L’autorama : invention géniale ou fiasco ?

Avant l’invention du GPS, et plus encore leur intégration dans les téléphones portables que chacun, à partir des années 2010, a en permanence à portée de main, se repérer en voiture n’était pas chose aisée. Il fallait déplier une immense carte routière – ce qui, déjà, dans l’habitacle restreint d’une auto est une véritable sinécure – sur laquelle il n’est pas forcément simple de se situer. Soucieux de guider les flux touristiques hors des sentiers battus du littoral, et donc de faire profiter les arrière-pays de cette manne économique, un certain Monsieur Fouquet, du syndicat d’initiatives de Larmor-Plage, dans le Morbihan, invente un ingénieux autorama, sorte de lecteur de carte routière qui n’est pas sans faire penser aux lecteurs de roadbook qu’utilisent les pilotes de rallye-raid lors d’épreuves comme le Paris-Dakar et qui fait, le 10 avril 1965, l’objet d’un reportage télévisé1.

L'anse de la Nourriguel, à Larmor-Plage, au début des années 1960. Carte postale. Collection particulière.

La mise en scène, typique de l’ORTF, montre deux hommes en voiture – une magnifique automobile aux couleurs de Télé-Bretagne qui, par certains égards, évoque franchement la célèbre Cadillac break des Ghostbusters – se tromper de chemin alors qu’ils roulent en forêt. C’est à ce moment précis que le fameux Monsieur Fouquet indique que, si le journaliste avait utilisé son invention, l’autorama, alors il aurait pris le bon embranchement au carrefour et ne se serait pas perdu. Le scénario est lourd, la scène pas très bien jouée, mais il faut reconnaître que le reportage permet de se faire une bonne idée de cet engin qui est présenté comme une véritable nouveauté.

Or, un rapide retour en arrière permet de se rendre compte qu’en réalité il n’en est rien puisqu’un ustensile assez semblable est mis au point au début des années 1920 en Grande-Bretagne, sur la base d’une montre bracelet ! Mais, sans doute plus grave encore, cet autorama est en réalité obsolète dès son invention. C’est en effet dans les années 1960 que, sous l’impulsion de Richard Nixon, l’armée américaine commence à s’intéresser aux techniques de géolocalisation par satellite, ce bien évidemment à des fins militaires puisque nous sommes en pleine guerre froide. Il faudra toutefois attendre Bill Clinton et l’année 2000 pour que l’utilisation civile de ces signaux satellites soit autorisée.

Pour autant, on ne peut nier que ce fameux Monsieur Fouquet du syndicat d’initiatives de Larmor-Plage identifie parfaitement un réel besoin des automobilistes, et des professionnels du tourisme : pouvoir se repérer. En témoignent d’ailleurs aujourd’hui les nombreuses applications de cartographie par satellite que l’on trouve sur nos téléphones portables, programmes sur lesquels figurent un nombre incalculable de publicités pour des hôtels, des restaurants, des musées… bref, de quoi satisfaire l’appétit des villégiateurs ! D’ailleurs, Fernand Leréec, le journaliste de l’ORTF qui interview l’inventeur de cet autorama ne s’y trompe pas puisque qu’il conseille cet appareil à tous les syndicats d’initiatives en affirmant que, désormais, il sera possible de visiter les « arrière-pays » sans risque de se perdre. Comme quoi, au-delà des différences technologiques, les enjeux restent bien les mêmes…

La Renault Dauphine, voiture typique du début des années 1960. Collection particulière.

Peut-on pour autant dire que cet inventeur breton est visionnaire ? En la matière, la prudence s’impose vraisemblablement. En effet, pour qu’une invention fonctionne, il faut bien entendu un produit innovant et utile mais aussi un climat favorable. Or en 1965, il n’y aucun problème : l’installation de ceintures de sécurité est encore facultative pour les constructeurs automobiles et il est parfaitement possible de conduire tout en tripotant son autorama, fort peu lisible du reste. Mais aujourd’hui, les progrès de la sécurité routière tendant à bannir tout ce qui peut entraver l’attention des conducteurs, et notamment le téléphone portable au volant. Et il n’est pas certain qu’on puisse aujourd’hui effectuer de nombreux kilomètres avec sa voiture en consultant son autorama sans être arrêté par la maréchaussée…

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 INA : L'autorama, ancêtre du GPS.