5 questions à ... Rémy Cazals

Lorsque nous avons eu l’idée de cette semaine spéciale sur la Première Guerre mondiale, à l’occasion du lancement du centenaire de cette tragédie, l’envie de conclure une série d’articles sur les rapports de Louis Barthas à la Bretagne par un entretien avec Rémy Cazals s’est tout de suite imposée. S’il est bien une personne qui connait le tonnelier de Peyriac-Minervois, c’est ce professeur émérite d’histoire contemporaine de l’université Toulouse II Le Mirail, par ailleurs très investi au sein du CRID-1418.

C’est dans les allées des Rendez-vous de l’histoire de Blois que nous avons rencontré Rémy Cazals. Nous lui présentons notre démarche et, pour tout dire, avons été quelque peu surpris de le voir accepter si rapidement notre proposition ! Bien entendu, sur le plan intellectuel, on peut ne pas partager les positions de Rémy Cazals sur la ténacité des combattants pendant la Première Guerre mondiale, domaine historiographique qui n’est pas sans connaître certains affrontements, même si ceux-ci sont moins vifs qu’autrefois. Pour autant, on ne peut qu’être touchés par la simplicité et la gentillesse de ce grand historien.

 

Pour vous, qui est Louis Barthas? Que représente-t-il?

Louis Barthas est d’abord un individu bien précis : écolier brillant mais ayant dû arrêter ses études au certif, tonnelier, socialiste, caporal ayant effectué 4 ans de guerre, écrivain de talent sans le savoir. Par son manuscrit, il est aussi le représentant des catégories populaires qui n’ont pas souvent la parole. La publication de son livre a été une date importante dans l’historiographie, en elle-même et parce qu’elle a suscité la recherche et la publication d’autres témoignages venant du peuple.

Comment avez-vous découvert ses carnets?

Lorsque je faisais ma thèse de doctorat sur le mouvement ouvrier à Mazamet au début du 20e siècle, j’ai voulu chercher la parole ouvrière et j’ai eu recours aux sources orales (j’ai interviewé plus de 50 personnes qui avaient commencé à travailler en usine dans les dernières années du 19e siècle). J’ai été professeur à l’Ecole normale de Carcassonne de 1972 à 1977. Là, j’ai voulu faire découvrir l’histoire aux étudiants par le recours aux témoignages inédits. En 1976, j’ai publié les textes écrits par les écoliers d’un village audois, Tournissan, pendant la Deuxième Guerre mondiale (livre réédité par Vendémiaire en 2012 sous le titre Il nous tarde que la guerre finisse. L’année suivante, pour une exposition de documents sur la Première Guerre mondiale, un des étudiants m’a dit que, au lycée, au moment du cours sur 14-18, le professeur avait lu des textes d’un certain caporal audois, Louis Barthas. J’ai fait mon enquête, j’ai retrouvé le petit-fils et celui-ci m’a confié les 19 cahiers rédigés par son grand-père. J’en ai tout de suite compris l’immense intérêt. J’en ai publié des extraits, tirés sur la petite machine offset de la Fédération audoise des oeuvres laïques. Puis j’ai proposé l’ensemble à l’éditeur parisien François Maspero pour sa collection Mémoires du peuple. Il a accepté immédiatement.

Louis Barthas tel qu'il figure en couverture de l'édition de ses carnets.

Lors de sa sortie, quel accueil a été réservé à l'ouvrage?

Nous avions quelques craintes : un livre de plus de 500 pages, écrit par un inconnu, sur une période de l’histoire qui ne passionnait pas encore les foules... Mais François Maspero était un éditeur qui savait prendre des risques, il avait un très bon service de presse, je l’ai aidé au mieux avec le réseau de la Ligue de l’Enseignement. Et ça a marché. On a tiré quatre mille exemplaires pour le 11 novembre 1978 ; il a fallu faire un nouveau tirage avant Noël. Depuis, la première édition en grand format a connu plusieurs tirages. Une édition de poche est sortie en 1997 à La Découverte, éditeur qui a succédé à Maspero, avec un nouveau texte en postface ; cette édition de poche a reçu une nouvelle couverture en 2003, et octobre 2013 voit la sortie de l’édition du Centenaire et du cent-millième exemplaire, avec préface et postface entièrement refondues et un complément cartographique. Un éditeur d’Amsterdam, enthousiasmé par le texte, l’a fait traduire et l’a publié en 1998, édition qui en est elle-même aujourd’hui au 5e tirage. La traduction en anglais par mon ami Ed Strauss est prête et va sortir en mars 2014 aux presses de l’université de Yale ; l’édition espagnole est également annoncée pour le printemps. Il est question d’une adaptation en BD mais je n’ai pas encore d’information précise là-dessus.

Que retirez-vous aujourd'hui de la publication – et des multiples rééditions – de ce livre? Que vous a-t-il appris?

Le texte de Louis Barthas m’a énormément appris sur la guerre de 1914-1918 et sur l’écriture populaire. Des chercheurs, comme Romain Ducoulombier, apportent de nouveaux éléments à la connaissance de Louis Barthas. Les rares historiens qui avaient essayé de le dénigrer sont pris en défaut par ces nouvelles preuves de l’authenticité du témoignage du tonnelier.

Du succès du texte de Louis Barthas, je retire une intense satisfaction parce que ce succès est mérité et parce qu’il remet en question les théories excessives qui ont été à la mode vers 2000, sur le consentement des soldats à la guerre, sur l’esprit de croisade ou la brutalisation des hommes (au sens de transformation en brutes).

Sur le champ de bataille. Collection particulière.

Pensez-vous qu'il existe beaucoup d'autres Louis Barthas?

Bien sûr, il y a un seul Louis Barthas. Peut-il exister d’autres textes de la même puissance ? Tout est possible mais, jusqu’à présent, je n’en connais pas. Certes, il y a des témoignages de très grande valeur qui sortent parfois (famille Papillon, Gaston Mourlot, Victorin Bès, par exemple : voir le livre 500 Témoins de la Grande Guerre qui vient de paraître), mais il semble difficile de trouver un témoignage qui ait le souffle de celui de Barthas.

Peu de temps après avoir publié Barthas, on m’a confié le manuscrit d’un soldat de la Deuxième Guerre mondiale, Gustave Folcher. Je l’ai publié aussi chez Maspero et il existe à présent en collection de poche et en traduction anglaise. C’est un excellent témoignage, à l’écriture très enlevée, remarquable sur la débâcle allemande de 1944-45 vue par un prisonnier français, mais il n’atteint pas la puissance de celui de Barthas.

 

Précisons si nécessaire que les propos ci-dessus n’engagent que la personne de Rémy Cazals, et en aucun cas le cabinet d’ingénierie mémorielle et culturelle En Envor, éditeur du site enenvor.fr