Écologistes et autonomistes entre opposition et collaboration en Bretagne et au Pays de Galles (années 1970-aujourd'hui)

 

Si le clivage entre progressistes et conservateurs est à peu près universel, les logiques partisanes peuvent varier suivant les localités, les régions ou même les pays. Ce sont ces particularismes qui aboutissent à des logiques politiques qui, parfois, peuvent être radicalement différentes. Démonstration au Pays de Galles et en Bretagne par l’intermédiaire des relations mouvementées entre écologistes et autonomistes.

Par Martin SILORET

 

 

En Bretagne et au Pays de Galles comme dans d'autres régions européennes, l'essor des écologistes dans le paysage politique depuis les années 1970 s'est effectué dans un contexte spécifique : la présence de mouvements et formations autonomistes1 actifs et à l'implantation militante, institutionnelle et électorale non négligeable. Comme nous allons le voir, ces circonstances ont été déterminantes dans le développement du mouvement écologiste, de par les proximités idéologiques entre écologistes et autonomistes, les collaborations entre organisations, mais aussi les débats et clivages suscités par cette coexistence.

Bretagne et Pays de Galles présentent cependant deux cas contrastés : tandis qu'au Pays de Galles le Green Party émerge tardivement dans les années 1980 et reste (à ce jour) nettement plus faible que les autonomistes du Plaid Cymru du point de vue électoral, institutionnel et militant, en Bretagne au contraire le mouvement breton associatif et culturel étant dénué d'une forte traduction partisane propre, les écologistes surpassent l'Union démocratique bretonne, principal parti autonomiste, dès le tournant des années 1980. Cette asymétrie des rapports de forces entre les deux régions n'a pas empêché l'existence de relations poussées dans les deux cas mais en a déterminé les contours.

Centrée sur l'analyse des débats idéologiques et des relations interpartisanes, cet article se focalise donc sur les formations suivantes : les partis écologistes principaux, Les Verts Bretagne et le Wales Green Party2 et les partis autonomistes principaux UDB et Plaid Cymru3. L'émergence, assez largement concomitante, des partis écologistes et nationalitaires se déroulant au cours des années 1970, nous commencerons donc pour l'essentiel notre analyse à cette date, en accordant une attention particulière au tournant des années 1990, caractérisé par un  pic électoral des  partis écologistes.

Une route du Pays de Galles. Carte postale. Collection particulière.

La comparaison de ces deux configurations bretonne et galloise doit nous aider à comprendre les différents facteurs entrant en jeu dans les relations entre autonomistes et écologistes. Pour ce faire cet article procède en deux temps, étudiant d'abord les relations idéologiques entretenues par les deux familles politiques puis les relations institutionnelles entre les deux partis au sein des deux pays. Ce découpage correspond également une certaine chronologie car, on va le voir, les relations interpartisanes sont pour une part la conséquence de prédispositions et d'évolutions idéologiques antérieures. Pour autant ne perdons pas de vue le fait que ces dernières sont elles-mêmes, en partie, le produit de contacts entre ces familles politiques, notamment informels (interpersonnelles), indirects (via des publications), résultats de mobilisations sociales ou associatives communes (collectifs pacifistes ou anti-nucléaires) ou plus prosaïquement de rapports de forces (électorales ou militantes).

 

Clivages et rapprochements idéologiques

Plaid Cymru et UDB, malgré leur proximité politique actuelle4, ont des origines radicalement différentes dont l'examen éclaire en partie leurs relations ultérieures avec les écologistes.

Plaid Cymru et UDB : des idéologies aux parcours dissemblables mais convergents

Le Plaid Cymru est fondé en 1925 par des nationalistes gallois soucieux de renforcer la défense de la langue galloise et de réduire l'emprise de Londres sur le Pays de Galles5. Le parti s'inscrit dès lors en opposition frontale avec les partis britanniques dominants, y compris le Labour et même les Libéraux-démocrates qui avaient pourtant au Pays de Galles esquissé des positions fédéralistes.  L'UDB naît elle quarante ans plus tard, en 1964, à partir d'une scission de gauche du Mouvement pour l'organisation de la Bretagne. Marxiste, elle tente de participer à l'Union de la gauche, démarche inverse de celle du Plaid Cymru qui construit sa progression électorale sur une indépendance sans faille.

Ces positions asymétriques dans le système partisan s'accompagnent de bases philosophiques et politiques divergentes. Longtemps étranger au clivage droite-gauche ou plus précisément capitalisme-marxisme, le Plaid Cymru est marqué par un nationalisme culturel axé sur la défense de la langue et la valorisation de la décentralisation, y compris à l'échelle du Pays de Galles lui-même6. Un corollaire de cette protection du patrimoine culturel est une critique fondamentale de l'industrialisation7. Le nationalisme gallois partage donc à l'origine, à partir de prémices différents, la critique de l'industrialisme avec le mouvement écologiste. Certains membres sont d'ailleurs attentifs aux thèses écologistes qui percent en Grande-Bretagne au début des années 19708. L'UDB défend au contraire le développement économique et industriel de la Bretagne de manière univoque – les marées noires, centrales nucléaires et le remembrement qui frappent alors la Bretagne sont dans un premier temps attribuées au capitalisme et au colonialisme interne plutôt qu'au développement industriel en lui-même. La vigueur du mouvement anti-nucléaire et la politisation des associations environnementalistes la poussent cependant, à partir de 1980, à s'ouvrir davantage à la critique écologique du développement9. Or le Plaid initie au même moment un  virage vers la gauche, symbolisé par l'adhésion de plusieurs travaillistes comme l'intellectuel Raymond Williams10. En outre l'échec du référendum sur la devolution en 1979 conduit le parti à chercher d'autres champs de mobilisation. Cela facilite leur rapprochement ultérieur, à partir de 1987, avec les thèses écologistes, dans un contexte de montée à l'agenda médiatique de plusieurs enjeux environnementaux (pluies acides, pollution radioactive, couche d'ozone...).

Au Pays de Galles et en Bretagne, des écologistes inégalement sensibles au régionalisme culturel et politique

Les deux partis autonomistes, hormis leurs différences, partagent la dénonciation du militarisme et en particulier de l'armement atomique britannique et français, corollaire du centralisme et de l'impérialisme condamné par ailleurs. Ces positions constituent un pont potentiel avec des écologistes traversés par la non-violence, particulièrement au début des années 1980, caractérisé par un regain de la course aux armements et de la peur de la guerre nucléaire. Au Pays de Galles la vitalité du CND (Campaign for Nuclear Disarmament) dans l'opposition aux gouvernements de Margaret Thatcher fait se côtoyer écologistes et nationalistes, dont deux dirigeants importants : Gwynfor Evans, leader historique du Plaid, profondément anti-militariste, et Brig Oubridge, militant de premier plan du Green Party11, d'origine anglaise, tous deux habitant la région de Carmarthen. En revanche en France et en Bretagne la faiblesse du mouvement pacifiste ne donne lieu qu'à des collaborations épisodiques, l'UDB ne manquant pas de reprocher aux écologistes de donner la priorité à la lutte contre le nucléaire civil au détriment du combat, plus ancien, contre le nucléaire militaire12.

Gwynfor Evans (debout) lors d'une réunion électorale en 1959. Wikicommons.

En Bretagne c'est davantage la convergence entre environnementalisme et régionalisme culturel est décisive. Militants écologistes et autonomistes sont nombreux à considérer le combat pour le patrimoine naturel breton comme la continuité de la défense du patrimoine culturel, contre l'uniformisation produite par le centralisme étatique13. Les luttes des années 1970 contre le nucléaire, contre le remembrement arbitraire, de défense des rivières, sont investies de représentations culturelles bretonnes14 et font participer des « militants bretons » qui ultérieurement rejoindront ou soutiendront les Verts, comme Tangi Louarn ou Gweltaz Ar Fur.

La situation à cet égard est radicalement différente au Pays de Galles. En effet, la stabilité du modèle agricole, la précocité de la construction des centrales nucléaires15 et le fort clivage entre un Sud-Est industrialisé et un Nord-Ouest rural empêchent le surgissement de mouvements écologistes significatifs dans les années 1970. La mouvance écologiste politique ne se structure au sein du Wales Ecology Party qu'à partir de 197916. Or l'afflux d'adhérents concerne avant tout le Sud-Est urbain, anglicisé de longue date, où la prégnance de l'enjeu culturel et linguistique gallois est faible. Quant aux adhérents du Nord, ils proviennent en bonne partie de l'immigration anglaise récente, engagés en écologie davantage pour dénoncer l'urbanisation et l'industrialisation à outrance (particulièrement en Angleterre17) que pour protéger un patrimoine rural local auquel ils sont encore peu liés. L'hostilité de certains écologistes à l'égard de tout « nationalisme » (comme par exemple l'éventualité d'un statut obligatoire pour la langue galloise) jouera d'ailleurs un rôle décisif dans l'échec des tentatives de collaboration entre Plaid Cymru et Green Party au milieu des années 1990.

 

Des relations interpartisanes difficiles et discontinues

Jusqu'au début des années 1980, les partis écologistes sont pour ainsi dire absents du paysage politique, au Pays de Galles comme en Bretagne. En effet la branche galloise de l'Ecology Party se structure à peine et reste faible, tandis que les écologistes bretons restent éclatés dans plusieurs organisations et comités locaux jusqu'en 1982. S'ils côtoient les militants des partis autonomistes au sein de collectifs et lors de manifestations, leur souci premier sur le plan électoral n'est pas la collaboration mais l'affirmation de leur existence autonome ; inversement, UDB et surtout Plaid Cymru ne les considèrent pas comme des partenaires prioritaires. Ainsi l'UDB  rejette les conditions mises par les Verts à l'élaboration d'une liste commune pour les élections régionales de 1986 et se contente d'une alliance avec le Parti socialiste unifié et la Ligue communiste révolutionnaire ; le Plaid Cymru quant à lui est suffisamment puissant pour se présenter seul aux élections18.

La percée concomitante des écologistes : premières collaborations avec les partis autonomistes

C'est la montée en puissance de l'électorat vert qui va convaincre les partis autonomistes de chercher des alliances avec les écologistes. En 1986, la concurrence entre les listes UDB-LCR-PSU et Verts se conclut à l'avantage de ces derniers dans tous les départements bretons (malgré la médiocrité des scores, nulle part supérieurs à 5%) avec une conséquence amère pour l'UDB : aucune représentation au conseil régional. Le caractère incontournable des Verts pour l'UDB se confirme avec l'élection présidentielle de 1988 puis les élections européennes de 198919. Au Pays de Galles ces mêmes élections européennes20 conduisent immédiatement à une prise de contact officielle, mais celle-ci fait suite à des échanges informels qui ont commencé plus tôt. En effet, nombre de militants verts, en particulier de la région de Ceredigion (centre-ouest du pays), s'intéressent de manière croissante au fil des années 1980 à l'enjeu linguistique gallois qui fait écho à la valorisation par l'écologie politique de la décentralisation et de la diversité culturelle. Certains, y compris parmi ceux d'origine anglaise, vont jusqu'à prendre des cours de Gallois. Côtoyant les militants du Plaid Cymru dans une région où ce parti est en forte progression et marqué par  les personnalités de Phil Williams et Cynog Dafis, ils en viennent à considérer le parti nationaliste comme un partenaire naturel à l'avenir. L'un d'entre eux, Ken Jones, entreprend une critique systématique du programme du Plaid Cymru pour les élections générales de 1987, jugé trop industrialiste. Cette interpellation trouve un certain écho au sein de celui-ci mais c'est la percée du Green Party aux élections européennes de juin 1989 qui permet d'officialiser les échanges bi-partisans.

Le Peuple breton organe de l'Union démocratique bretonne. Wikicommons.

Mais ces discussions à l'échelle régionale ne sont que le préalable à des accords interpartisans qui s'effectuent à l'échelle locale. En Bretagne les élections municipales de 1989 voient la formation de listes écologistes incluant des membres de l'UDB en Basse-Bretagne, à Lorient et Quimper notamment ; elles reflètent la réorganisation du paysage politique de la gauche alternative, avec les autonomistes et les autogestionnaires (des membres du PSU sont également de la partie), autour des réseaux écologistes. Dès 1988 au Pays de Galles des contacts locaux sont pris par certains écologistes afin d'éviter de concurrencer mutuellement les candidats aux élections locales21.

L'accord Plaid Cymru/Green Party de Ceredigion (1992) : une convergence locale sans lendemain

Au Pays de Galles les contacts sont très poussés dans la région de Ceredigion alors que l'échéance des élections générales s'approchent : au vu de la progression du Plaid Cymru, la conquête du siège de MP est envisageable pour son candidat Cynog Dafis, mais le soutien du Green party apparaît comme décisif (le candidat écologiste avait devancé le Plaid Cymru lors des élections européennes de 1989). La branche locale du Green Party (le Ceredigion and Pembroke North Green Party) accepte en avril 1991 de ne pas présenter de candidat et de soutenir Cynog Dafis en contrepartie d'un programme à forte tonalité verte et de l'assurance, en cas d'élection, du recrutement d'un membre du GP comme collaborateur parlementaire22. Le succès électoral éclatant de 199223 et le recrutement du vert Victor Anderson n'empêche pas ce choix d'être radicalement contesté ailleurs au Pays de Galles. Plusieurs adhérents distinguent radicalement la relocalisation  prônée par les verts de la politique « identitaire » du Plaid Cymru24 et considèrent que l'accord local de Ceredigion a des répercussions négatives ailleurs au Pays de Galles. Cynog Dafis n'hésite pas en effet à se prévaloir de son statut de « Green MP » et la menace d'une récupération de la percée verte par le Plaid Cymru se fait sentir. Par ailleurs, l'hésitation de Dafydd Elis Thomas (ancien président du Plaid Cymru), MP de la circonscription accueillant la centrale nucléaire de Trawsfynnydd (Meirionnydd Nant Conwy), au sujet de la fermeture de celle-ci et du sort de ses salariés met en doute la réalité du virage écologique du parti. L'acharnement de ces adversaires du Plaid Cymru, dans un contexte de reflux de la vague verte du tournant des années 1990, va vite avoir raison de la collaboration locale entre les deux partis, qui est officiellement close en juillet 199525.

La vigueur de ces affrontements au sein du Green Party au Pays de Galles mais également en Angleterre révèle plusieurs axes de tension. Tout d'abord, la volonté de certains militants de subvertir une vie politique caractérisée par la confrontation systématique entre partis, et donc de travailler à des accords partisans, entre en contradiction avec l'originalité proclamée des valeurs et du projet de société écologiste vis-à-vis des autres partis et à plus forte raison des partis dominants, catégorie dont relève le Plaid Cymru dans bien des régions galloises. Cette contradiction recoupe le clivage entre fondamentalistes et réalistes (pour reprendre les termes d'abord utilisés à propos des Grünen allemands26) qui conduira notamment au départ du Green Party de Jonathon Porritt, figure historique, après avoir activement soutenu la candidate du Plaid Cymru de la circonscription aux élections européennes de 199427, contre le candidat vert officiel Chris Busby, adversaire déterminé du Plaid. D'autre part, la prégnance du mode de scrutin uninominal majoritaire par circonscription pour les élections générales et la règle de la sélection locale des candidats donne une portée régionale (voire britannique) à certains choix locaux, avec les désaccords et conflits que cela entraîne. Enfin, la faible institutionnalisation du Green Party, ses règles de fonctionnement n'ayant pas toutes été éprouvées et recelant des imprécisions ou des vides juridiques, ainsi que le déclin du nombre de militants au début des années 199028, permet aux relations interpersonnelles d'acquérir un poids décisif y compris dans les conflits politiques, qui deviennent difficiles à résoudre sur le plan juridique ou politique. Parmi les conséquences de cet épisode conflictuel figure l'affaiblissement conséquent de la branche locale du Green party en Ceredigion, plusieurs membres actifs le quittant voire rejoignant le Plaid Cymru, à l'instar d'Alun Williams.

Sur une plage du Ceredigion, au Pays de Galles. Carte postale. Collection particulière.

Depuis lors les deux partis n'ont pas collaboré à l'échelle régionale, ce qui n'empêcha pas le Plaid Cymru de progresser très fortement jusqu'à son pic électoral de 1999 (29,6 % aux élections européennes) en partie grâce à la modération de son discours autonomiste29. Le retour rapide à un étiage inférieur à 20 % l'a conduit à proposer au Green Party, lors des élections européennes successives, de constituer des listes communes, jusqu'ici en vain, Jill Evans parvenant malgré tout à préserver son siège conquis en 199930.

En Bretagne, une progression régulière de la collaboration électorale jusqu'en 2010

La situation bretonne du début des années 1990 diffère sensiblement de celle prévalant au Pays de Galles. Croyant dans leur bonne étoile, les Verts bretons rejettent majoritairement en 1991 l'éventualité d'un accord électoral avec l'UDB pour les élections régionales de 199231, mais les contacts restent étroits avec le parti autonomiste par l'intermédiaire de Christian Guyonvarc'h, alors collaborateur des députés européens de l'Alliance Libre Européenne, proches du groupe Vert32. C'est d'ailleurs dans le Morbihan, où il réside et où la collaboration militante entre les deux familles politique est ancienne, qu'un accord est passé pour les élections législatives de 1993 puis pour les élections cantonales de 1994.

Comprendre la suite des relations entre Verts et UDB impose de prendre en compte le rôle d'un troisième acteur, le Parti socialiste. Jusqu'au milieu des années 1990 les Verts s'étaient refusés à conclure des alliances électorales (du moins au premier tour) avec lui, reprochant d'ailleurs à l'UDB de trop souvent lui céder. L'arrivée à la tête des Verts français des partisans d'alliances à gauche, au premier rang desquels le breton Yves Cochet, puis la constitution de l'alliance de Gauche plurielle pour les élections législatives de 1997, renverse la situation. En Bretagne comme ailleurs en France des candidats communs PS-Verts sont présentés33, tandis que l'UDB opère un partage des circonscriptions avec le petit parti écologiste de Noël Mamère Convergence Écologie-Solidarités. Rebelote lors des élections régionales de 1998 qui voient les Verts intégrer les listes menées par le PS (hormis dans le Finistère) au grand dam de l'UDB qui en est réduite de nouveau à présenter des listes autonomes, une nouvelle fois sans obtenir aucun élu34. Il faut alors attendre 2003 pour que les deux partis renouent une collaboration à l'échelle régionale : les Verts viennent de sortir d'une gauche plurielle vaincue en 2002 et l'UDB entend ne pas rater le coche des élections régionales de 2004. Le succès de leur liste commune au premier tour de celle-ci (9,7%) contribue à la victoire de l'union des gauches au second tour (58,8%) et ouvre une nouvelle période de collaboration étroite entre les deux partis35. Pourtant, la dégradation des relations avec le Parti socialiste en 2010 (Jean-Yves Le Drian refuse la fusion des listes au second tour) et sa victoire aux élections présidentielle et législatives de 2012 conduisent à un nouveau divorce. En effet les élections législatives se soldent par la défaite de tous les candidats écologistes en Bretagne malgré le soutien socialiste36 tandis que l'UDB parvient à faire élire son candidat Paul Molac dans la circonscription de Ploërmel. Dans la foulée, les élus UDB rejoignent la majorité au conseil régional, parachevant la marginalisation des élus écologistes. S'ouvre alors une nouvelle période de concurrence entre les deux formations37.

Affiches de l'Union démocratique bretonne pour le oui au référendum français sur le traité établissant une constitution pour l'Europe du 29 mai 2005. Wikicommons.

Les échanges intenses et/ou durables dans les deux pays entre Verts et partis autonomistes s'avèrent particulièrement éclairants quant aux relations entre écologistes et autonomistes en général. Dans cette perspective, le rôle tenu par l'échelon politique européen est remarquable : nous avons vu comment la collaboration entre autonomistes et écologistes au Parlement européen avait pu faciliter les relations au niveau régional en Bretagne dans les années 1990. De même dans les années 1980 les contacts entre Plaid Cymru et les Allemands de Die Grünen ont-ils participé à la prise de contact directe entre Green Party gallois et le Plaid.

Pour autant, il est nécessaire de souligner des variables qui semblent déterminantes. D'abord le degré d'enracinement électoral des partis autonomistes : ainsi la centralité du Plaid Cymru au Pays de Galles rend difficile le consensus en son sein sur les questions environnementales et notamment l'énergie nucléaire. Ensuite, la connexion des partis écologistes avec les réseaux culturels régionalistes : beaucoup plus forte en Bretagne, elle a permis aux deux familles politiques de se côtoyer de près depuis les années 1970. D'autre part, l'environnement institutionnel et le système de partis : il encourage les accords inter-partisans entre formations de gauche en Bretagne, beaucoup moins au Pays de Galles. Enfin, le déséquilibre des rapports de force électoral et institutionnel, très prononcé au Pays de Galles, ne facilite pas la collaboration entre deux partis qui situent de ce fait leur action dans des champs et registres différents : militantisme contestataire pour le Green Party, davantage institutionnel pour le Plaid.

Malgré tous ces facteurs qui favorisent la collaboration entre écologistes et autonomistes en Bretagne, celle-ci reste redevable de clivages persistants, notamment autour du développement économique de la région38, et du contexte politique immédiat, en particulier les relations avec le PS, partenaire occasionnel des deux formations.

Martin SILORET

Doctorant, CERHIO-CNRS UMR 6258

 

 

 

 

 

1 Les termes d'autonomisme et de partis autonomistes recouvrent divers degrés de radicalité (du régionalisme à l'indépendantisme) ainsi qu'une diversité de caractéristiques idéologiques. Les deux partis étudiés ici, Union démocratique bretonne (UDB) et Plaid Cymru (« Parti du Pays de Galles » en gallois), correspondent à la sous-catégorie des partis dits nationalitaires : relevant de régions périphériques, orientés à gauche sur le plan socio-économique, marqués par l'internationalisme. SEILER, Daniel-Louis, Les partis autonomistes en Europe, Paris, Presses universitaires de France, 1982, p. 23.

2 Jusqu'en 1985, le WGP porte le nom, sur le modèle de la structure britannique, de Wales Ecology Party (WEP).

3 Ce couple écologistes/nationalitaires se retrouve à l'échelle européenne avec les relations entre Parti Vert Européen (PVE, issu de la Coordination des partis verts européens née en 1984 et regroupant entre autres Verts et Green Party) et Alliance Libre Européenne (ALE, née en 1980 et regroupant des partis nationalitaires dont le Plaid puis l'UDB à partir de 1987). 

4 Le Peuple Breton, journal de l'UDB, se réjouissait en 1973 d'une scission à la gauche du Plaid Cymru, décrit comme étant « dirigé par la bourgeoisie galloise ». Quinze ans plus tard, le Plaid Cymru est qualifié de « parti frère ». « Au Pays de Galles, du nouveau... », Le Peuple Breton, n°121, novembre 1973, p. 14, et « Europe. Minorités en Congrès », Le Peuple Breton, n°294, juin 1988, p. 2.

5 MC ALLISTER, Laura, Plaid Cymru. The Emergence of a Political Party, Bridgend, Seren, 2001, p. 22-23.

6 D'où l'écho trouvé au Plaid Cymru par un des ouvrages phares pour les écologistes des années 1970, Small is beautiful, notamment auprès du président du parti G. Evans. MC ALLISTER, Laura, op. cit., p. 65 et SCHUMACHER, Ernst Friedrich, Small is Beautiful. Economics as if people mattered, London, Perennial Library, 1975.

7 SANDRY, Alan, Plaid Cymru. An ideological analysis, Cardiff, Welsh Academic Press, 2011, p. 60-66.

8 Le futur Member of Parliament (député) Cynog Dafis est par exemple un lecteur assidu de la revue The Ecologist (entretien avec Cynog Dafis le 16 mai 2013). Quant au scientifique Phil Williams, vice-président du parti dans les années 1980 et principal responsable de son programme politique, on trouve dans son ouvrage de 1981 des analyses très critiques de la croissance du niveau de vie et de la société technicienne. WILLIAMS, Phil, Voice from the Valleys, Aberystwyth, Plaid Cymru, 1981.

9 Voir SILORET, Martin, « L'UDB et l'écologie politique, 1974-2004 » in KERNALEGENN, Tdu et PASQUIER, Romain (dir.), L'UDB. Un parti autonomiste dans un État unitaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

10 MC ALLISTER, Laura, op. cit., p. 56.

11 Gwynfor Evans resta 36 ans à la présidence du Plaid Cymru jusqu'à 1981 puis assura la vice-président de la branche galloise du CND. Brig Oubridge était alors coordinateur de l'Ecology party au Pays de Galles mais aussi membre de la direction britannique du parti vert à plusieurs reprises dans les années 1980. Voir la biographie de Gwynfor Evans : EVANS, Rhys, Gwynfor Evans. A Portait of a Patriot, Talybont, Y Lolfa, 2008, p. 436 et 445.

12 « Un léger décalage... » (édito), Le Peuple Breton, juillet 1980, n°198, p. 32.

13 BARTHELEMY, Tiphaine et WEBER, Florence, « Les militants de la nature en Bretagne. Quels parcours, Quels projets ? » in MATTHIEU, Nicolas et JOLLIVET, Marc, Du rural à l'environnement, La question de la nature aujourd'hui, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 146-155.

14 KERNALEGENN, Tudi, Luttes écologistes dans le Finistère, 1967-1981, Les chemins bretons de l'écologie, Fouesnant, Yoran Embanner, 2006, p. 227-239.

15 Les chantiers des deux centrales galloises de Trawsfynydd et de Wylfa datent respectivement de 1959 et de 1963, à l'instar de la centrale bretonne de Brennilis (1962). Sur le contexte britannique, voir RÜDIG, Wolfgang, « Maintaining a low profile: the anti-nuclear movement and the British State », in FLAM, Helena (éd.), States and anti-nuclear movements, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1994.

16 Avec la sortie de l'Ecology Party de l'anonymat à l'échelle britannique à l'occasion de la campagne des élections européennes, lors de laquelle ils bénéficient pour la première fois de l'accès à la campagne télévisée.

17 Le mouvement écologiste politique britannique et en particulier la fondation du parti écologiste en 1972 résulte directement de ces préoccupations parfois qualifiées de catastrophistes ou « survivalistes ». Voir VELDMAN, Meredith, Fantasy, the Bomb, and the Greening of Britain, Romantic Protest 1945-1980, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 208 et 239-240.

18 Le Plaid Cymru remporte à partir de 1974 à chaque élection générale de 2 à 3 sièges avec un minimum de 7,3 % des voix sur la quarantaine de circonscriptions. L'Ecology Party n'est lui pas en mesure de présenter des candidats partout ; seuls 7 en 1983 par exemple, le meilleur score étant remporté par un médecin généraliste particulièrement implanté dans sa circonscription (Ogmore, sud-est) : 2,94 %.

20 En 1988, l'UDB soutient le rénovateur communiste Pierre Juquin mais tire un bilan négatif de l'expérience sur le plan tant électoral que politique ; en 1989 les Verts remportent 12,3 % des voix.

20 Le Plaid Cymru y recueille 12,3 % des voix et le Green Party effectue une percée avec 11,3 %.

21 Entretien avec Alun Williams, 16 mai 2013.

22 SIMPSON, Chris, « What's going on in Ceredigion ? », document à l'attention de l'assemblée générale du Green Party d'Angleterre et du pays de Galles, automne 1994. Archives privées Chris Simpson.

23 Cynog Dafis est élu Member of Parliament avec 30,3 % des voix contre 16,2 % seulement en 1987, son concurrent libéral-démocrate Geraint Howells passant de 36,6 % à 25,1 %, un basculement d'une ampleur inédite cette année-là en Grande-Bretagne. FOWLER, Carwyn et JONES, Rhys, « Environmentalism and Nationalism in the UK », Environmental Politics, vol. 14, n°4, p. 541-545, août 2005.

24 Voir en particulier le texte de Molly Scott Cato (alors militante au Pays de Galles, elle est devenue en 2014 députée européenne, élue dans le sud-est de l'Angleterre) : « Outside the Museum », in SCOTT CATO, Molly (éd.), Nationalism in Wales, Essays by members of the Wales Green Party, Aberystwyth, Green Party, 1995.

25 Cynog Dafis est néanmoins réélu haut la main lors des élections générales de 1997. Le récit de ces épisodes du point de vue de Cynog Dafis est consultable en ligne : Dafis, Cynog, « Plaid Cymru and the Greens : Flash in the Pan or Lesson for the Future ? », Aberystwyth, National Library of Wales, 2005.

26 DOHERTY, Brian, « The Fundi-Realo Controversy in Britain », Environmental Politics, 1992, vol. 1, n° 1, p. 95-120.

27 PORRITT, Jonathon, « We need more shades of green », The Independent, 29 août 1994.

28 Les effectifs du Green Party gallois reculent progressivement, de 630 membres en 1990 (pic au lendemain des élections européennes) jusqu'à 215 en 1995. Archives privées Chris Simpso).

29 SANDRY, Alan, « Have Plaid Cymru lost the Nationalist plot ? », Planet, n°138, décembre 1999-janvier 2000, p. 12-18.

30 Jill Evans, tête de liste du Plaid Cymru, a une nouvelle fois été réélue au Parlement européen en juin 2014, de justesse, avec 15,3 % des voix.

31 Les Verts Bretagne, « Compte-rendu de l'assemblée générale d'automne », Verts Bretagne, octobre 1991. Arch. Dép. I&V. : 224 J 57, Archives Dominique Bernard.

32 Ouest-France, 27 février 1992.

33 Les Verts obtiennent lors de ces élections 6 sièges de députés, dont aucun en Bretagne.

34 Les Verts en obtiennent eux 3 (contre 6 en 1992).

35 En 2007 l'UDB soutient D. Voynet à l'élection présidentielle et les partis présentent des candidats communs aux élections législatives ; en 2009 la liste Europe-Écologie intègre l'UDB et en 2010 l'alliance de 2004 est reconduite aux élections régionales.

36 Hormis le sortant François de Rugy à Nantes-Orvault.

37 Les élections européennes de 2014 voient se concurrencer dans la circonscription deux listes, Europe-Écologie (11,1% en Bretagne) et UDB (1,8%).

38 Pour une analyse éclairante des rapports idéologiques entre autonomistes et écologistes à la lumière de la théorie des clivages, voir Seiler Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2011, p. 235-248. Seiler s'appuie en particulier sur les travaux fondateurs de LIPSET, Seymour et ROKKAN, Stein, Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs : une introduction, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2008.