1984, quand les défenseurs de l’enseignement catholique battent le pavé

23 juin 1984, c’est veille de manifestation à l'Institut catholique Blanche de Castille de Nantes, et

« pendant que les élèves planchent sur leur copie, dans une salle voisine, les parents mettent au point leur déplacement à Paris. Problèmes d'organisation, d'encadrement, de logement, de sécurité, tout est passé en revue. »1

La mobilisation des « parents et enseignants » des « 450 écoles privées » de Loire-Atlantique promet d’être conséquente : « Près de 40 000 personnes se sont inscrites pour monter à Paris [via] 4 trains spéciaux, 200 cars, sans compter les voitures particulières ».

L'Institut catholique Blanche de Castille de Nantes. Carte postale. Collection particulière.

Le lendemain, aux cris de « Savary t'es foutu, l'école libre est dans la rue », les défenseurs de l’enseignement privé confessionnel battent le pavé parisien pour obtenir le retrait de la loi, qui vise à créer « un grand service public unifié et laïc de l'éducation nationale », portée par le ministre de l’Education nationale Alain Savary. Ce projet, présenté en Conseil des ministres le 4 août (sic) 1982, est issu du programme présidentiel de François Mitterrand. La « guerre scolaire » s’enclenche à nouveau entre partisans d’une école laïque et partisans d’une école « libre ». Le sujet est d’autant plus vif dans l’Ouest de la France, et notamment en Bretagne, que près de la moitié des élèves sont inscrits dans l’enseignement catholique. En outre, un siècle auparavant, les lois Ferry instituant un enseignement public laïc connaissent de fortes résistances dans la région, comme le montre très bien l’exemple de Missillac (44).

Dès le début de l’année 1984, la tension monte entre le gouvernement d’un côté et les associations de parents d’élèves de l’école « libre » (APEL) et le comité national de l’enseignement catholique d’autre part. Les premières manifestations ont lieu en régions, comme à Rennes le 18 février, où défilent entre 250 000 et 300 000 personnes. Le 4 mars, une manifestation à Versailles rassemble même entre 500 000 et 800 000 manifestants. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de poursuivre son projet et de faire voter le texte en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 juin 1984. Pourtant la majorité de gauche vient de subir une large défaite aux élections européennes une semaine auparavant. La liste emmenée par Simone Veil recueille plus de 40% des suffrages et l’Ouest apparaît alors globalement comme un bastion de droite2. La réalité est pourtant probablement plus complexe, comme le suggère l’épineuse question des « cathos de gauche ».

La manifestation du 24 juin 1984 déborde largement ce mouvement parti de la base catholique regroupée au sein des APEL et soutenu par la hiérarchie de l’enseignement catholique. « Sœur Colette Lignon », supérieure de l’Institut catholique Blanche de Castille, avoue ainsi n’être auparavant « jamais descendue dans la rue ». A Paris, de nombreuses personnalités politiques de droite se joignent au mouvement, dont certaines parmi les plus éminentes : Simone Veil, Valéry Giscard-d’Estaing et le maire de Paris Jacques Chirac. La manifestation est un succès. Ouest-France, journal régional d’inspiration chrétienne, titre victorieusement le surlendemain : « Ils étaient 1 500 000 dans les rues de Paris »3. Même si la police en a dénombré 850 000, cela constitue l’une des plus importantes manifestations en France depuis la Libération.

Manifestation au mois de mai 1984 à Montparnasse. Un drapeau breton est clairement visible. Carte postale. Collection particulière.

La défaite est cuisante pour la gauche. Le président de la République annonce le retrait de la loi Savary lors de son allocution télévisée du 14 juillet, malgré la soutien affiché au projet de son ministre de l’Education nationale. Trois jours plus tard, Alain Savary démissionne, suivi du Premier ministre Pierre Mauroy. Portée par le nouvel élan d’un électorat catholique que l’on pensait devenu négligeable à mesure que les églises se vidaient, la droite remporte les élections législatives de 1986 et Jacques Chirac retrouve Matignon. Depuis, craignant le réveil de cette base catholique, aucun gouvernement, surtout de gauche, n’ose rouvrir le débat politique entre l’école publique et l’école privée.

Thomas PERRONO

 

1 Journal télévisé de 20 heures, Antenne 2, 23 juin 1984, L’Ouest en mémoire.

2 Données et cartes disponibles sur le site france-politique.fr tenu par le journaliste Laurent de Boissieu.

3 Ouest-France, 25 juin 1984.