Jack Kerouac, sur la route de ses origines bretonnes

C’est au bord d’une route interminable de l’Ouest américain – bien loin des vertes prairies du bocage breton – que l’on rencontre un homme qui porte un nom de famille à consonance bretonne : Jack Kerouac. Il naît en 1922 dans l’Etat du Massachussetts aux Etats-Unis dans une famille d’immigrés québécois. Si la langue maternelle de Jean-Louis – son prénom de naissance – est le français, c’est en anglais qu’il devient l’une des icônes de la jeunesse américaine des sixties et plus encore des seventies : la Beat Generation, avec notamment son roman On the road (Sur la route).

Kerouac, photographié en 1957 à Tanger.  Thomas Fisher Rare Book Library, University of Toronto, Toronto, Ontario Canada: Allen Ginsberg Collection of Photographs AG-349.

Pourtant, pour Kerouac, l’exotisme semble bien loin des espaces sauvages de l’Ouest américain. Dans son roman Satori in Paris (Satori à Paris)1, il laisse transparaître son obsession pour ses origines familiales. Une quête de la Bretagne nourrie notamment par son père, comme le raconte son ami écrivain Youenn Gwernig, interviewé en 1971 par Pierre-Jakez Hélias (1’55’’) : « Son père […] lui disait toujours : Ti Jean ! Surtout n’oublie jamais que tu es un Breton ! » C’est en quête de ses ancêtres qu’il revient en France au milieu des années 1960, à Paris puis en Bretagne :

« Bref, j’essayais de découvrir quelque chose sur mon ancienne famille, j’étais le premier Lebris de Kérouac à remettre les pieds en France, au bout de deux cent dix ans, pour essayer d’y voir clair, et j’avais prévu de me rendre en Bretagne […] » (p. 43-44)

Ce nom de Kerouac signifie selon lui dans « la langue parlée en Cornouaille […] le kernuak » : « maison (ker), dans le champ (ouac) » (p. 98). Plus encore, Kerouac est convaincu d’être un descendant des « princes de Bretagne ». Alors, comme tout généalogiste amateur, il se met à la recherche de documents qui attestent de sa prestigieuse ascendance. Aux Archives nationales, il demande à consulter une « liste des officiers de l’armée de Montcalm en 1756 »2 (p. 68), persuadé d’être le lointain descendant d’un de ces « officiers de la Couronne », qui « venait de Bretagne, c’était un baron, à ce qu’on m’a dit. » Cette noblesse familiale s’incarnerait même dans une devise : « Aime, Souffre, Travaille » (p. 28). Faute d’avoir pu trouver les preuves de l’authenticité de son ascendance, Jack Kerouac quitte Paris – non sans en avoir profité des plaisirs des terrasses parisiennes – en direction de Brest (p. 74-75).

Sa traversée en train de la Bretagne est l’occasion d’une plongée enthousiasmante, et passablement imbibée, dans le pays de ses ancêtres, mais aussi dans les subtilités de la prononciation des noms de lieux, pour celui qui maîtrise bien la langue de Molière avec un fort accent québécois. C’est notamment le cas à Saint-Brieuc, dont il s’entête à prononcer le c final : « Saint-Brieuck ! hurlé-je […] » (p. 91). Une fois arrivé dans la cité du Ponant, il désespère de trouver d’autres descendants des Kerouac, si ce n’est un libraire de la rue de Siam nommé Lebris, qu’un barman lui avait recommandé alors qu’il buvait un cognac. De la Bretagne, terre de ses ancêtres, Kerouac a une vision romantique, notamment lorsqu’il évoque à plusieurs reprises la Révolution française : « il y avait eu, en effet, une petite guerre appelée La Vendée entre la Bretagne catholique et les républicains athées de Paris » (p. 69).

La rue de Siam à Brest, telle que la voit probablement Kerouac. Carte postale, collection particulière.

Si Jack Kerouac n’a rien trouvé de concluant sur ses origines lors de son voyage breton, son récit est des plus importants pour qui s’intéresse à l’histoire de la diaspora bretonne. Ce parcours illustre d’une quête généalogique montre à quel point des descendants d’émigrés peuvent reconstruire l’histoire familiale,  se donnant bien souvent des origines si ce n’est mythiques, tout du moins bien plus nobles que la réalité.3 Mais plus encore, Kerouac démontre la construction d’un imaginaire autour de la terre de ses ancêtres rêvés, à tel point qu’il se vit comme un « poltron de Breton dégénéré par les deux siècles passés au Canada et en Amérique ! » (p. 106). 

Thomas PERRONO

 

 

 

1 KEROUAC Jack, Satori à Paris, Paris, Gallimard, 1971.

2 L’armée du marquis de Montcalm (1712-1759) affronte les Britanniques du général Wolfe, lors de la bataille des plaines d’Abraham, au Québec, le 13 septembre 1759, pendant la Guerre de Sept Ans. Cette bataille a la particularité d’avoir duré 30 minutes et de voir mourir les deux généraux des armées ennemies. Dans un contexte plus général, elle marque le début de la conquête nord-américaine par les Britanniques au détriment de la Nouvelle-France.

3 Dans une enquête biographique, Patricia Dagier et Hervé Quéméner établissent que le premier Kerouac parti vers les Amériques est un paysan parti du village de Kervoac à Lanmeur au XVIIIe siècle. DAGIER Patricia, QUEMENER Hervé, Jack Kerouac : Breton d’Amérique, Brest, Le Télégramme, 2009.