La prison des femmes de Rennes

« En pleine ville, au-dessus de la gare, la prison des femmes se dresse comme un avertissement, presque comme une menace. Elle rappelle à la population bretonne que le mal est partout et que la société se défend. »1

Depuis 1878, Rennes accueille l’un des seuls établissements pénitentiaires de France où les détenus sont des… prisonnières. La prison des femmes est édifiée au sud de la Vilaine dans un quartier de la gare alors en pleine urbanisation. Tout d’abord dénommée « Maison Centrale de Force et de Correction », les 1 000 captives sont sous la garde, jusqu’en 1907, des religieuses de la congrégation de Marie-Joseph. A partir des années 1930, l’établissement prend de l’importance avec la fermeture des centres pénitenciers de Montpellier en 1933, Haguenau et Doullens au début de la Seconde Guerre mondiale. Sous l’Occupation, plusieurs centaines de Résistantes sont incarcérées entre ces murs. Après-guerre, des travaux sont entrepris. Entre 1954 et 1959, les portes sont fermées et les prisonnières transférées vers d’autres horizons grillagés. Mais la fermeture n’est que provisoire.

Carte postale. Collection particulière.

Lors de sa réouverture, un reportage de l’ORTF nous plonge dans cet univers caché. L’ancienne maison centrale devenue centre pénitentiaire accueille des femmes condamnées à de longues peines. Au début de la décennie 1960, les visites sont « assez rares » pour les détenues. D’autant plus qu’elles viennent de tous les coins de l’hexagone. Nombreuses sont celles qui se plaignent de la solitude, d’avoir le sentiment que « Rennes […] c’est le bout du monde ». Les Rennais également ont émis de lourdes critiques quand la rénovation a été entreprise. Beaucoup d’entre eux auraient souhaité que la prison soit déplacée hors la ville : « ça serait moins voyant ». A la place, dans ces « bâtiments rose et blanc qui évoquent une communauté religieuse », un lycée aurait pu prendre place.

Univers caché donc, parce qu’il se dérobe à la vue de tous derrière ces hauts murs, mais aussi parce que la population locale n’a qu’une envie : cacher plus encore ce symbole des turpitudes de la société. La criminalité féminine n’est pas différente de celle des hommes : vols, escroqueries, meurtres… Mais elle est perçue à travers une grille d’analyse genrée : les femmes agiraient par vengeance, auraient un penchant pour l’empoisonnement, seraient volontiers menteuse… N’oublions pas non plus, qu’avant la loi Veil de 1975, les femmes condamnées pour avortement ou aide à cette pratique font également partie de ces prisonnières.

Un reportage diffusé sur TF1 en 1982 va au contact des 230 prisonnières incarcérées à Rennes2 :

« comment vivent ces femmes qui n’ont que 24 heures par an pour voir leurs enfants, leurs amis, leurs familles ? Qui sont-elles ? Que pensent-elles du sort qui leur est réservé ? »

La vie carcérale s’organise autour des ateliers, où elles travaillent contre une rémunération qui sert notamment à payer « une part de ce qu’elles coûtent à la société ». Quand la caméra pénètre dans une cellule, on se rend compte que les détenues tentent d’aménager, tant bien que mal, le peu de mètres carrés à leur disposition comme un petit studio. L’une des plus anciennes de ces femmes reconnait que pour les plus jeunes – la moyenne d’âge est de 36 ans – il peut être difficile de s’adapter à cette vie en prison. Elle, n’a réussi qu’en « volant au-dessus des murs ». L’évasion par la pensée donc…

Hélène Dorlhac de Borne , secrétaire d'Etat à la condition pénitentière en visite à la prison de Rennes en 1974. Photographie de presse. Collection particulière.

La détresse, le ressentiment s’entend dans les témoignages. Ces femmes regrettent souvent que le tribunal n’ait pas tenu compte d’un contexte social difficile, de parcours de vies chaotiques, comme autant de circonstances atténuantes. Prisonnières et personnels pénitentiaires reconnaissent que la solitude affective est certainement le plus grand fléau qui sévit dans l’enceinte de la prison. « L’angoisse de la liberté oubliée » est également bien présente dans les têtes des femmes qui ont bientôt purgé leur dette à la société. La directrice de la prison admet qu’il est « possible de se réinsérer, mais que ce n’est pas facile ». C’est ainsi que l’une des plus grandes difficultés qui se dresse face à elles, c’est le regard stigmatisant de la société, parce que la femme criminelle demeure bien souvent une figure fantasmée de monstre que l’on retrouve à tous les âges de l’histoire.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA. « Prisons de femmes », La justice des hommes, ORTF, 29/01/1960, en ligne.

2 INA. « Femmes en prison », Journal de 13h, TF1, 08/03/1982, en ligne.