La mort d'un Mao-nument

En 1949, Mao Zedong s'empare du pouvoir en Chine. Pendant près de 30 ans, il façonne la jeune République populaire, tant par la force des mots que celle des armes. Ceux qui s'opposent sont en effet durement réprimés, comme lors de la « Révolution culturelle » enclenchée en 1966. Mais, bien contesté en Chine et, encore plus, dans le monde, Mao Zedong est unanimement reconnu comme un chef d'Etat emblématique.

Mao travaillant. Carte postale. Collection partiuclière.

À l’annonce de sa mort en septembre 1976, les réactions de la presse bretonne sont à cet égard ambivalentes. Les observateurs, s'ils condamnent les méthodes du régime, reconnaissent le charisme du chef d’Etat. L’exemple du quotidien rennais Ouest-France est d'autant plus éclairant qu'il émane d'un journal dont la ligne éditoriale se rapproche de la « démocratie chrétienne », qui diverge singulièrement de la pensée maoïste. Un journaliste estime ainsi que :

« La vie de Mao Zedong appartient désormais à la légende. Chacune de ses étapes constitue, pour 800 millions de Chinois soumis depuis des années à un endoctrinement frénétique, comme un chapitre du catéchisme. »1

Un de ses homologues de La Liberté du Morbihan affirme de son côté qu’« avec lui disparaît un géant de l’Histoire et l’un des derniers ‘‘grands hommes ’’ du demi-siècle dernier ».

Ces réactions complexes n’ont finalement rien de surprenantes tant elles semblent découler des relations franco-chinoises initiées par C. de Gaulle, premier dirigeant occidental à reconnaître la République populaire en 1964. Ce geste diplomatique conduit les deux nations à développer des rapports privilégiés qui entraînent, par exemple, l’accueil d’étudiants chinois à Rennes à partir de 1965. Impossible de ne pas y voir non plus une conséquence de la séduction que le maoïsme a pu exercer sur de nombreux jeune Français dans les années 1960.

Aux yeux du monde Mao Zedong incarne la République populaire, à tel point que de nombreux observateurs s’interrogent sur l’avenir de la Chine à la suite de son décès. La Liberté du Morbihan résume parfaitement ces réflexions. A en croire ce journal, « la plupart des spécialistes s’accordent à penser que la disparition de Mao ne devrait pas modifier fondamentalement les options essentielles de la politique chinoise ». En revanche, le journaliste remarque que, sur le

« plan intérieur, les observateurs soulignent à Pékin que la mort de Mao Tsé Toung ne pouvait survenir à un plus mauvais moment pour la Chine. Ils font observer qu’elle arrive en effet après une série de bouleversements politiques majeurs survenus après le décès de Chou En Lai qui avait dirigé l’exécutif chinois pendant 26 ans, de 1949 à 1976, et de catastrophes naturelles – une série de séismes violents – désastreux pour l’économie d’un pays aux ressources immenses, mais encore en voie de développement »2.

En qualifiant la Chine de puissance « en voie de développement », les journalistes estiment qu’elle est amenée à jouer un rôle de plus en plus important dans les relations internationales. Le Finistérien Etienne Manac’h, ambassadeur de France en Chine entre 1969 et 1975, apporte un jugement encore plus poussé sur l’émergence prochaine de la République populaire :

« Voici quelques années, on nous annonçait que deux grandes puissances allaient dominer la fin du siècle. C’est déjà fait avec les Etats-Unis et l’Union soviétique. Mais aujourd’hui on assiste à l’affirmation d’une troisième puissance (la Chine) compte tenu de sa population, 800 millions d’habitants ; de ses richesses et de son voisinage. »3

A Pékin, le mausolée où repose la dépouille de Mao. Wikicommons.

L'optimisme du Breton n'a là non plus rien de surprenant. En effet, il assume sa subjectivité en reconnaissant qu'il conserve de Mao – qu’il a rencontré à plusieurs reprises – « un excellent souvenir ». Mais force est de constater que son intuition se révèle confirmée par la suite des évènements, même si la Chine opère un radical changement politique après 1976. Quoi qu'il en soit, la mort de Mao Zedong constitue un événement incontournable que la presse bretonne ne manque pas de relayer durant plusieurs jours. Plus que le décès d'un homme, d’un grand chef d’Etat, c'est l'avenir d'une puissance émergente qui interpelle et, peut-être plus encore, l'avenir de la France elle-même dans le monde qui est en train de se façonner...

Yves-Marie EVANNO

 

 

1  « Un géant dans la légende », Ouest-France, 10 septembre 1976, p. 3.

2  « Le monde entier s'interroge sur l'avenir de la Chine », La Liberté du Morbihan, 11 septembre 1976, p. 20.

3 « M. Etienne Manach, ancien ambassadeur de France à Pékin », Ouest-France, 10 septembre 1976, p. 9.