignes de notre profonde gratitude.

2 BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.

3 PEPIN, Carl, « 1914-1918 : la guerre des Canadiens-Français », Revue historique des armées, n°266, 2012, p. 29-39.

4 RIO, Armand, « L’héroïsme de nos frères canadiens », Lectures pour tous, 15 janvier 1917, p. 517-524. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet article seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

5 CHAUVAUD, Cloé sous la direction de GASTOU, Pierre, BORDES, François et BERNARD, Catherine, Guide des sources illustrées sur la guerre 1914-1918 aux archives municipales de Toulouse, 1913-2008, en ligne, p. 8.

6 NAEF, Henri, « Le centenaire de Victor Tissot », La Gazette de Lausanne, 148e année, n°191, 11 août 1945, p. 3.

7 « En l’honneur de Jacques Cartier », L’Ouest-Eclair, n°3 058, Lundi 24 juillet 1905, p. 3.

8 La Science et la Vie, n°19, mars 1915.

9 MA, Li, Les travailleurs chinois en France pendant la Première Guerre mondiale, Paris, CNRS Editions, 2012.

10 Arch. Dép. Manche : 4 S, arrondissement maritime de Cherbourg, document visible sur http://centenaire.org/fr/tresors-darchives/image-darchive/les-archives-departementales-de-la-manche

11 MARKOVITS, Claude, « Les soldats indiens au secours de la France en 1914 », Hommes & migrations, n°1268-1269, juillet-octobre 2007, p. 44-59.

12 PHILIPPE, Nathalie, « La Nouvelle-Zélande dans la Grande Guerre : de la région coloniale à la nation », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, op. cit., p. 207.

13 Sur cette question, on renverra à RUSCIO, Alain, Le Crédo de l’homme blanc, Bruxelles, Complexe, 2002.

14 DAVID, L., Voyage au Canada, raconté au jour le jour d’après les impressions reçues, Angoulême, Imprimerie ouvrière, 1912. Peut-être ceci explique-t-il le tableau particulièrement sombre – en tous points contraire à celui d’Armand Rio – que  dresse l’auteur du Canada et de ses habitants.

15 Pour une première approche sur cette question, on renverra à MOSES, John avec GRAVES, Donald et SINCLAIR, Warren, Un aperçu de la participation des peuples autochtones à l’histoire militaire canadienne, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 2004, p. 63-67, en ligne.

16 MORTON, Desmond, « Les canadiens indigènes engagés dans la Première Guerre mondiale », Guerre mondiale et conflits contemporains, n°230, 2008-2, p. 37-49.

17 CRONIER, Emmanuelle, « Les particularismes culturels, support du moral des troupes alliées pendant la Grande Guerre, in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, op. cit., p. 218-219.

18 VIGNES, J.-E., La Vérité sur le Canada, Paris, Union internationale d’éditions, 1909, p. 37-43.

19 DAVID, L., Voyage au Canada, …, op. cit., p. 5.

20 BOURGUET, Samuel, Lieutenant-colonel, L'Aube sanglante. De La Boisselle (octobre 1914) à Tahure (septembre 1915), Paris, Berger-Levrault, 1917, p. 68-69.

21 DAVID, L., Voyage au Canada, …, op. cit., p. 11-12

22 Nous entendons ici le terme d’Union sacrée dans son acceptation la plus large, c’est-à-dire comme la cohésion d’une population du fait de l’état de guerre, et non comme le seul syncrétisme qui s’empare des sphères politiques nationales pendant le premier conflit mondial.

23 « Grave incendie au Parlement du Canada », Le Temps, n°19336, 5 février 1916, p. 4.

24 « La situation diplomatique », Le Temps, n°19937, 6 février 1916, p. 1.

25 « L’incendie du parlement canadien », Le Temps, n°19937, 6 février 1916, p. 2.

26 Pour une approche globale de la question, KITCHEN, Martin, « The German Invasion of Canada in the First World War », The International History Review, Vol. 7, n°2, may 1985, p. 245-260.

27 « Nouveaux incendies » et « Autre tentative criminelle », Le Temps, n°19338, 7 février 1916, p. 2.

28 Canal navigable reliant les lacs Ontario et Erié.

29 « La situation diplomatique », Le Temps, n°19940, 9 février 1916, p. 1.

30 « Three separate fires found in munitions factory blaze », The Citizen, 9 février 1916, p. 2.

31 « Le pianiste de Mme Edvina arrêté à Windsor comme suspect », L’Acadien, Vol III, n° 22, 8 février 1916, p. 1.

32 « Fire was set and well set », The Gazette, Vol. CXLV, n°31, p. 1

33 « Where extinguishers charged with some inflammable stuff ? », The Calgary Daily Herald, 33e année, n°4033, 5 février 1916, p. 1.

34 « L’incendie du parlement canadien », Le Temps, n°19938, 7 février 1916, p. 2.

35 PEPIN, Carl, « Le Québec entre France et Canada : la question de l’effort de guerre canadien-français (1914-1918) », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, op. cit., p. 177-197.

36 HERD THOMPSON, John, Les minorités ethniques pendant les guerres mondiales, Ottawa, Société historique du Canada / direction du multiculturalisme du gouvernement du Canada, 1991, p. 4.

37 HAROUN, Sam, Le Canada et la guerre. Essai sur l’engagement militaire canadien de Laurier à Harper, Québec, Septentrion, 2009, p. 10-11.

38 Sur cette question, voir notamment LE BIHAN, Jean, « L’émigration vers le Canada au début du XXe siècle : le témoignage de la jeune Scaëroise Marguerite Carduner (1893-1963 », Bulletins de la Société archéologique du Finistère, n°127, 1998, p. 351-360 et LE BIHAN, Jean, « Enquête sur une famille bretonne émigrée au Canada (1903-1920) », Prairie Forum, The Journal of the Canadian Plains Research Center, University of Regina, 22/1, printemps 1997, p. 73-101.

39 HAROUN, Sam, Le Canada et la guerre…, op.cit., p. 35.

40 Sur la question de la guerre des gaz, LEPICK, Olivier, « Les armes chimiques », in AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Jean-Jacques (Dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 269-281 ainsi que WALLER, Laurence, « Poison Gas during the First World War », The History Blog, en ligne, http://www.thehistoryblog.co.uk/blog/poison-gas-during-the-first-world-war/

41 LACHIVER, Alban, « Le soutien humanitaire canadien-français à la France en 1914-1918 », Guerres mondiales et conflits contemporains, n°179, juillet 1995, p. 147-173.

42 Haroun, Sam, Le Canada et la guerre…, op.cit., p. 26.

43 Haroun, Sam, Le Canada et la guerre…, op.cit., p. 27-28.

44 « Une demi-milliard ? »,  Le Devoir,  Volume X, n°93, 22 avril 1919, p. 1.

45 NORREC, A., Tommies et Gourkas, Paris, F. Rouff éditeur, 1917, p. 22.

46 Ibid., p. 24.

47 KITCHEN, Martin, « The German Invasion of Canada… », art. cit.

48 THIESSE, Anne-Marie, Ils apprenaient la France. L’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 1997.

49 Sur ce point on renverra à BOURLET, Michaël, La Belgique et la Grande Guerre, Paris, SOTECA, 2012, p. 101-105 et 117.

50 C’est ce que nous avons essayé de démontrer dans LE GALL, Erwan, « Saint-Malo, la Bretagne, la France : des multiples inscriptions territoriales du 47e régiment d’infanterie », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, op. cit., p. 63-79.

51 Sur cette question, outre l’article de PEPIN, Carl, « Le Québec entre France et Canada .. », art. cit.,  on renverra à ANDERSON, Pierre, « Les émeutes de 1918 », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, vol. 1, n°1, 1985, p. 27-29, en ligne.

52 Sur cette question, CHANOIR, Yohann, « Deutschland über alles ? La Vaterland à l’épreuve des identités régionales durant la Grande Guerre », in BOULOC, François, CAZALS, Rémy et LOEZ, André (Dir.), Identités troublées 1914-1918. Les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre, Toulouse, Privat, 2011, p. 101-114.

53 VINCENT, Marie-Bénédicte, « Quand les fonctionnaires doutent de l’Etat. Le délitement de l’administration allemande pendant la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°59-2, avril-juin 2012, p. 56-83.