Le centenaire de 1914 en Bretagne : sur quelques « initiatives d’en bas » (2)

Faisant nôtres les propos d’Antoine Prost, président du comité scientifique de la Mission du Centenaire, nous évoquions, il y a quelques semaines, une première « vague » de ces « initiatives d’en bas » bretonnes en rapport avec le centenaire de la Grande Guerre. L’été et l’anniversaire de la mobilisation ont été l’occasion de nouvelles expositions ou parutions dont nous souhaitions rendre compte ici. 

La plus enthousiasmante par bien des aspects est l’exposition La Première Guerre mondiale vue par les peintres de la Bretagne, au musée du Faouët, dans le Morbihan. La diversité et la qualité des œuvres présentées emportent d’emblée l’adhésion du visiteur : dénichées souvent dans des collections privées, de ce fait inégalement accessibles au grand public et rarement exposées, toiles, gravures, aquarelles et sculptures offrent un ensemble à notre connaissance jamais réunis en Bretagne sur un tel sujet. Certes, l’on y trouve des « classiques », de fait incontournables, des lettres de Mathurin Méheut que l’on ne se lasse pourtant pas de voir et revoir (à quand cependant une édition critique de sa correspondance de guerre, s’intéressant aux textes mis en relation avec les dessins et aquarelles, et plus seulement à leur dimension picturale ?) aux études de Camille Godet pour le Panthéon rennais. Mais l’on y trouve associés, par exemple, des dessins inédits du peintre, dont certains ont été récemment présentés par Denise Delouche dans le numéro 30 de Place publique Rennes.

Fernand LE GOUT-GÉRARD (Saint-Lô, 1854 – Paris, 1924): Inquiétudes diplomatiques (E.B. Hirschfeld et Mme de Malherbe), 1914, Pastel - 22 x 30 cm. Collection Françoise et Jean-Michel Gloux, Concarneau. © Photo Isabelle Guégan, Ergué Gabéric.

Passons rapidement sur deux – légers – regrets de spécialiste. Tout d’abord les quelques « oublis » de l’exposition : ainsi du peintre nantais Xavier Josso, objet d’une exposition au musée de Meaux l’année dernière et d’un catalogue souvent suggestif¹. Ainsi de Jeanne Malivel, qui a notamment laissé de nombreux dessins de blessés faits alors qu’elle œuvre comme infirmière à l’hôpital complémentaire n° 37 de Loudéac². Ainsi encore de René Pinard, dont les tableaux, issus de ses embarquements au large des côtes de Bretagne, ont été récemment redécouverts³. Second grief que l’on pourrait faire à l’exposition : le caractère scientifiquement discutable – au sens premier du terme : l’on peut argumenter dans l’un ou l’autre sens… – des « limites » données à l’exposition. Mêlant artistes bretons et artistes ayant résidé en Bretagne à un moment ou un autre de leur vie sans pour autant avoir vécu en ou peint la/en Bretagne pendant la guerre, se trouvent juxtaposés : le lien avec la région mis en avant dans le titre de l’exposition est de ce fait parfois très ténu.  

Qu’importe à vrai dire. Soyons francs : les œuvres exposées font rapidement oublier ces légères critiques. Il serait vain ici de donner la liste de tous les artistes présentés, de René-Yves Creston à Maurice Denis, de René Quillivic à Lucien Simon. Les Inquiétudes diplomatiques. 1914 de Fernand Le Gout-Gérard, représentant Hirschfeld et Mme de Malherbe à Concarneau quelques jours avant l’entrée en guerre, le Rassemblement devant la mairie du Faouët, 15 août 1914, dû à Germain David-Nillet, l’hôpital de Pontivy dessiné en 1916-1917 par Jean Bouchaud, celui de Quimper gravé par André Jolly, les soldats américains à Nantes représentés par Jean-Emile Laboureur, la Grand-mère de Bretagne pleurant sur ses enfants morts à la guerre de Quillivic : on ne sait trop où donner de la tête...

Fernand DAUCHO (Paris, 1898 – Riantec, 1982): Mort en 1918, Huile sur toile - 54 x 65 cm. Collection Cécile Fradin-Dauchot. © Photo Isabelle Guégan, Ergué-Gabéric.

Une fois la visite terminée, le riche catalogue signé, en collaboration avec Denise Delouche,  par Jean-Marc Michaud permet cependant d’entretenir le plaisir de l’excursion au Faouët⁴. Si toutes les œuvres exposées n’y sont malheureusement pas reproduites, on y retrouve les grandes articulations de l’exposition : la montée vers la guerre et la mobilisation ; la guerre vue par les artistes mobilisés ; les peintres en mission aux armées ; la guerre vécue depuis l’arrière ; enfin les sorties de guerre. Un ouvrage que l’on se doit de lire – et éventuellement d’acheter… –, qui trouvera naturellement sa place dans les bibliothèques aux côtés de ceux consacrés à Josso, Méheut ou Lemordant.

Seconde initiative à noter : la parution des premiers numéros (n° 0 et n° 1) de Châteaulin 14-18⁵. Due à l’association « Mémoires de Châteaulin », ce petit mensuel sur papier glacé s’appuie à la fois sur le dépouillement des archives municipales, sur la lecture des pages de l’hebdomadaire républicain de l’arrondissement de Châteaulin, Le Bas-Breton, et sur quelques fonds privés, correspondances ou collections photographiques, à l’instar de celle – exceptionnellement riche – du capitaine Longuet, artilleur brestois, récemment publiée par son petit-fils, Michel Delannoy⁶. On attend donc la suite avec impatience… en espérant la prise en compte des sources disponibles aux Archives départementales du Finistère, indispensables à la mise en évidence de toute un série de phénomènes qui, étant donnée l’organisation de l’administration dans la France de 1914, n’ont pu laissé de trace à Châteaulin même. 

Le premier numéro de Châteaulin 14-18.

Nous reviendrons, dans quelques jours, sur d’autres « initiatives d’en bas », et notamment quelques autres expositions. Nous n’avons malheureusement pu visiter celle organisée jusque mi-juillet à Plozévet. D’autres nous attendent cependant, de Matignon à Fougères, en passant par Saint-Malo entre autres.

Yann LAGADEC

Bulletin d'abonnement Châteaulin 14-18 :

¹ Coll., Xavier Josso, un artiste combattant dans la Grande Guerre, Paris, Somogy, 2013.  

² Quelques-uns de ces dessins ont été publiés dans LAGADEC, Yann (sous la direction de), « Le pays de Loudéac et la Grande Guerre. 1914-1918 », Mémoire du pays de Loudéac, 1995.

³ Plusieurs de ces œuvres ont été publiées dans GUYVARC'H’h, Didier et LAGADEC, Yann, Les Bretons et la Grande Guerre. Images et histoire, Rennes, PUR, 2013, p. 36-38.

⁴ On ne saurait trop recommander d’ailleurs d’en profiter pour faire un détour par l’incomparable chapelle Saint-Fiacre mais aussi, plus proches de la période qui nous intéresse ici, par le monument au morts de la commune du Faouët, près de l’église, et par celui en l’honneur de Corentin Carré, au centre du bourg quant à lui.

⁵ Il est possible de s’abonner  aux 12 numéros annuels pour 20 euros. Contact : memoires.chateaulin@laposte.net

⁶ http://guerre14longuet.canalblog.com/