Les débuts de Télé Bretagne

Le 3 février 1964, les Bretons peuvent regarder à la télévision le premier journal consacré à leur région. En effet, la veille, Télé Bretagne, le centre régional d'actualités télévisées de la R.T.F., a été lancé à Rennes. Une création assez tardive, quand on sait que Télé Lille a vu le jour dès 1950… Mais le développement des antennes régionales de la télévision nationale au cours de la décennie des sixties montre bien le boom qu’est en train de connaître alors ce média. Le taux d’équipement des ménages en téléviseurs passe ainsi de 25% en 1962 à 62% en 1968.1

1964: les familles comptent désormais un nouveau membre, le poste de télévision. Collection particulière.

Dix ans plus tard, le 2 février 1974, l’émission Bretagne actualités, diffusée sur ce qui s’appelle désormais l’O.R.T.F., revient sur les circonstances de la création des premières actualités télévisées régionales, mais aussi sur l’évolution de ce métier nouveau de journaliste télé en région, au cours de la décennie passée. Si le présentateur de ce premier journal télévisé breton, Fernand Leréec, n’hésite pas à dire qu’il s’agissait alors « d’une aventure pour le spectateur (sic) » ; il en est clairement de même pour les artisans de ce journal. Il rappelle à ce propos que les nouveaux journalistes de Télé Bretagne n’ont pas été formés pour la télévision. Ils viennent de « la presse écrite ou de la radio ». Et c’est pire encore pour les techniciens qui ont « découvert leur métier sur le tas ».

La ligne éditoriale de ces premiers journaux d’actualité régionale est alors de faire une « télévision miroir », c'est-à-dire de « montrer chaque soir […] la vie quotidienne des [Bretons] ». Il faut que les « gens se reconnaissent » dans les reportages. Pour cela il faut aller au-delà des clichés sur la Bretagne en allant à la rencontre des « ouvriers de l’arsenal, du dernier sabotier de la forêt de Fougères, des pêcheurs de sardines, de thon, des coquilliers, [ou bien] des agriculteurs qui commençaient déjà à vendre au cadran ». Les journalistes de Télé Bretagne proclament ainsi avec fierté que « partout où il s’est passé quelque chose d’important et d’essentiel, il y a eu un micro et une caméra de Télé Bretagne, véritable témoin de l’action et de l’expression de cette région riche et vivante ». Au-delà des journalistes, pas de télévision dans les années 1960 sans une speakerine. Celle de Télé Bretagne s’appelle Annie et se rappelle très bien de son « trac épouvantable » lors de son premier lancement. Son rôle était important, puisque la « télévision régionale était alors un monstre, avec des risques techniques importants ». Elle devait intervenir à l’antenne à chaque fois que les aléas du direct perturbaient le bon déroulement des programmes. Notons, que le jour du premier lancement du journal régional de Bretagne, étaient présents le préfet de région mais aussi Alain Peyrefitte le ministre de l’information. Il est vrai qu’à l’époque, la télévision était pensée et conçue comme prolongement du pouvoir étatique.

Pour faire tourner Télé Bretagne, « tous les jours, le matin, à 9 heures, les journalistes de la station se réunissent et préparent le journal du soir sous la direction du rédacteur en chef, en collaboration avec l’équipe technique ». Le reportage nous montre également l’envers du décor, avec non seulement la régie, mais aussi le laboratoire de développement, le montage film, les ateliers de dessin. C’est ainsi tout « une chaîne d’hommes et de femmes qui travaillent dans l’ombre, mais qui ont chacun et chacune un rôle essentiel dans la fabrication quotidienne du journal du soir ».

L'avenue Janvier à Rennes, au miieu des années 1960. A droit se trouvent les locaux de la télévision régionale. Carte postale, collection particulière.

Au cours de la première décennie de son existence, Télé Bretagne a produit plus de 3 000 journaux soit environ « 2 millions de mètres de pellicules ». Loin d’avoir conservé la recette originale, le journaliste de 1974 relève que « le traitement de l’information a changé et les méthodes d’investigation ne sont plus les mêmes ». Du point de vue éditorial, Télé Bretagne  est également passée de la « télévision miroir » à la « télévision réflexion ». Côté innovation, « la station de Rennes était la première en France à annoncer les résultats complets des quatre départements bretons lors de l’élection du président de la République » en 1965. En 1969, les actualités régionales passent de « 15 à 20 minutes ». Puis en « juin 1971, Télé Bretagne présentait et diffusait son premier reportage en couleur sur la Deuxième chaîne » avec un sujet consacré « à notre confrère Le Télégramme de Brest ». En 1973, un studio tout neuf est créé pour permettre la diffusion en couleur du journal régional. A partir de janvier 1974, un magazine hebdomadaire de 52 minutes sur l’actualité économique et sociale de la région – La Vie régionale – qui vient compléter l’offre télévisuelle.

Au final, en une dizaine d’années, les Bretons sont devenus des accros de la télévision. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à observer leurs réactions lorsqu’un million d’entre eux en ont été privés pendant plusieurs mois, à la suite de l’attentat de Roc’h Trédudon en 1974.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 « L’équipement des Français en biens durables fin 1968 », Economie et statistique, n°3, Juillet-Août 1969, p. 65-68.