La place des femmes dans le monde paysan des années 1970 : de la ménagère à l’agricultrice

Si l’actualité historique de la semaine tourne bien évidemment autour des Rendez-vous de l’histoire de Blois, les historiens ruralistes n’oublient pas pour autant la tenue, à Caen du 8 au 10 octobre 2014, du colloque fêtant le 20e anniversaire de l'Association d'Histoire des Sociétés Rurales. Il aura pour thème « Les petites gens de la terre : paysans, ouvriers et domestiques du Néolithique à 2014 ». Dans le programme touffu de ce colloque, on relèvera la volonté des organisateurs de s’intéresser à l’histoire du genre et des femmes dans le monde agricole.1

Au milieu des années 1970, la télévision régionale s’intéresse à la nouvelle place que les femmes revendiquent au sein du monde paysan. Le 4 mars 1976, elle consacre ainsi un reportage à une personnalité naissante du syndicalisme agricole breton : Anne-Marie Crolais. La jeune femme, âgée de 24 ans, vient d’être élue présidente du comité départemental des Jeunes agriculteurs (CDJA). C’est la première fois en France, qu’une femme accède à la tête d’un syndicat agricole.

A travers l’interview in-situ de la jeune agricultrice, on voit à l’œuvre les conséquences de la modernisation agricole de la Bretagne sur les mentalités. Une modernisation qui passe d’abord par le développement de l’élevage. Les Crolais possèdent alors 36 hectares de terre dans les alentours de Saint-Alban, dans les Côtes-du-Nord. Anne-Marie déplore le manque de foncier disponible, surtout dans cette zone littorale qui voit se développer une industrie touristique (Erquy, Sable-d’Or-les-Pins...). L’élevage – intensif – devient alors une nécessité pour vivre de l’activité agricole. Dans leur ferme, les Crolais installent un élevage porcin d’une soixantaine de truies, dont Anne-Marie à la charge. La femme devient un travailleur à part entière de l’exploitation agricole. Elle n’est plus reléguée aux tâches secondaires, comme pouvaient l’être les fileuses aux XIXe et début du XXe siècles.

Pour assumer ce nouveau statut professionnel, ces jeunes femmes ressentent le besoin de formation. A la question du journaliste, Anne-Marie Crolais répond : «  Je crois que c'est un grand problème dans l'agriculture, c'est le manque de formation de base, et le besoin de recyclage, perpétuellement, on ne sait jamais tout, il faut toujours se former. » C’est pourquoi, au cours de la décennie se mettent en place auprès du public féminin des programmes d’initiation à la gestion d’exploitation. D’ailleurs ce sont-elles qui vont apprendre en premier à diriger un élevage hors-sol. Les femmes n’entendent plus désormais « rester le bouche-trou de la ferme ».

Dans un élevage porcin. Pixabay.

Le changement de statut des femmes dans le milieu paysan des années 1970 s’effectue également au sein du foyer familial. Ces jeunes femmes du baby boom ne veulent pas vivre comme leurs mères et belles-mères. Anne-Marie avoue à la fin de l’interview, «  qu'il y a une séparation là, qui s'est faite et qui se fait de plus en plus », entre les générations qui cohabitent dans la ferme familiale. Même si les femmes doivent encore, d’après le journaliste, assumer les « activités traditionnelles que sont les soins domestiques et l'éducation des enfants ». La jeune génération revendique le droit d’avoir une autre vie en dehors de la ferme, une part d’urbanité. Anne-Marie et son époux aiment aller au cinéma, au théâtre, sortir... Pour ces jeunes, la ville devient un lieu de consommation de loisirs et non plus seulement une place de commerce.

Quatre décennies après ce reportage, on peut constater que la place des femmes dans le monde paysan a définitivement changé. Dans les années 1980, elles obtiennent l’égalité réelle avec la création du statut de « co-exploitante » et de l’EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée). Pourtant, si aujourd’hui plus du quart des chefs d’exploitation et co-exploitants sont des femmes, leur place continue d’évoluer. Ainsi, un nombre grandissant de femmes ne travaillent plus sur l’exploitation familiale. Les crises successives que traverse l’économie agricole – dans l’élevage notamment – rendent crucial l’apport d’un revenu « non-agricole » pour faire vivre le foyer.

Thomas PERRONO

 

1 Une session se tiendra le jeudi 09 octobre autour de ce thème, avec des communications de Nathalie Joly, « J’organise ma petite ferme. Jalons pour une histoire de la gestion au féminin (19-20e siècles) » ; Clothilde Lemarchant, « Les formations agricoles à l’épreuve du genre : jeunes femmes et jeunes gens atypiques » ; et Jérôme Pelletier, « De la paysanne à l’agricultrice, les femmes de la terre face à la révolution silencieuse ».