Un très beau livre

Le constat n’est pas neuf mais En Envor le dresse d’autant plus gravement que le prochain centenaire de la Première Guerre mondiale rend la question encore plus cruciale : en France, histoire et vulgarisation ne font en ce moment pas bon ménage. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se rappeler  les mots d’Antoine Prost qui, en avril dernier, mettait en garde contre le risque de perpétuer cette notion fausse d’enthousiasme du poilu au moment de sa mobilisation en août 1914, thèse dite de « la fleur au fusil » pourtant battue en brèche par Jean-Jacques Becker en 1977. C’est dire s’il existe une frontière imperméable entre la recherche scientifique universitaire et le plus grand public, incapable d’en recueillir les fruits.

Pour tenter d’inverser cette  fâcheuse tendance, deux stratégies divergentes semblent émerger. La première, représentée par Franck David, consiste en la publication d’ouvrages spécifiquement destinés aux enseignants, sorte de manuels assurant la liaison entre l’amphithéâtre et la salle de classe. L’autre, complémentaire, est celle empruntée par Didier Guyvarc’h et Yann Lagadec. Ces deux chercheurs que les spécialistes de la Première Guerre mondiale connaissent bien viennent de publier aux Presses universitaires de Rennes un magnifique album : Les Bretons et la Grande Guerre. Images et histoire.

En huit parties, les deux auteurs dressent non seulement un remarquable état des connaissances sur la Bretagne et la Première Guerre mondiale mais enrichissent de surcroît leur propos de perspectives très neuves, notamment en ce qui concerne les mémoires du conflit. En effet, si la classique question du mythe des 240 000 est abordée, et tranchée sans équivoque, les usages beaucoup plus contemporains de la Grande Guerre sont également évoqués, de l’édition 2012 du spectacle vivant Ceux de 14 joué à Chauvigné (Ille-et-Vilaine) en passant par une – géniale – caricature publiée par Nono pendant les évènements de Plogoff. Il en est de même en ce qui concerne la partie proprement militaire de l'ouvrage, celle-ci bénéficiant des apports les plus récents de la recherche.

Ces Bretons et la Grande Guerre sont donc un véritable ouvrage d’histoire. Ecrits dans un style simple, accessible au plus grand nombre, ils n’éludent aucune question, ne tombent jamais dans le piège de la complaisance commémorative,  gardant l’esprit critique qui fonde la démarche historique. Ainsi lorsqu’ils évoquent la cohabitation parfois difficile entre les Bretons et les populations étrangères arrivées en masse dans la région avec le conflit, situation qui impose une coexistence parfois peu simple et engendre des réactions xénophobes, voire racistes.

Mais, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, ce livre est avant tout un livre d’images, un livre d’histoire par l’image. Cette dimension est fondamentale tant il est certain qu’elle est garante d’une plus large diffusion auprès du grand public. Et l’on se doit de souligner ici le travail remarquable des deux auteurs qui, tout au long des 200 pages que compte le volume, proposent une illustration aussi riche que variée, sans compter que nombre de ces clichés sont totalement inédits. On prend dès lors d’autant plus de plaisir à les découvrir qu’ils ne sont aucunement un faire-valoir mais une pièce centrale de l’ouvrage, composant un subtil dialogue avec le texte.

Une mise en page aérée, claire, moderne, qui valorise parfaitement la remarquable iconographie de l'album.

Dans la préface de ces Bretons et la Grande Guerre qu’il signe, Alain Croix écrit de cet album qu’il est « une synthèse maîtrisée, nuancée, pesée ». Ajoutons qu’il s’agit à nos yeux d’un livre qui, dans le contexte actuel, revêt une importance certaine, assurant la liaison indispensable entre le savoir des spécialistes et les connaissances du grand public. Sans compter que Noël approche et que ce volume mérite de se retrouver au pied de nombreux sapins.

Erwan LE GALL

GUYVARC'H, Didier et LAGADEC, Yann, Les Bretons et la Grande Guerre. Images et histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.