Actualités de l'histoire

Bien entendu, il n’y avait que les naïfs dont je suis qui espéraient car, à l’évidence, l’air du temps n’était pas à ce type  de mesures. De plus, l’absence d’annonce lors des commémorations du 11 novembre ne faisait qu’inciter au pessimisme. Et puis, finalement, la nouvelle est tombée, comme un couperet, par l’intermédiaire du toujours très bien informé Jean-Dominique Merchet : la Mission du centenaire 14-18 sera prolongée mais réduite. Et aussitôt vient à l’esprit ce jugement, sans appel : fausse bonne nouvelle mais vraie mauvaise décision.

On passera rapidement sur l’absurdité pédagogique d’une telle mesure puisqu’on nous a doctement expliqué que « le 11 novembre 1918 » a été commémoré dès cette année. Bien évidemment, il n’y a que des historiens pénibles (litote) pour s’attacher à de tels points de chronologie et nous n’insisterons donc pas. Si l’on a en mémoire le passage de l’éphémère Jean-Marie Bockel à la rue de Bellechasse, on ne pourra que remarquer le contraste avec un 70e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, certes marqué par le storytelling, mais au moins respectueux d’un certain nombre de détails chronologiques fondamentaux. Mais il est vrai qu’un autre grincheux a pu, ce week-end, s’émouvoir de ce que les commémorations de la Libération de Strasbourg accordaient une large place aux reconstitutions américaines alors que la cité alsacienne est, serment de Koufra oblige, libérée par la 2e division blindée du général Leclerc, geste venant parachever une légende aujourd’hui oubliée.

On pourra toutefois s’étonner de cette décision qui, par bien des égards, s’apparente à une curieuse mesure en termes de management. Chacun s’accordera en effet à souligner l’excellent travail fait par la Mission. Si ce centenaire vient effectivement d’en bas, c’est bien entendu du fait des milliers de projets qui sont nés dans les territoires mais aussi parce qu’à un moment donné tous ont pu être relayés par en haut.

Mais c’est probablement du point de vue économique que la réduction considérable de voilure imposée à la Mission est la plus incompréhensible.  En effet, nombreux sont les observateurs à avoir souligné l’importance du centenaire de ce point de vue, contribuant ainsi à délimiter les contours d’une économie que l’on pourrait qualifier de mémorielle. C’est ainsi Martine Robert, journaliste du très sérieux quotidien économique Les Echos, qui estime que « ce sont donc pas moins de 375 millions d’euros qui auront ainsi été injectés dans l’économie à l’occasion du Centenaire 14-18 ». Un constat renouvelé par Damien Baldin dans La Gazette des communes, le conseiller à l’action territoriale de la Mission évoquant des dépenses publiques totales de l’ordre de 215 millions. Or à chaque fois ou presque, en relais des collectivités territoriales se trouvent des petites, voire très petites entreprises, qui constituent le cœur de cette nouvelle économie mémorielle. Ce sont des scénographes, des muséographes, des historiens professionnels, des agences de communication ou d’événementiels, des développeurs… bref, tout ce qui compose de près ou de loin ce que l’on nomme l’ingénierie culturelle. Et pour ces structures, cette réduction de voilure est un signal d’autant plus incompréhensible qu’elles forment un secteur d’activité constituant un indéniable relais de croissance, à l’heure où celle-ci est si ardemment recherchée.

La Bataille de Vimy, peinture de Richard Jack. Wikicommons.

Alors bien entendu, il convient de ne pas être trop alarmiste puisque, comme le proclamait un ancien Premier ministre, « l’Etat ne peut pas tout » et ne peut donc pas proclamer avant l’heure la fin du centenaire. C’est ainsi par dizaines de milliers que les Canadiens – et leur pouvoir d’achat – viendront dans le Nord de la France à l’occasion du centenaire de la bataille de Vimy en 1917. C’est à partir de ce moment que viendront également de nombreux Américains alors que les Britanniques, eux, sont déjà massivement présents dans la Somme, et le seront encore plus en 1916. A chaque fois, de nombreux projets culturels seront proposés à ces touristes du souvenir, et feront vivre l’économie mémorielle (sans évoquer des secteurs plus traditionnels comme l’hôtellerie ou la restauration). Même dans une région comme la Bretagne on sait que d’importants projets relatifs au centenaire de la Première Guerre mondiale sont à l’heure actuelle développés et verront le jour en 2015. Nous ne manquerons d’ailleurs pas de vous en parler, ici même. Le centenaire est donc loin d’être fini…

Erwan LE GALL