Le Débarquement de Gilbert Courtel

Lorsque l’on évoque le jour le plus long, celui qui voit le déclenchement de l’opération Overlord, chacun pense aux fantassins chargés de sortir des péniches de débarquement, de mettre pied à terre et de se heurter aux défenses allemandes pour initier la Libération de la France. Pour autant, on oublie trop souvent que le Débarquement de Normandie est aussi, et peut-être même avant tout, une gigantesque histoire logistique et que les hommes qui justement doivent amorcer la reconquête ne le font pas sans d’importants soutiens, notamment d’artillerie1.

La logistique du Débarquement de Nortmandie. Juin 1944. Wikicommons.

Pour s’en rendre compte, nous vous proposons de découvrir le témoignage d’un marin qui, à son poste de combat sur le croiseur Georges Leygues, modeste patron d’un affût de canon, a participé au Débarquement de Normandie. Son nom ? Gilbert Courtel.

Gilbert Courtel c’est une voix gouailleuse de Titi parisien, un môme d’Argenteuil doté d’un sourire malicieux qui n’est pas sans rappeler celui de l’acteur Martin Lamotte. Un témoignage déconcertant de simplicité, d’humanité, à mille lieux de la geste héroïque que décrivent certains (trop ?) beaux parleurs.

 

« Avant le débarquement… et bien il faut le préparer. Il y a les entrainements et donc on est montés d’Angleterre en haut, à Scapa Flow, de Scapa Flow on est descendus à Belfast et de Belfast on a pris la route pour venir en face Port-en-Bessin. Ça c’est le 4 et 5 juin.

Le croiseur Georges Leygues. Wikicommons.

Le 6 au matin on était en place et bah… on a fait ce qu’il y avait à faire : on a bombardé. Et avant d’en arriver là il y avait les dragueurs de mine qui avaient fait un chenal pour chaque bateau. Alors on naviguait comme, comme ca… (sa main décrit des zigzags). On est arrivé là, il faisait nuit. […] L’équipage c’était tout un chacun « chef ? je peux aller aux chiottes ? » … tout l’équipage ! Si y en a un qui me dit qu’il n’a pas eu la pétoche… Tout de suite on a eu le droit à un coup de rhum. Ca a remis tout le monde d’accord… et c’est reparti ! (éclats de rire) »

Ça se passe comment cette journée ?

« Ca se passe que… (il cherche ses mots) ça sent la poudre hein ! Et puis les premiers chalands qui partent des bateaux… (la voix se fait plus hésitante, émue) et puis il y a ceux qui reviennent aussi parce que les navires hôpitaux ils sont derrière. Et là il y en a un, je le reverrai toujours, il avait son œil droit au niveau de la joue qui pendait là. Il se rapproche de nous en nous disant « vous pouvez me prendre à bord ? » et on répond « les navires hôpitaux, c’est derrière ! ».

Nous, on a bombardé. On a bombardé jusqu’à Bayeux. On est restés là du 6 au 19 juin 1944. On a pas allumé tous les jours, c’était juste au départ. C’était pas évident tout de suite le Débarquement. Cela a failli être… (il sifflote, comme pour signifier un échec).

L'un des objectifs assigné à Gilbert Courtel et au Georges Leygues: la batterie de Longues-sur-Mer située à l'est de Port-en-Bessin. Wikicommons.

Chaque bateau avait un observateur qui avait été parachuté la veille ou l’avant-veille. Nous il s’appelait Gaspard. Il était en communication directe avec la passerelle. Moi mon poste de combat était près de la passerelle. J’étais patron d’affût de canon et on entendait tout ce qui se passait. Et puis à un moment on a pu entendu notre Gaspard. On avait plus de lien avec lui… Et lui il nous disait : « à tel endroit, trop court… », « ca y est c’est bon… » quand on a fait la batterie de Longues. Et puis plus rien. Où c’est qu’il est passé ? 36 heures après on a entendu Gaspard. Il était encerclé, avec des Allemands. Il avait bouffé tout ce qu’il avait à manger comme papiers et puis il attendait. Quand on l’a repris il était content !

Et puis après, quand il n’y a plus eu à boire ni à manger dans le bateau, on est repartis. Et puis les munitions on avait tout vidé. Alors on est repartis en Angleterre. »

Refaire le plein  de munitions ?

« Refaire le plein de pinard tout de suite ! (rires) De munitions après. (Plus sérieusement) Je peux pas dire que c’est dur le Débarquement. J’y ai participé mais je n’ai pas mis les pieds à terre. Cela a été dur pour ceux qui étaient à terre. C’est là qu’on dit : « et dame ! merde ! heureusement que je suis marin ! C’est ça le truc !»

 

1 Sur cette question on renverra entre autres à PORTEAU, Olivier, « Esquisse d’un bilan réévalué de l’action des parachutistes français en Bretagne : mission militaire et/ou politique ? », En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°2, été 2013, en ligne.