Fratries de Châteaulin et d’ailleurs…

Dans son dernier numéro (n° 3, septembre 2014), Châteaulin 14-18, le mensuel édité par l’association Mémoires de Châteaulin, consacre un précieux article aux trois frères Blaise, que la mémoire locale disait morts tous trois en combattant au sein du même régiment, le 162e régiment de chasseurs à pieds. La légende avait une origine : une photographie représentant les trois frères en uniforme, avec des pattes de col portant le « 162 », et des insignes portant le fameux cor des chasseurs sur la manche.

Comme le rappelle l’article, il n’y eut jamais de 162e régiment de chasseurs, ni même de 162e bataillon de chasseurs à pied. Les uniformes que portent les trois frères sur la photo sont sans doute des uniformes fantaisie, prêtés par le photographe : pas un des trois frères n’a en effet fait son service militaire dans une unité numérotée 162. Surtout, tous trois sont mobilisés à l’été 1914 dans trois régiments différents, aux garnisons fort éloignées, les 26e, 360e et 118e RI : ils n’ont donc pas pu ne serait-ce que se croiser après leurs départs respectifs vers leurs villes de garnison, les 2-3 août.

Un trois frères Strullu. Collection Alain Le Berre.

En revanche, un fait reste certain : ils sont tous les trois tués à l’ennemi, à Hoeville le 25 août 1914 pour l’un, près de Lunéville avant le 17 septembre 1914 pour l’autre, à Maissin le 22 août 1914 pour le dernier, celui qui combat dans les rangs du 118e RI. Le tribut payé par cette famille, sans être banal – le fait qu’une rue de Châteaulin porte leur nom le dit implicitement –, n’est cependant pas totalement exceptionnel, comme l’illustrent les quelques pages qu’Alain Le Berre et René Richard consacrent aux fratries de Plozévet décimées par la Grande Guerre dans le dernier bulletin de l’association Bretagne 14-181 (n° 70, septembre 2014).

Dans cette commune de Cornouaille, 59 des 205 poilus morts au cours du conflit appartiennent à 25 fratries. 7 familles perdent 3 fils, 17 en pleurent 2. Le cas des frères Strullu, de Lanvoran, un hameau de la commune, est tragiquement révélateur des effets de la guerre ici : 4 d’entre eux sont morts, Jacques (62e RI) à Maissin le 22 août 1914, Henri (118e RI) 5 jours plus tard à Chaumont-Saint-Quentin, Pierre (62e RI) et Jean-Marie (348e RI) à Verdun les 16 avril et 12 juin 1916. En l’espace de quelques jours ou quelques semaines, en août 1914 et au printemps 1916, les parents Strullu perdent ainsi 4 de leurs 5 fils, le dernier, Louis, revenant de la guerre diminué par une blessure.

Couple Strullu. Collection Alain Le Berre.

Saignée comparable chez les Ferrant : sur les 6 fils et le gendre de Thomas Ferrant mobilisés, 3 sont tués le même jour, appartenant au même 3e bataillon du 118e RI, lancé à l’assaut des positions allemandes à l’est de Maissin le 22 août 1914. Pourtant, ce n’est pas Thomas Ferrant que René Quillivic prend pour modèle lorsqu’il conçoit le très émouvant monument au mort de la commune, mais un autre père endeuillé, Sébastien Le Gouill. Il a, lui aussi, perdu 3 fils, mais aussi un gendre.

De Châteaulin ou de Plozévet, de Saint-Brieuc (les trois frères Le Goff) ou de Saint-Malo (les six frères Ruellan), les exemples de ces fratries décimées par le conflit ne manquent pas en Bretagne. Ils disent deux choses au moins, sans même parler du traumatisme vécu par les familles. Tout d’abord, le poids des structures démographiques d’avant-guerre pour comprendre l’ampleur des pertes en Bretagne et, plus largement, dans nombre de département de l’Ouest de la France. Ensuite, tout l’intérêt de ces enquêtes de terrain, au plus près des sources, loin des vieilles antiennes ressassées par des « historiens » autoproclamés.

Yann LAGADEC

 

1 Bretagne 14-18, Bel Horizon, 22 330 Plessala.