10 mai 1981 : un jour presque rose en Bretagne

Le 10 mai 1981, en obtenant près de 52% des scrutins, François Mitterrand est élu président de la République face à Valéry Giscard d’Estaing. Il remporte alors le même duel qu’il avait perdu sept ans plus tôt, en 1974. Pour la première fois depuis Vincent Auriol, un socialiste arrive à l’Elysée. Dans le monde, comme en France, cette élection suscite de nombreuses inquiétudes concernant l’avenir des « principes de la Ve République et [des] valeurs de liberté et de progrès qu’elle incarne », pour reprendre la formule prononcée par Jacques Chirac le soir même (Ouest-France, 11 mai 1981, p. 3). Qu’en est-il en Bretagne, région largement perçue – à tort d’ailleurs – comme étant conservatrice et qui, douze ans plus tôt, avait voté en faveur du général de Gaulle lors du référendum conduisant au départ de l’homme du 18 juin ?

Pendant la campagne électorale. Carte postale. Collection particulière.

Dans les heures qui précèdent le scrutin, l’inquiétude est déjà largement perceptible. De nombreux incidents éclatent en effet dans la région. A Fougères, « les urnes et les listes électorales [sont] volées et incendiées » dans la nuit du 9 au 10 mai. La nuit précédente, des bagarres entre  colleurs d’affiches sont signalées à Lorient ou encore à Hennebont. A Ploërmel, le maire se rend au domicile d’un militant socialiste pour le gifler car il s’estimait personnellement visé par les tracts distribués la veille (Le Télégramme, 11 mai 1981, p. 9). A Vannes une rixe reflète parfaitement les tensions qui règnent dans les partis de droite. En effet, dans la nuit du 8 au 9 mai, une « quinzaine de militants giscardiens » prennent à partie des « Chiraquiens » qui « se sont mis à décoller les affiches de Giscard ». L’un de ces hommes, âgé seulement de 18 ans, est retrouvé mort dans son lit le lendemain matin, victime d’une crise cardiaque sans lien formellement attesté avec l’affrontement nocturne (Le Télégramme, 11 mai 1981, p. 9).

Le 10 mai 1981, la Bretagne vote minoritairement pour François Mitterrand qui arrive donc en seconde position dans le Finistère (49,06%), le Morbihan (46.02%) et l’Ille-et-Vilaine (45,81%). Seuls les départements des Côtes-du-Nord (55,53%) et de la Loire-Atlantique (50,13%) affichent leur soutien au candidat socialiste. Pourtant, les observateurs insistent sur un vote historique puisqu'il se traduit par une « poussée spectaculaire » de la gauche en Bretagne (Le Télégramme, 19 mai 1981, p. 8). En effet, si l’on compare avec les résultats du second tour de l’élection présidentielle de 1974, François Mitterrand progresse significativement dans la région : près de 8 points d’augmentation dans tous les départements à l’exception des Côtes-du-Nord où il n’améliore son résultat que de 5 points (mais emporte plus de 55% des suffrages). Cette tendance se confirme aussi bien dans les grandes villes, qui ont toutes placées François Mitterrand en tête, « à l’exception de Vannes » (Le Télégramme, 19 mai 1981, p. 8), que dans les campagnes. A Plogoff, un an après les manifestations anti-nucléaires, François Mitterrand obtient même 68% des votes.

Dans son édition du 12 mai (p. 3), Ouest-France interroge le politologue Philippe Braud, alors professeur à Rennes. Ce dernier explique cette progression du vote socialiste en Bretagne par des raisons économiques. Selon lui, « une masse de producteurs familiaux était disponible pour un vote de rejet, mais restait méfiante à l’égard des communistes. Le recul du PC au 1er tour a pu les encourager à sauter le pas ». De la même manière, en étant aux responsabilités dans plusieurs grandes municipalités conquises en 1977, les socialistes ont montré qu’ils n’entendaient pas rallumer la guerre scolaire. Or c’est là une dimension importante dans cette région où la religion reste chose sensible et où les réseaux catholiques de gauche, solidement implantés et largement structurés, ont pu rassurer un certain nombre d’électeurs.

Le premier gouvernement de Pierre Mauroy, dans la cour de l’Elysée, avec le Président de la République François Mitterrand et des ministres communistes. Carte postale. Collection particulière.

Quoi qu’il en soit, l’annonce des résultats suscite de vives réactions. A « Vannes la bourgeoise », telle que la qualifie le quotidien finistérien Le Télégramme, des tracts « Mitterrand le désordre » sont balancés par des militants giscardiens chantant La Marseillaise. Ces derniers se retrouvent vite face à 200 ou 300 manifestants qui répliquent en chantant L’Internationale et en brandissant des drapeaux rouges (Le Télégramme, 12 mai 1981, p. 6). Un cortège se forme ensuite et défile dans la ville sans qu’aucun accident ne soit constaté. Du côté des hommes politiques bretons, les discours sont également très tranchés. Si Edmond Hervé, maire socialiste de Rennes, parle d’une « très grande ouverture au bénéfice de la démocratie locale », c’est sans surprise celle de son homologue de Vannes, Paul Chapel, qui résume le mieux les craintes de l’opposition sur le risque d'une prise de pouvoir des communistes : « Tout ce que j’espère, c’est que le nouveau gouvernement ne s’adhère pas aux communistes pour gouverner » (Ouest-France, 12 mai 1981, p. 3).

Yves-Marie EVANNO