L’école à la carte ? Saint-Nazaire et son lycée expérimental

En 1972, le parti socialiste se propose de « changer la vie ». C’est tout du moins ainsi qu’il titre son programme électoral et, moins de dix ans plus tard, lorsque François Mitterrand remporte l’élection présidentielle, le rêve est toujours d’actualité. Entre utopies de la gauche alternative héritière de 1968 et confrontation à la réalité du pouvoir, un binôme illustre parfaitement cette ambition : l’enseignant Gabriel Cohn-Bendit, le frère aîné de Daniel, et le ministre de l’Education nationale Alain Savary, tous les deux à l’origine de la création du lycée expérimental de Saint-Nazaire.

Caricature publiée le 26 juin 1981 dans Libération en illustration de la lettre ouverte de Gabriel Cohn-Bendit.

Pour beaucoup, changer la vie commence par changer l’école et c’est à la lumière d’intellectuels tels que le pédagogue Célestin Freinet et le psychologue américain Carl Rogers que Gabriel Cohn-Bendit souhaite rompre avec la verticalité de la relation entre le pédagogue et l’élève. C’est le triomphe de l’Ecole émancipée, courant qui met en avant les valeurs d’égalité, de solidarité et de coopération dans l’enseignement.  L’influence d’expériences telles que celles menées dans l’usine de montres Lip à Besançon est clairement perceptible, et le désir d’autogestion manifeste. Le contexte local n’est pas non plus à négliger. Gabriel Cohn-Bendit est en effet professeur certifié d’Allemand à Saint-Nazaire, bastion socialiste qui vit notamment dans le souvenir des dures grèves menées en 1955 aux chantiers navals de la ville. C’est donc pourquoi ce lycée d’un nouveau genre est implanté dans le port ligérien.

Techniquement, l’acte de naissance du Lycée expérimental de Saint-Nazaire date du 26 juin  1981, après donc l’élection de François Mitterrand à l’Elysée et jour où Gabriel Cohn-Bendit publie dans Libération une lettre ouverte au « camarade ministre de l’Education » Alain Savary pour solliciter la création d’un établissement pilote où pourraient être testées des pédagogies alternatives. L’intention est claire : récupérer les jeunes sortis du système scolaire… et les professeurs dégoutés par l’institution ! Un premier rendez-vous a lieu en août 1981 dans le bureau du ministre de l’Education nationale, Alain Savary, qui d’emblée se montre intéressé par le projet.

Concrètement, ce nouveau lycée est cogéré par les enseignants et les élèves. Cela signifie que chacun à tour de rôle s’occupe de la bibliothèque mais aussi des tâches administratives ou encore de la cantine. La démocratie constitue l’alpha et l’oméga du fonctionnement de l’établissement et les décisions sont prises de manière collégiale. Le travail s’effectue toujours de manière collective, en insistant sur la coopération, l’entraide et l’équité. Les élèves ne sont pas notés mais invités à s’autoévaluer en groupe. Précisons enfin qu’il n’y a dans ce lycée pas de professeurs mais des « membres d’une équipe éducative », formulation destinée à atténuer la verticalité du processus d’apprentissage.

Le lycée expérimental de Saint-Nazaire. Cliché: E. Le Gall.

Après le premier rendez-vous de l’été 1981, plusieurs autres réunions ont lieu au cours desquelles le projet, porté par Gabriel Cohn-Bendit et une quinzaine d’enseignants, est affiné. Et preuve que ce lycée n’est décidément pas comme les autres, c’est en février 1982 qu’il effectue sa première rentrée dans des locaux… provisoires. Un adjectif qui sied d’ailleurs particulièrement bien à un établissement qui, bien que devenu une véritable institution, fait face depuis ses débuts à des problèmes de foncier. Pourtant, le propos de Gabriel Cohn-Bendit semble plus que jamais d’actualité, lui qui affirmait le 26 juin 1981 que « l’unité du service public de l’Education nationale […] ne doit pas nécessairement signifier l’uniformité de ce service »1.

Erwan LE GALL

 

 

1 COHN-BENDIT, Daniel, « Lettre ouverte au camarade ministre de l’éducation », Libération, 26 juin 1981, p. 4.