La France et les Malouines

En France, le souvenir de la guerre des Malouines renvoie l’idée d’un conflit assez grotesque, où une grande puissance se bat contre une autre de moindre dimension pour quelques cailloux disséminés dans l’Océan Atlantique Sud. Sans doute est-ce que cette image se forge sur de vieux relents d’anti-britannisme primaire, voire même sur une détestation assez profonde de Margaret Thatcher, résidente de l’époque du 10, Downing street. En tout état de cause, dans la mémoire collective Française, les Malouines c’est un petit peu comme si Paris attaquait Monaco pour récupérer les îles Kerguelen…

Or rien n’est moins vrai, et ce pour plusieurs raisons. On a tendance à l’oublier mais si cette guerre est un traumatisme pour la Grande-Bretagne et l’Argentine, c’est qu’elle se solde par un très lourd bilan : plus de 900 tués dont 255 soldats britanniques. Si Margaret Thatcher sort renforcée de ce confit visant à faire respecter la souveraineté britannique aux quatre coins du globe, c’est bien au prix fort, celui du lourd impôt du sang. De ce point de vue-là, l’image de la Dame de fer n’est donc pas usurpée.

Militaires argentins dans Port-Stanley, capitale des Malouines rebâptisée Puerto Argentinon par la junte. Wikicommons.

Une autre dimension qui est souvent négligée lorsque l’on évoque ce conflit est l’importance stratégique des Malouines, proche de ce point de vue de celle des Kerguelen. Indépendamment du contexte de guerre froide d’alors – la chute du rideau de fer sept ans plus tard semble alors bien chimérique – ces terres australes revêtent une importance économique potentiellement fondamentale puisque, comme le rappelle A. Tello dans la revue Politique étrangère en 1982, « il se trouve que la partie de ce continent baignée par les eaux de l’Atlantique Sud est celle que l’on considère comme la plus riche en ressources minérales et icticoles », ce sans même évoquer les importants gisement pétroliers du secteur. Volontiers perçue comme un conflit rétrograde, la guerre des Malouines est en réalité un affrontement pour l’avenir, l’Argentine n’ignorant pas l’intérêt stratégique de ces terres.

Enfin, une dernière idée reçue concernant cette guerre est qu’elle est un affrontement entre Londres et Buenos Aires. La situation est en réalité plus complexe encore puisqu’il s’agit en fait d’une partie de billard à trois bandes entre ces deux capitales et …. Paris. C’est en effet la France qui, depuis 1979, vend par l’intermédiaire de l’entreprise publique Aérospatiale des missiles Exocet à l’Argentine, engins redoutables destinés à être arrimés aux Super-Etendards du groupe Dassault, autre fleuron industriel tricolore. C'est d'ailleurs en Bretagne, dans le Finistère, sur la base aérienne de Landivisiau, que viennent se former les pilotes argentins. Au nom de l’alliance entre Londres et Paris, François Mitterrand décide néanmoins de l’embargo sur ces armes en avril 1982, quelques jours seulement après le déclenchement du conflit. L’un des grands intérêts de la Guerre des Malouines, qui se révèle beaucoup moins désuète que ce que la mémoire collective veut bien en dire, est donc de nous rappeler l’importance, et l'indépendance, des complexes militaro-industriels dans la gestion des conflits.

Or rien n’y fait. Le 4 mai 1982, ce sont deux missiles Exocet français lancés par des Super-Etendards argentins qui frappent le destroyer Sheffield de la Royal Navy, tuant 20 personnes et blessant grièvement 24 autres. Pour Londres, l’urgence est de récupérer le stock restant d’Exocet argentins afin de protéger sa propre mission. Ce raid d’une importance cruciale – passé dans l’histoire sous le nom de mission Plum Duff – est confié à l’élite de l’Armée britannique : le Special Air Service, celui-là même qui intervient en Bretagne lors de la Libération. Mais l’opération se solde par un échec et le problème demeure entier.

C’est cette histoire que vous propose de découvrir Olivier L. Brunet avec son étonnant film L’Affaire des missiles Exocet, Malouines 1982. Un film disponible en vidéo à la demande que l'on ne peut que vous conseiller tant il est stimulant, aussi bien sur le fond que sur la forme et qui sera diffusé mardi 1er avril au cinéma Manivel, à 20h30, à Redon.

Erwan LE GALL