Genre et engagement : les ressorts de l’engagement féminin d’Action française (années 1900-années 1930)

 

Comment et pourquoi des femmes s’investissent dans un mouvement aussi conservateur et misogyne que la très phallocrate Action française ? En revenant sur les modalités d’un engagement paradoxal, Camille Cléret inaugure non seulement un terrain très neuf mais revient sur l’idée reçue que les femmes seraient les garantes d’une certaine modération, et donc d’une certaine vertu, en politique.

Par Camille CLERET

 

 

En février 1913, Charles Maurras, écrivain provençal et dirigeant du mouvement ultranationaliste d’Action française (AF), est condamné par le tribunal correctionnel de Versailles à 8 mois de prison et 200 francs d’amende pour avoir frappé un gendarme lors d’une manifestation royaliste1. Par voie épistolaire, une adolescente se présentant comme jeune militante d’Action française s’adresse alors à lui dans les termes suivants :

« Mon cher Maître,
Permettez à une de vos jeunes ligueuses de vous exprimer son admiration sans bornes pour le geste superbe que vient s’élancer vers vous en témoignages d’ardente sympathie toute la France royaliste dont vous êtes le chef vénéré. Vous ne pouvez savoir dans quel enthousiasme vous venez de jeter tous les fidèles du roi. Par les paroles si simples dans leur grandeur dont vous avez cinglé le Juif infâme qui venait de vous condamner odieusement, vous avez réveillé dans le cœur de bien des indifférents ce sentiment de patriotisme que l’affreux régime actuel cherche à étouffer par tous les moyens.  […] Et moi qui, au milieu d’une famille entièrement hostile à vos idées, n’ait d’autre amie d’autre consolation que votre Action française, je vous renouvelle l’expression de mon dévouement inaltérable et de ma profonde admiration […] Vive le roi.
Une petite ligueuse de seize ans qui prie chaque jour pour le retour à Dieu de la plus belle âme de notre siècle2. »

Formulé ainsi, ce témoignage d’admiration s’élève contre les poncifs relatifs à l’engagement des femmes en politique. Relevons d’une part l’hostilité proclamée au « Juif infâme »3 et la condamnation du régime républicain qui inscrivent cette profession de foi antidémocratique et antisémite dans un registre argumentatif s’opposant au stéréotype de la modération politique des femmes. Cherchant à attirer l’attention de Maurras sur son isolation au sein d’une famille ne partageant pas ses croyances et ses idéaux politiques, cette toute jeune ligueuse met directement en cause une autre idée reçue : celle de la subordination des femmes en politique. Etudier l’engagement des femmes d’extrême droite implique donc de remettre en cause ces préjugés particulièrement tenaces lorsqu’on travaille sur cette frange de l’échiquier politique4.

En 1934, défilé de l'Action française en l'honneur de Jeanne d'Arc. Gallica / Bnf: Meurisse, 109735 A.

La jeune ligueuse recourt certes abondamment au champ lexical des émotions : l’enthousiasme, l’exaltation, le sentiment de piété y côtoient l’amour de la patrie, et la vénération à l’égard du « maître ». Aussi, son engagement ne semble a priori pas se référer au cadre rationnel attendu des militants d’Action française.  Ces derniers se plaisaient en effet à insister sur le caractère conscient et surtout réfléchi de leur engagement, à tel point que ce paradigme de la rationalité devint un véritable topos de la littérature militante, progressivement repris et adapté par les nouvelles recrues de la ligue soucieuses de justifier et légitimer leur acte d’adhésion5. Ce foisonnement émotionnel suffit-il pourtant à inscrire cet engagement féminin dans un registre de genre particulier ? A raisonner ainsi, l’on risquerait en vérité de s’enfermer dans des catégories d’engagement réifiées opposant le « pathos » féminin au « logos » masculin. Cette même opposition a d’ailleurs largement contribué à l’invisibilisation des militantes d’Action française6. En effet la mémoire de leur participation au combat antirépublicain mené par les disciples de Charles Maurras a souffert de la faible publicité qui leur était accordée mais aussi de la reconnaissance tardive accordée par les sciences sociales au rôle politique joué par les femmes. L’histoire de l’Action française est ainsi écrite au masculin. Ce phénomène d’invisibilisation épistémologique n’est certes pas spécifique aux mouvements d’extrême droite7 mais il paraît toutefois particulièrement décisif dans le cadre d’une formation politique dont l’idéologie était, en théorie du moins, entièrement fondée sur le dogme de la rationalité.

Un chapitre consacré à l’Action française par René Rémond est à cet égard tout à fait révélateur : « Quel changement dans les sentiments ! » s’exclame l’historien des droites en France et de manière tout à fait symptomatique : « Que reste-t-il de cet attachement quasi religieux à la personne du roi, qui faisait encore battre le cœur des jeunes femmes, présentées au comte de Chambord ? ». 8

Si ce contraste entre un royalisme féminin du cœur et un néo royalisme masculin de la raison me semble inopérant, c’est néanmoins par le prisme du genre que cette contribution aborde l’engagement politique des militantes d’Action française, des origines du mouvement à l’orée du XXe siècle aux années 1930 qui voient son influence décroître à la suite d’une condamnation papale en 19269. Reprenant les réflexions issues de la sociologie des mouvements sociaux10, l’engagement n’est pas considéré ici comme un acte d’adhésion ponctuel mais bien comme un processus par lequel un individu de sexe masculin ou féminin se trouve progressivement impliqué dans un mouvement collectif, et s’approprie ou se réapproprie son cadre idéologique11. La notion d’engagement ne désigne donc pas un moment spécifique dans la vie de l’individu mais il s’insère dans l’ensemble de sa trajectoire sociale, professionnelle, affective et familiale. En se fondant sur cette définition, il s’agit alors de poser la question du rôle du genre, défini comme l’ensemble des discours produisant la différence et la hiérarchie des sexes12, en tant que facteur affectant l’insertion militante des femmes au sein du mouvement d’Action française.

 

S’engager : devenir militante d’Action française

Tout engagement débute par un acte d’adhésion à un mouvement. Pour les militantes d’Action française, l’entrée dans la nébuleuse maurrassienne revêt des formes et des degrés divers allant de l’inscription formelle au titre de ligueuse ou de dame/jeune fille royaliste13, à des modes de participation plus informels tels que la distribution de tracts, ou l’envoi de soutiens financiers.  Quoiqu’il en soit, cette démarche découle toujours d’un processus qu’il convient d’interroger. Il s’agit ici de repérer les différentes logiques sociales au fondement de l’engagement des femmes d’Action française.

Un préjugé à reconsidérer : le mariage à l’origine de l’engagement ?

Parmi les préjugés afférents à l’engagement féminin d’extrême droite, Kathleen Blee, auteure d’un ouvrage sur les femmes du Ku Klux Klan, souligne la surestimation du rôle du mariage, surestimation qui conduit en contre partie à sous-estimer la force de leur engagement14. En vérité, il me semble que pour les militantes, le mariage s’il peut éventuellement jouer un rôle fondamental, ne peut être considéré comme vecteur isolé d’adhésion à l’Action française. Tout d’abord, les militantes n’étaient pas forcément mariées. Au contraire, le célibat, parfois prolongé, favorise l’engagement en libérant du temps et permet d’ailleurs d’acquérir des responsabilités et de se maintenir à des fonctions dirigeantes. Yvonne de Kerret, l’inamovible présidente des jeunes filles royalistes ne devient jamais « dame royaliste »15 tout comme sa collaboratrice, le Dr Pauline Sériot, présidente des étudiantes d’Action française16. Certaines ligueuses mentionnent certes l’influence de leur époux dans leur conversion mais, soucieuses de prouver à Maurras la fermeté de leur collaboration, elles ne font généralement pas de leur mariage l’unique moteur de leur entrée à la l’AF. L’engagement des femmes mariées n’est d’ailleurs pas toujours vécu en couple. En atteste l’extrait de correspondance suivant :

« Cher Monsieur, revenue à Paris depuis 8 jours, me revoici plongée non plus seulement de pensée et d’amour mais réellement dans l’atmosphère d’Action française. J’espère dans cette atmosphère vous rencontrer bientôt.  En attendant, je vous envoie ce billet, fruit d’un cadeau que mon époux vient de me faire pour m’acheter un colifichet féminin quelconque. C’est bien peu vous donner, moi qui rêve depuis si longtemps à couvrir d’or l’Af fr ! mais la femme est en puissance du mari […] or le mien, charmant d’ailleurs est hélas, le critique, non l’emballé, le critique dont parlait bien Mme de Mac Mahon ce matin à l’Action fr! étant le critique, il donne l’argent de la communauté à l’Eglise comme toutes les vieilles dames et tous les conservateurs. Pardon cher monsieur, de cet unique billet, puis-je être actionnaire du journal avec si peu ? »17

La militante critique ici explicitement le manque de fermeté de son mari qui contrairement à elle n’est pas d’Action française. On notera incidemment le caractère frondeur et viril ici associé à l’Action française par opposition au conservatisme des « vieilles dames ». « Fruit défendu »18, la formation d’extrême droite attire d’autant plus qu’elle bénéficie d’une réputation sulfureuse. En ce sens, l’engagement peut également être vécu comme une prise d’indépendance, un mode d’affirmation de soi pour les militantes.

Carte postale. Collection particulière.

On ne devient donc pas militante d’Action française par mariage. Il s’avère néanmoins que les personnalités féminines les mieux insérées au sein des réseaux royalistes sont bien souvent les épouses des personnalités dirigeantes de la ligue. Cependant, l’engagement militant vient généralement précéder un mariage également militant, d’où l’importance politique et symbolique accordée aux alliances matrimoniales au sein des cercles dirigeants de l’Action française. Henri Vaugeois, le fondateur de la Revue d’Action française, son collaborateur Maurice Pujo et Léon Daudet, le  célèbre polémiste, épousent tous trois d’ardentes militantes royalistes19. Dans ses mémoires, Léon Daudet affirme d’ailleurs avoir été « converti » par sa compagne, la fameuse « Pampille », à la cause monarchiste20. Aveu sincère ou hommage convenu, c’est en tout cas en couple et au sein même du foyer que les Daudet vivent leur engagement21. L’alliance matrimoniale de Marthe Daudet lui tient en quelque sorte lieu de « laissez-passer » au sein du mouvement, lui permettant de prendre des initiatives sans être inquiétée, de collaborer régulièrement au quotidien et même d’exiger des gages !22

S’il consolide l’engagement et offre des opportunités aux militantes, le mariage ne saurait pour autant être considéré comme une voie d’entrée spécifique des femmes à l’Action française. Ce n’est pas par obéissance conjugale que ces femmes adhèrent au mouvement maurrassien, mais comment expliquer alors qu’elles aient été attirées en son sein ?

Des propensions au militantisme. Le profil social des ligueuses

Répondre à cette question implique à nouveau de s’attaquer à des opinions préconçues. Si l’on en croit nos sources, il existe un profil type de la femme d’Action française. Souvent veuve, systématiquement issue de l’aristocratie, notre militante serait en tout cas fortunée, et manipulable à souhait par les dirigeants de la ligue toujours résolus à lui soutirer son trésor23. Des soupçons pèsent également sur sa santé mentale, soupçons qui peuvent d’ailleurs émaner de sa propre formation politique. Citons à cet égard l’opinion d’un Camelot du roi célèbre, Georges Bernanos, visiblement irrité par la présence au sein de l’Action française de « toutes les folles et vieilles rombières qui entouraient et essayaient d’accaparer le maître »24.

De telles appréciations doivent être examinées avec attention et soumises à réévaluation. Les sarcasmes visant les « douairières » sont certes partiellement fondés : les listes de souscription publiées par le quotidien d’Action française font ainsi clairement apparaître une surreprésentation de femmes portant des particules mais ceci ne doit rien laisser présumer de leur supposée crédulité, ni de leur richesse. Les dons d’argent à l’Action française sont certes très fréquents. Rares sont les correspondantes de Maurras qui ne joignent pas à leur lettre un « petit billet », une « contribution pour la victoire »25. Cependant, un tel geste n’est en rien une spécificité féminine et il témoigne en outre d’une volonté réelle d’intégration au sein de la ligue. Par ailleurs, cette présence visible des aristocrates ne doit pas faire illusion : massivement représentées à la tête des sections féminines, des activités et des mondanités d’Action française, elles éclipsent les ligueuses de statut plus modeste ne bénéficiant pas de la même publicité notamment au sein de la presse du mouvement.

Pourtant, les profils sociaux et les itinéraires individuels sont finalement beaucoup plus variés qu’on ne pourrait le soupçonner. « La femme d’Action française », et à fortiori, « la femme d’extrême droite » n’existe pas. La correspondance de Charles Maurras, ainsi que les listes de souscription publiées par l’Action française de 1908 aux années 1930, dévoilent une relative variété de statuts sociaux, professionnels, matrimoniaux de même qu’un très large éventail générationnel. 

Carte postale. Collection particulière.

Deux catégories de militantes aux trajectoires différentes se distinguent toutefois. La première catégorie regroupe les femmes dont l’engagement au sein de l’Action française s’inscrit dans la continuité de l’histoire familiale. Très nombreuses parmi les correspondantes de Charles Maurras, elles insistent sur un engagement affirmé et réaffirmé par fidélité à un héritage, et se plaisent d’ailleurs à évoquer l’histoire familiale, source de fierté :  « Je suis de pure et ancienne souche royaliste » précise ainsi « une petite fille d’émigrée » à Maurras en 191126. Ces royalistes par « atavisme » ont un profil dominant : il s’agit de femmes appartenant à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie. Leur socialisation politique s’est produite au sein même de la famille. Elles ont des pères et des frères impliqués en politique27. Elles militent au sein des cercles féminins de l’Action française. Adolescentes, elles rejoignent l’association des jeunes filles royalistes qu’elles quittent lors de leur mariage pour rejoindre celle des dames royalistes. Elles ne travaillent pas et disposent d’une situation confortable. Bénéficiant d’une certaine éducation, ces royalistes de tradition présentent donc une forte propension au militantisme et peuvent convertir de telles prédispositions en engagement réel et raisonné à la suite d’un évènement, d’une lecture ou d’une rencontre particulières.

Les « converties » présentent la plupart du temps une trajectoire toute autre mais évoluent également dans des milieux les inclinant vers la politique. Leur profil social est généralement quelque peu différent. Elles sont issues de milieux sociaux plus modestes, des classes moyennes mais présentent également des prédispositions au militantisme : cultivées, elles ont parfois fait des études universitaires, travaillent et/ou font partie de cercles lettrés. Elles ne deviennent pas forcément dames ou jeunes filles royalistes mais rejoignent généralement le réseau des étudiantes d’Action Française, adhèrent directement à la ligue, collaborent au journal28, fondent des cercles alliés29 ou demeurent sympathisantes. Certaines d’entre elles ont auparavant milité dans d’autres formations politiques ou fréquenté des mouvements féministes. Dans leur cas, l’engagement est vécu comme une rupture impliquant parfois la mise à distance du milieu familial. Progressive, la conversion est très souvent mise en relation par ces femmes avec la lecture des œuvres de Charles Maurras ou celle du quotidien.

Les frontières entre ces deux trajectoires familiales, sociales et intellectuelles sont évidemment poreuses, certaines militantes présentant des parcours hybrides. Par ailleurs, cette typologie binaire n’exclue pas d’autres formes de socialisations politiques féminines. La variable « genre » semble peser davantage dans la première configuration évoquée, celle des « royalistes de tradition » dont la politisation et la rencontre avec l’Action française se produisent au sein de la sphère familiale.

 

S’engager : acquérir une identité politique

La notion d’engagement politique dépasse l’acte d’adhésion, l’enrôlement dans une formation politique. Il s’agit également pour le militant ou la militante d’acquérir une identité politique, et de donner sens à son engagement. Une attention particulière doit alors être accordée aux mots de l’engagement. De quelle manière  affecte-t-il le discours de ces femmes ? Comment légitiment-elles leur action politique et quelle est la place du genre dans leur argumentation ?

L’incorporation d’un cadre idéologique

La correspondance de Maurras témoigne d’un travail fascinant d’incorporation par les militants et les militantes du corpus idéologique forgé par l’Action française, validant ainsi l’idée émise par l’ancien Camelot du roi Henry Charbonneau selon laquelle « les gens de l’Action française ont été dressés par Maurras à absorber des idées par la lecture »30. Une grande partie des lettres adressées par des femmes à Maurras reprennent les principaux éléments du nationalisme intégral : le passage d’un royalisme des sentiments, de la tradition à un royalisme de la raison, l’assimilation et l’appropriation du « politique d’abord », le rejet du romantisme comme mouvement littéraire, la condamnation d’un régime démocratique jugé impuissant, le rejet d’un ennemi qui selon les évènements peut prendre la figure du juif, du bolchévique ou du franc-maçon.  En ce sens, le discours idéologique exploité par les militantes d’Action française dans leur correspondance au chef du mouvement ne diffère à priori pas ou peu de celui des militants. 

Ce travail d’incorporation du maurrassisme peut parfois affecter les militantes jusque dans leur intimité, leur conception d’elles-mêmes en tant que femmes. En témoigne cette missive adressée à Maurras en 1912 par une militante. Celle-ci vient de lire un ouvrage de Maurras, l’Avenir de l’Intelligence et plus spécifiquement son chapitre consacré au « romantisme féminin », lequel constitue une condamnation acerbe de la littérature féminine et plus particulièrement de quatre écrivaines à qui il reproche leur écriture irrationnelle, désordonnée et passionnelle, enjoignant aux femmes de ne pas se dévoiler pour rester femmes31. La lecture d’un tel ouvrage semble avoir marqué cette militante qui affirme finalement y avoir découvert un remède à sa propre affliction :

« Monsieur, Je viens vous remercier d’une réponse que vous m’avez faite sans le savoir dans votre livre L’Avenir de l’intelligence mais avant de me lire, rassurez-vous, ceci n’est pas « une lettre de femme » […] vous signalez un mal dont sont atteintes non seulement les femmes vraiment douées, les femmes au talent consacré, enfin celles qui ont des ressources cérébrales les plus modestes. Le mal, un péril, il m’a semblé qu’il vous révoltait c’est l’hypertrophie du cœur. Ce mal était le mien quand j’ai lu L’Avenir de l’intelligence. Je vous ai rencontré heureusement […] ma sensibilité était devenue une enflure douloureuse un abcès chronique {…] cet abcès creusait par intermittence en clameurs désordonnées et stériles car il ne se trouvait nul répondant à ce déchaînement […] Monsieur excusez ces lignes si longues mais j’acquitte une dette en remerciant en vous l’humanité qui m’a révélé le crime que je commettais envers les autres et envers moi. Aussi je fais avec joie le sacrifice d’un semblant de personnalité. » 32

Dans ce cas, l’engagement n’est pas, on le voit, un simple acte d’adhésion mais un processus susceptible d’altérer la personnalité de celui qui s’engage dans ses sentiments, ses opinions et jusque dans son être.

La base du corpus idéologique de l'Action française, le journal éponyme. Collection particulière.

L’engagement aux côtés de l’Action française implique donc d’assimiler un corpus idéologique. Les militantes se voient cependant obligées d’adapter ce corpus idéologique à leur statut de femme et d’élaborer ainsi un discours légitimant leur entrée dans la sphère publique. Dans son ensemble, la correspondance de Charles Maurras prouve qu’il est finalement assez rare que les militantes motivent leur engagement par le désir de promouvoir leurs intérêts spécifiques en tant que femmes. Peu de motifs « genrés » donc et ceci n’a d’ailleurs rien d’étonnant : nombre d’études ont déjà mis en exergue la manière dont, consciemment ou inconsciemment, les femmes militant au sein d’organisations politiques mixtes sont conduites par les hommes, par les contextes et par les cadres de leur formation à faire abstraction de leurs revendications propres33.

En ce sens l’argument le plus fréquemment invoqué pour motiver l’action politique est celui de l’urgence de la situation. Un rapport de l’association des jeunes filles royalistes daté de 1910 rappelle ainsi en introduction que « les jeunes filles ne s’occuperaient pas de politique si aujourd’hui la politique n’était l’instrument de destruction de toutes leurs croyances. »34. La situation anormale créée par la révolution engendre ainsi des circonstances exceptionnelles enjoignant aux femmes de se sacrifier pour les générations à venir.

Les motifs d’un engagement au féminin

L’engagement féminin d’Action française n’est cependant pas aveugle au genre. D’une part, le registre d’argumentation maternaliste ou conjugal est très présent tant dans les lettres que dans les listes de souscription notamment à partir des années 1920, ces femmes s’identifiant alors alternativement comme veuves ou comme épouses ou mères, mères de poilus ou mères de Camelots soucieuses de protéger la mémoire d’un mari, d’un fils perdu ou l’avenir d’une progéniture jugée en danger.  L’Action française est  d’ailleurs une formation politique particulièrement attentive aux questions familiales et se présente comme un rempart contre la désagrégation du foyer traditionnel dont les femmes sont les gardiennes35. Il arrive d’ailleurs que certaines femmes justifient directement leur adhésion à l’Action française par des arguments antiféministes. C’est par exemple le cas de Mme Cyrille Denis qui demandant un entretien à Maurras, lui explique vouloir défendre « le pot au feu familial et le foyer familial contre les extravagances féministes »36.

Cependant, les arguments ouvertement antiféministes ne sont pas les plus couramment employés par les militantes pour rendre compte de leur action politique. En revanche, elles adoptent des éléments de rhétorique qui semblent initialement antithétiques aux objectifs de l’Action française et de l’extrême droite dans son ensemble. L’engagement politique est parfois soutenu par un recours direct à l’idée de « droits des femmes ».  L’exemple de la marquise de Vasselot est à cet égard significatif. En 1909, cette militante très impliquée dans l’Action française comparaît devant la justice pour avoir participé aux émeutes à l’encontre du professeur Thalamas37 et avoir crié « A bah Thalamas, vive le roi ! Bravo mon gars ! »38 Pour justifier cet acte de rébellion, elle déploie des ressources argumentatives faisant directement référence à son identité féminine: « La révolte pour les femmes », nous dit-elle « est un droit et un devoir depuis qu’on nous a enlevé le pouvoir de défendre notre dignité d’épouses et de mères »39. Le régime républicain, fruit de la révolution est donc à ses yeux responsable d’une dégradation de la situation sociale et politique des femmes. De tels propos témoignent de la manière dont l’extrême droite peut emprunter, adapter et détourner des éléments d’idéologies à d’autres mouvements. Ils témoignent également de la manière dont les militantes de l’Action française pouvaient s’approprier l’idéologie du mouvement et l’adapter à leur situation. Dans cette déposition, la marquise a également recours à l’argument le plus souvent invoqué pour justifier l’action politique individuelle et collective des femmes d’Action française : la référence à un passé prérévolutionnaire idéalisé.

La référence à l’histoire et plus spécifiquement à l’histoire des femmes est en effet omniprésente dans ces discours féminins. Les renvois à la période révolutionnaire et à la chouannerie abondent. Le rôle joué par les femmes dans la mouvance contre révolutionnaire est invoqué. Marthe Daudet dans ses carnets personnels retrouvés au domicile de sa belle-fille s’arrête ainsi sur un personnage de sa vie familiale, une ancêtre, « une vraie chouanne » précise-t-elle, « qui aurait préféré perdre la vie plutôt que de faire semblant d’abandonner ou de mépriser ceux qu’elle  vénérait  et qu’elle aimait ».40

Carte postale. Collection particulière.

Cependant, c’est surtout l’Ancien Régime qui intéresse les militantes. Le passé pré révolutionnaire occupe une place fondamentale dans leur vision du monde, un passé idéalisé, glorifié sous tous ses aspects. Les conférences organisées par l’association des dames et des jeunes filles royalistes traitent fréquemment des grandes figures féminines de ce passé, Jeanne d’Arc bien sûr, véritable modèle d’action, mais également des reines comme Blanche de Castille, des princesses ou des femmes de lettre41. Reprenant l’idée développée par Charles Maurras du rôle politique joué par  les femmes sous l’Ancien régime41, certaines militantes poussent sa logique jusqu’à son aboutissement pour affirmer que les femmes avaient plus de libertés sous l’Ancien régime. En témoigne le point de vue de Pauline Sériot, une maurrassienne, docteure en médecine et présidente des étudiantes d’Action française :

« Sous l’ancien régime la femme n’était pas tenue de suivre son mari au-delà des frontières, on reconnaissait donc à sa « prétendue personnalité » le droit d’avoir une Patrie ; de nos jours elle n’a pas d’autre nationalité que celle de son mari. »43

Contre toute attente, l’engagement au sein de l’Action française peut être vécu par les militantes comme un combat en faveur des femmes et cela au sein-même d’une formation d’extrême droite nettement antiféministe et  prônant une certaine forme d’« hypermasculinité »44. Ceci peut expliquer également, parmi d’autres facteurs, la stabilité de leur engagement.

 

S’engager : rester militante d’Action française

En effet, l’engagement ne se résume pas à l’entrée dans un mouvement politique.  S’engager ce n’est pas seulement adhérer à un mouvement et embrasser son idéologie. C’est également militer et stabiliser sa participation malgré les coûts matériels et immatériels liés au militantisme. Les croyances, les préférences politiques, les parcours personnels ne suffisent à expliquer cette démarche. Aussi convient-il de prendre en compte la question des rétributions permises par l’engagement. En rejoignant les rangs des militants nationalistes, ces femmes acquièrent tout d’abord des savoir-faire, une expérience militante.

Une inscription dans des espaces de militantisme différenciés.

A l’Action française, militants et militantes s’inscrivent dans des espaces de socialisation politique différenciés. Le mouvement est ainsi régi par le double principe de la séparation et de la hiérarchisation du travail militant. Le tableau ci-dessous résume ce principe de division sexuée du travail militant. Ligueurs et ligueuses assurent une double mission : assurer la propagande du mouvement et animer la vie des sections. Cependant, les femmes se spécialisent dans trois domaines : la récolte de fonds, le prosélytisme politique pour lequel elles sont jugées particulièrement aptes en raison de leur supposé pouvoir de persuasion, le maintien de la cohésion militante. Reprenant un rôle qu’elles considèrent comme leur étant historiquement dévolu, les militantes garantissent ainsi la « paix des dames »45 et jouent à plusieurs reprises au cours de l’histoire de l’Action française un rôle majeur dans la résolution de conflits internes46. Lors des manifestations, des conférences organisées par le mouvement, les femmes se chargent des tâches ingrates liées à la logistique (réservation de salles, préparation des banquets). Leur présence est acceptée voire requise mais elles y tiennent un rôle passif et essentiellement symbolique.
Rares sont les militantes autorisées à prendre la parole en public47. Elles aident les Camelots à répandre le quotidien et les tracts mais elles ne s’occupent que rarement de leur rédaction48.

Statut/Missions Propagande Animation/vie des sections

Dames et jeunes filles royalistes, ligueuses, étudiantes d’AF, infirmières , sympathisantes…

 

 

 

 

-récolte de fonds (organisation de kermesses, de tombolas)
-distribution de tracts/distribution du journal
-service des abonnements
- prosélytisme quotidien
-Education des enfants (petits amis de Saint Louis, colonies de vacances, arbres de Noël)
-lire le journal, les œuvres de Maurras
-maintenir la cohésion des groupes
-garantir la logistique lors de la tenue de manifestations (réservation de salles etc.)
-assurer une présence symbolique lors des manifestations et réunions
-organisation de manifestations à caractère religieux, prières, pèlerinages
-rendre visite aux ligueurs en prison

Ligueurs, Camelots du roi, Etudiants d’AF, sympathisants…

-récolte de fonds
-rédaction et distribution de tracts, du journal
-lire le journal, les œuvres de Maurras

-diriger la vie des sections
-tenir le rôle de conférencier dans des réunions
-participer aux manifestations, aux bagarres de rue.
-séjourner en prison

Ce fonctionnement binaire n’est pas une spécificité propre à l’Action française, ni à l’extrême droite. De nombreuses études ont montré qu’elle caractérisait également des mouvements progressistes marqués par des rapports de genre hiérarchisés49. De plus, cette séparation des tâches n’était pas si rigide et bien plus théorique que l’on pourrait le croire. Les militantes ne cessent en vérité de négocier et de renégocier leur rôle au sein de l’Action française. Individuellement et non sans difficulté, certaines militantes parviennent à obtenir le statut de conférencière d’Action française ou celui de collaboratrice du journal. Si la marquise de Mac Mahon, leur présidente, se défend de « jeter les femmes dans l’arène publique »50, il s’avère que certaines participent aux manifestations de rue, un acte de bravoure éminemment chevaleresque qui constitue pourtant théoriquement le mode d’action privilégié des Camelots du roi. Quelques jeunes filles royalistes participent par exemple en 1908-1909 aux émeutes liées à l’affaire Thalamas et rejoignent les Camelots en prison. Après quelques hésitations, elles reçoivent alors l’honneur d’être inscrites au tableau d’honneur des Camelots du roi51. Sans être le mode d’action privilégié des femmes d’Action française, ce type d’intervention n’est pas isolé dans l’histoire de la ligue. Un rapport fièrement rédigé par Pauline Sériot en 1933 relate ainsi le déroulement d’une manifestation d’étudiantes d’Action française :

« C’est ainsi que le 13 décembre 1932 lors de la manifestation magnifique organisée dans Paris contre la ratification des dettes américaines, nos étudiantes n’ont pas manqué de se trouver dans ce bon et paisible coin de la rive gauche que l’effroi et la mauvaise conscience de nos parlementaires avaient fait mettre en état de siège. Pendant que des colonnes d’étudiants remontaient le boulevard St Germain, criant, chantant, tapant, chargeant et harcelant les agents, plus d’une d’entre nous passant à travers toutes les consignes – et cela est bien féminin, on en conviendra – allaient jusqu’aux portes du palais Bourbon crier les Pas un Sou qui mettaient hors d’eux les agents des brigades centrales, les terribles !! »52

De fait, il convient bien de distinguer un principe général théorique, celui de la séparation des cercles militants d’une réalité pratique plus fluide. En ce sens, l’engagement au sein de l’Action française constitue pour ces femmes un mode d’apprentissage des normes du genre mais également un moyen de s’affranchir de ces mêmes normes. 

Pérenniser son engagement : trouver des rétributions

L’Action française permet à ses militantes de favoriser l’estime d’elles-mêmes et d’acquérir des savoir-faire, un réseau qui ne suffisent cependant à expliquer la pérennisation de leur engagement. Si le journal ne cesse de louer le « dévouement » des ligueuses, leurs activités ne bénéficient pas de la même visibilité, ni de la même reconnaissance que celles des hommes. L’engagement au long terme dans un environnement masculin se révèle parfois particulièrement contraignant, notamment pour celles qui cherchent à obtenir des responsabilités. 

Un exemple parmi d’autres : cette plainte d’Henriette Charasson, femme de lettre qui rallie l’Action française durant la première guerre mondiale et se voit confier la direction d’une rubrique de critique littéraire qu’elle doit cependant partager avec Lucien Dubech. Elle entre très rapidement en conflit avec lui et ne cesse de protester auprès de Maurras. Sa correspondance indique clairement qu’elle se sent alors attaquée comme femme : « il ne s’agit plus de servir l’AF, écrit-elle, il s’agit d’une simple question de dignité , dignité de femme et dignité d’écrivain »53.

L’engagement devient ainsi bien souvent source de frustrations pour ces militantes confrontées à la méfiance jalouse et parfois teintée de misogynie des collaborateurs du mouvement54. « N’y a-t-il plus de place pour moi à ce festin spirituel »55 demande Henriette Ymbert à Charles Maurras en 1929, témoignant ainsi du désespoir de certaines militantes. Pourtant, de nombreuses correspondantes de Charles Maurras font preuve d’une fidélité de long terme. Dans ce contexte antiégalitariste, quelles formes de rétributions peuvent alors motiver la durabilité de l’engagement de ces femmes ?

Ces rétributions sont davantage d’ordre intime que d’ordre matériel, bien que ces dernières ne soient pas inexistantes56 : contrairement à leurs collaborateurs, ces femmes ne peuvent voir dans l’Action française un tremplin vers d’autres fonctions politique ni même une source de revenus57. Les raisons de « tenir » sont aisément identifiables dans la correspondance de Maurras. Outre la force des convictions et une conception intransigeante de l’engagement58, les militantes emploient largement le registre des émotions : l’enthousiasme collectif, le bonheur d’appartenir à la grande « famille de l’Action française »59, la rencontre avec Maurras, la construction d’une relation personnelle intellectuelle, amicale ou, pour certaines, sentimentale avec lui60, transparaissent très nettement dans la grande majorité des lettres de ces femmes. La « libido militante » n’est en rien une spécificité féminine et les émotions jouent un rôle considérable dans les parcours militants qu’ils soient masculins ou féminins, mais pour des femmes évoluant dans le premier XXe siècle, l’engagement au sein de l’Action française constitue aussi un moyen de compenser une identité féminine qui, dans ce contexte électoral, est synonyme d’impuissance politique à une époque où elles n’ont pas le droit de vote. Voici ce qu’écrit une militante en 1919 :

« Je vous envoie ci joint mon bulletin de vote sous la forme d’un billet de 100 frs pour la propagande. Puisque les femmes ne sont pas admises à voter dans notre stupide suffrage universel, j’aurai le regret de ne pouvoir donner voix à la liste d’Action française dont je souhaite de tout cœur le succès »61  

La critique vise ici le système démocratique dans son ensemble, mais plus spécifiquement l’attitude de la République vis à vis des femmes. Offrant des moyens d’action, l’Action française lui permet ainsi d’agir en politique en dépit de son exclusion officielle de la sphère publique et de combler ainsi une frustration.

Il faut enfin insister sur la dimension sacrificielle de cet engagement : « Quel bonheur n’éprouve-t-on pas à se priver pour l’Action française »62 s’exclame une ligueuse en 1914. Comme elle, nombreuses sont les militantes qui projettent cette valeur religieuse du sacrifice sur leur engagement politique, y trouvant une source de félicité et par là une forme de rétribution. La souffrance est aussi ressort de l’engagement.

Lors des obsèques de Marius Plateau, chef des Camelots du roi assassiné le 22 janvier 1923 Germaine Breton, militante anarchiste. Bibliothèque nationale des Pays-Bas: SFA022823759.

Les discours sur la différenciation des sexes sont au cœur de l’histoire de l’Action française dont les militants sont toujours soucieux de rappeler que « Faire, suivant l’expression consacrée de la politique, ne convient guère qu’aux hommes »63. Ils marquent profondément les structures d’organisation du mouvement et déterminent un registre d’engagement féminin étroitement calqué sur les activités « traditionnellement » gérées par les femmes. Les frontières de l’engagement sont ainsi plus étroites pour les femmes que pour les hommes au sein de l’Action française.

Pourtant, il n’est pas si simple d’isoler la variable genre dans l’analyse de l’engagement des femmes d’Action française. Cet engagement est-il vraiment féminin ? La « question des femmes » ne domine pas la correspondance féminine de Charles Maurras. Le vocabulaire employé par les militantes relève souvent du neutre masculinisant. Il est relativement rare qu’elles soulèvent l’existence d’intérêts qui leur seraient spécifiques en tant que femmes. Elles semblent néanmoins bien conscientes de leur identité féminine, des contraintes voire des inégalités et des injustices qui lui sont liées. Alice Lefebvre, une militante des plus actives est de celles-ci :

« Rien ne résiste aux idées. Le jour où les idées d’ordre, d’équilibre, de logique, se sont emparées d’un esprit, il est refait transformé, disons converti. Converti à ce qui est beau, bien, bon, ce qui est français. Notre jeunesse d’AF en est la preuve vivante, notre jeunesse masculine…pour la jeunesse féminine, certaines conquêtes sont faites et bien faîtes.  Il y a une élite, nos dames et de jeunes filles d’AF en sont la preuve, on voit par elles, ce que les femmes peuvent devenir avec cette formation virile qui leur ajoute des qualités profondes sans rien retirer de leur charme. Mais je le redis, c’est une élite. Les femmes sont atteintes par ricochets. […] Je ne peux accepter que nulle femme de France, qu’elle soit puisse être abandonnée et condamnée aux erreurs démocratiques, libérales, aux nuées (comme dit l’ami Pujo). »64

Derrière l’apparente uniformité des ressorts de l’engagement d’Action française se dissimule donc une certaine forme d’appropriation genrée des discours et des textes du nationalisme intégral d’où le recours à une argumentation puisant dans le passé des modèles d’action féminins. C’est ainsi que sous la plume de Pauline Sériot, « Jeanne d’Arc était nationaliste et féministe à la fois »65, une affirmation pour le moins hétérodoxe au sein d’une formation politique foncièrement antiféministe, et qui témoigne de la manière dont les militantes d’Action française réinterprètent l’idéologie de leur mouvement pour construire leur propre identité politique et donner un sens personnel à leur engagement.

Camille CLERET

DoctoranteCERHIO-CNRS UMR 6258

 

 

 

1 « En décembre 1912, un banquet de l’Action française organisé à Versailles est perturbé par des contre-manifestants. La police intervient ; Maurras s’interpose. Accusé d’avoir violemment agressé un policier, il est inculpé puis condamné par le tribunal correctionnel de Versailles présidé par le juge Worms, à huit mois de prison. Cette peine sera finalement relevée en octobre 1913 ». JOLY, Laurent, « Les débuts de l’Action française (1899-1014) ou l’élaboration d’un nationalisme antisémite », Revue historique 2006/3, n° 639, p. 710.

2 Arch. nat. : 576AP/9, lettre d’une petite ligueuse de seize ans, 4 février 1913.

3 Selon JOLY, Laurent, art.cit, l’antisémitisme est alors « au plus haut à l’AF ».

4 Voir à ce sujet, BLEE, Kathleen, Women of the Klan. Racism and gender in the 1920’s., Berkeley, University of California Press, 1991. L’auteure revient en introduction sur ces préjugés. Voir également GOTTLIEB, July, Feminine fascism. Women in Britain’s fascist movement, 1923-45, Londres, IB Tauris Publishers, 2000.

5 Maurras lui-même affirme qu’il n’est pas un blanc du midi mais qu’il est venu au royalisme de manière rationnelle après son voyage à Athènes. En vérité, il naît et grandit dans un milieu marqué par de puissantes traditions légitimistes et orléanistes. GOYET, Bruno, Charles Maurras, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 et NGUYEN, Victor, Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique à l’aube du XX° siècle, Fayard, 1991.

6 Peu d’études leur sont consacrées en dehors de quelques remarques disséminées dans la bibliographie de l’Action française et un article spécialisé au sein d’un ouvrage collectif : DUMONS, Bruno, « L’Action française au féminin. Réseaux et figures de militantes au début du XX° siècle » in LEYMARIE, Michel et PREVOTAT, Jacques (eds), L’Action française. Culture, société, politique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du septentrion, 2008.

7 CONTAMIN, Jean-Gabriel, « Genre et modes d’entrée dans l’action collective, l’exemple du mouvement pétitionnaire contre le projet de loi Debré », Politix, 2007/2, n°78, p. 13-37.

8 REMOND, René, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, p. 172.

9 En 1926, l’Action française est condamnée par le Pape : l’ensemble des œuvres de Maurras ainsi que le quotidien sont mis à l’index par décret du Saint-Office. L’année suivante, les militants d’Action française sont interdits de sacrement provoquant une crise de conscience majeure pour la plupart d’entre eux et provoquant des désistements. La condamnation est levée en 1939. PREVOTAT, Jacques, Les catholiques et l’Action française. Histoire d’une condamnation. 1899-1939, Paris, Fayard 2001.

10 FILLIEULE, Olivier, MATHIEU, Lilian, PÉCHU, Cécile, Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences Po, 2009 et FILLIEULE, Olivier, AGRIKOLIANSKY, Éric, SOMMIER, Isabelle, Penser les mouvements sociaux, La découverte, 2010.

11 Je reprends cette définition à Jacquemart, ALBAN, Les hommes dans les mouvements féministes, Socio-histoire d’un engagement improbable, Presses Universitaires de Rennes, 2015.

12 Je reprends cette définition à la notice « genre » du Dictionnaire des mouvements sociaux, op.cit.

13 Au sein de l’Action française, les femmes pouvaient s’inscrire comme ligueuses au même titre que les ligueurs ou rejoindre les sections féminines : l’association des jeunes filles royalistes fondée par Suzanne de Montlivault en 1905, celle des dames royalistes fondée par la marquise de Mac Mahon en 1902/03. Ces deux associations étaient en théorie indépendantes de l’Action française et fonctionnaient comme des cercles alliés. Les militantes pouvaient cumuler le statut de ligueuse et/ou de jeune fille royaliste. D’autres sections furent crées plus tard, notamment une association d’étudiantes d’Action française créée en mai 1921.

14 BLEE, Kathleen, op.cit.

15 Bretonne, Yvonne de Kerret succède à Suzanne de Montlivault à la tête de l’association des jeunes filles royalistes. « Célibataire, Mlle de Kerret habite à Hennebont, 26 place du maréchal Foch. Elle ne se livre à aucun travail et vit de ses rentes. C’est une militante royaliste particulièrement active qui ne cesse de faire une propagande suivie autour d’elle ». Arch. dép. Morbihan : M1733, rapport du commissaire spécial au préfet, 22 février 1937.

16 Pauline Sériot préside l’association des étudiantes d’Action française depuis sa fondation en 1921.

17 Arch. nat. : 576AP/110, signature illisible, lettre non datée,  avant 1920.

18 Je reprends cette expression à DUMONS, Bruno, Les dames de la ligue des femmes françaises. 1901-1914, Éditions du Cerf, 2006 qui l’utilise à propos de l’Action française dans son ouvrage consacré à une ligue de femmes conservatrices : la ligue des femmes françaises.

19 Henri Vaugeois épouse peu avant la première guerre mondiale Marie-Louise de Villeneuve, une militante royaliste lyonnaise convaincue qu’il rencontre lors d’une réunion d’Action française. Arch. nat. : 576AP/186. Maurice Pujo épouse également une militante royaliste. JOLY, Laurent, Naissance de l’Action française, Grasset, 2015, p 64. Léon Daudet épouse en second mariage sa cousine Marthe Allard. Surnommée Pampille par ses amis de l’Action française, elle écrit des chroniques de mode et des variétés  puis des articles de propagande dans le quotidien et organise de nombreuses « œuvres royalistes ».

20 « L’influence de ma femme esprit politique de premier ordre convertie à la monarchie depuis quelques années malgré son extrême jeunesse exactement depuis les articles anti dreyfusards de la gazette de France, cette douceur et chronique persuasion y fut aussi pour quelque chose ». DAUDET, Léon, Vers le Roi. Souvenirs des milieux politiques, littéraires, artistiques et médicaux, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1921, p. 10.

21 Comme le suggèrent certains passages de l’ouvrage publié par Marthe Daudet à la mort de son fils Philippe. A propos de la naissance de l’Action française : « J’étais toute heureuse que mon mari, grâce à l’influence de l’homme au cœur génial qui s’appelait Henri Vaugeois , fût venu complètement aux idées royalistes, qui me tenaient à cœur et m’étaient déjà plus chères que ma propre vie. Aussi, avec l’emballement de la jeunesse, je franchissais en pensées, les étapes du temps et je voyais notre nouveau journal triomphant de tous les obstacles, convaincant les élites de l’intelligence française, renversant les idoles de la laïcité et de la fausse science, et rendant le beau royaume de France à l’amour de son Dieu, à l’amour de son roi ». DAUDET, Madame Léon, La vie et la mort de Philippe, Paris, Arthème Fayard, 1926, p 10.

22 « Cher ami, j’ai l’intention (puisque vous me le demandez tous) de reprendre une collaboration plus régulière au journal, mais je vous avoue dire bien simplement que je suis lasse d’une collaboration gratuite, maintenant que nous roulons sur l'or je trouve cela décourageant, immoral, absurde. ». Arch. nat. : 576AP/ 154, lettre de Pampille à Charles Maurras, 5 aout 1919.

23 Voire à ce propos les descriptions sarcastiques de MONTARD, Charlotte, Quatre ans à l’Action française. Ce que j’ai vu ce que j’ai entendu, Paris, Les éditions Lori, 1931, une dissidente d’Action française.

24 Bernanos cité par CHENESEAU, Xavier, Camelots du roi : les troupes de choc royalistes (1908-1936), Boulogne Billancourt, Défi, 1997.

25 Arch. nat. : 576AP/25, lettre de Wanda Szymanska de Slepovron à Charles Maurras, 1932.

26 Arch. nat. : lettre d’une petite fille d’émigrés à Maurras, Paris, 1911.

27 Par exemple, le père d’Yvonne de Kerret était maire de Languidic. Son frère est qualifié de « fervent militant royaliste ». Arch. dép. Morbihan. op.cit.

28 Quelques femmes eurent le privilège d’une collaboration plus ou moins régulière à l’AF quotidienne. Parmi celles-ci : Mme Pierre Chardon (Rachel Legras), Noël Francès (Henriette Ymbert), Pampille (Marthe Daudet) et Henriette Charasson.

29 Par exemple le cercle « rive gauche » d’Anne-Marie Jamet que fréquentent Maurras, Bainville, Brasillach et d’autres…

30 CHARBONNEAU, Henry, Les mémoires de Porthos. Cité par DARD, Olivier, Charles Maurras, Le Maître et l’Action, Paris, Armand Colin, 2013.

31 MAURRAS, Charles, « Le romantisme féminin » dans L’Avenir de l’intelligence, Flammarion, 1927 (1905). Voire PLANTÉ, Christine, Masculin et féminin dans la poésie et les poétiques du XIX° siècle, Presses universitaires de Lyon, 2003.

32 Arch. nat. : 576AP/8, lettre de la Baronne de M à Charles Maurras, 17 janvier 1912.

33 CONTAMIN, Jean-Gabriel, art.cit.

34 Arch. nat. : 576AP/6, Association des jeunes filles royalistes, rapport du 12 mars 1910.

35 Voir notamment la série d’articles publiés par Marie de Roux dans le quotidien ou son ouvrage intitulé L’Etat et la natalité, Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1918.

36 Arch. nat. : 576AP/7, Lettre de Mme Cyrille Denis à Maurras, Paris, 20 janvier 1911.

37 Le professeur André Thalamas est accusé par les Camelots du roi d’avoir outragé la figure de Jeanne d’Arc. En 1908, les Camelots du roi déclenchent une manifestation et viennent perturber son cours en Sorbonne. A ce propos, Olivier Dard écrit : « Les méthodes de lutte contre l’enseignant n’ont rien d’anecdotique et doivent être comprises comme un processus combinant violence (plus encore symbolique que physique) et transgression Thalamas est chahuté puis giflé et enfin fessé publiquement le 17 février 1909. La fessée en même temps qu’elle humilie et déconsidère vise à faire rire par la parodie et la reproduction des châtiments corporels dont les étudiants ont pu faire l’objet dans leurs jeunes années ». DARD, Olivier, op.cit., p. 101.

38 Action française, 9 février 1909, « Mme de Vasselot ».

39 Ibid.

40 Marthe Daudet, Papiers personnels, « Notre famille ».

41 Voir par exemple une conférence faite par Anette Radet au cercle d’études des étudiantes  d’Action française en 1924 : « une tradition contestée mais non contredite et à laquelle Jules Lemaître s’attache avec complaisance veut que ce soit Henriette d’Angleterre, Madame, exquise et spirituelle belle soeur de Louis XIV qui ait eu l’idée de mettre aux prises Corneille vieillissant et le jeune Racine en donnant à chacun à l’insu de l’autre le même sujet de pièce; et ce sujet avantagea singulièrement Racine dont la malicieuse Henriette désirait certainement le succès(…) Comme elle est bien du XVII° siècle cette société qui soutient, qui suscite même la vie littéraire! Et il faut noter en passant combien cette société comportait de doux féminisme, de féminisme d’influence dont nous sommes hélas, très loin !

42 Voir CHARDON, Pierre (établi par les soins de), Charles Maurras, Dictionnaire critique et politique, tome 2, Paris, Cité des livres, 1932-1934. Notice « femme ».

43 Arch. nat. : 576AP/201, lettre du Docteur Pauline Sériot à Charles Maurras, non datée.

44 Je reprends ici le concept d’«overwhelming masculinity » adopté par Durham, Martin, « The Home and the Homeland. Gender and the British extreme right », Contemporary British History, vol17, n°1, spring 2003.

45 Marthe Daudet se donne ainsi le rôle de « tampon » : Arch. nat. : 576AP/154, lettre de Pampille à Maurras, non datée. « Ma vie n’est pas facile toute les jours, je vous assure et mon rôle de tampon me vaut bien souvent de très sérieux ennuis. Mais je ne veux pas parler de moi, je veux voir avant tout l’intérêt de notre journal et la paix de Léon qui m’est si chère.

46 Deux exemples parmi d’autres : le rôle joué par les dames de la noblesse lors de la crise royaliste de 1911, et les tractations menées par les Carmélites auprès du Vatican en faveur de Charles Maurras.

47 Exception faite de la marquise de Mac Mahon, fondatrice du mouvement et infatigable conférencière d’Action française.

48 Henriette Ymbert alias Noël Francès s’emploie avec plus ou moins de succès à rédiger des brochures pour l’Action française. Arch. nat. : 576 AP/11. « Monsieur, j’ai terminé ma brochure pour propagande populaire, heureuse et effrayée à la fois de la soumettre à un censeur tel que vous. Il m’a paru difficile d’aborder de front, de parler du roi avant d’avoir démoli la République ») mais la plupart du temps, les présidentes de sections font venir des tracts et des affiches en vue d’assurer leur distribution.

49 BARGEL, Lucie, « La socialisation politique sexuée : apprentissage des pratiques politiques et normes de genre chez les jeunes militant-e-s », Nouvelles questions féministes, Antipodes, 2005, 24 (3), p. 36-49.

50  A ses recrues, elle affirmait : « Vous n’êtes que des femmes françaises, vous n’êtes pas des féministes, ni des politiciennes », Action française, 7 juin 1908.

51 Action française, 24 mars 1909.

52 Arch. nat. : 576AP/25, Rapport des étudiantes d’action française de Paris, 1933.

53 Arch. nat. : 576AP/ 46, lettre d’Henriette Charasson à Charles Maurras, 1921.

54 Arch. nat. : 576AP/ 107, lettre d’un militant frustré de ne réussir à collaborer à l’Action française à la présidente des dames royalistes de Rouen, non datée : « Dans les circonstances tragiques que nous parcourons, un travail sur la pensée de Bainville était au moins aussi intéressant que l’interminable narration des vacances de Mme Pierre Chardon dont la compétence universelle font sourire plus d’un ».

55 Arch. nat. : 576AP/245, lettre d’Henriette Ymbert à Charles Maurras, 9 avril 1929, Champigny-sur-Marne.

56 L’Action française est également un réseau offrant aux royalistes ses services. Les correspondantes de Maurras lui écrivent parfois pour formuler une demande d’aide financière, une assistance juridique ou encore une demande d’emploi.  Marie-Louise de Villeneuve, la veuve de Vaugeois est une « championne » en la matière.

57 Exception faite des secrétaires du mouvement, des quelques collaboratrices de la presse d’AF quand elles n’écrivent pas bénévolement et des veuves de personnalités du mouvement qui peuvent parfois recevoir une pension à l’image de Marie-Louise Vaugeois et plus tardivement Marthe Daudet.  

58 Cette intransigeance fut particulièrement remarquable lors de la crise de 1926. Si certaines choisirent l’obéissance au pape, Bruno Goyet précise bien que « tous les témoignages concordent sur la résistance particulière des femmes à l'interdiction de lire l'Af ». Goyet, Bruno, op.cit.

59 Notons l’usage très fréquent de cette expression dans la correspondance féminine de Maurras. Louise de Courville va jusqu’à parler de « poupon d’Action française » à propos du fils de Marthe et Léon Daudet. Arch. nat. : 576AP/254, lettre de Louise de Courville à Charles Maurras, mai 1915.

60 Mme Pierre Chardon fut un temps son amante.

61 Arch. nat. : 576AP/19, lettre de la baronne du H à Maurras, Paris, 1919

62 Arch. nat. : 576AP/10, Lettre de Lucie Valadier à une autre ligueuse, mars 1914

63 Almanach de l’Action française, 1911

64 Arch. nat. : 576AP/109, lettre d’Alice Lefebvre à Madame Bazin, 1927.

65 Arch. nat. : 576AP/201, lettre du Docteur Pauline Sériot à Charles Maurras, non datée.