La téléspeakerine des Bretons : Annie Kerbrat

Le nom d’Annie Kerbrat ne dira probablement pas grand-chose à la plupart des lecteurs d’En Envor. Pourtant, dans ce véritable bond dans la modernité que sont les Trente Glorieuses, cette jeune femme est connue de tous les foyers Bretons, ou presque. C’est en effet elle qui, par la magie de la petite lucarne, annonce tous les soirs les programmes de Télé Bretagne, décrochage régional de la Radio-Télévision française (RTF) créé en 1964. Ce faisant, elle rappelle la place essentielle que tient ce média dans la seconde moitié du XXe siècle.

Annie Kerbrat, en 1964, est présentée au spectateur de Télé Bretagne par Jean Lazare. Archives INA.

Dans la péninsule armoricaine, comme dans le reste de l’hexagone du reste, le développement de la télévision est aussi fulgurant qu’artisanal. C’est en effet à partir d’août 1956 que l’administration fiscale enregistre les premières redevances bretonnes, attestant du coup les premiers achats de postes. 10 ans plus tard, la toute jeune Télé-Bretagne revendique plus d’un millions de spectateurs, preuve que la télévision devient très rapidement un média de masse. Et c’est d’ailleurs bien ce rapport au public qui place Annie Kerbrat sous les feux des projecteurs, ou plus exactement des caméras : âgée de 23 ans, elle est élue téléspeakerine par les téléspectateurs au terme d’une consultation qui rappelle que, dès l’origine, on cherche à interagir avec les spectateurs1.

Annie Kerbrat n’est pas la seule en lice pour occuper ce poste de speakerine de Télé-Bretagne. Elle est en effet opposée à deux autres jeunes femmes dans ce concours, à savoir Greta Vaillant, passionnée de dessin et lauréate du concours général, et Maryvonne Gouzerh, lauréate du conservatoire de Rennes où elle obtient un premier prix de chant2. Les trois jeunes femmes ont en commun d’apparaître figées à l’écran et leur crispation clairement perceptible rappelle combien doivent être intimidantes les installations du studio de Télé Bretagne, caméras, micros et éclairages empêchant tout naturel.

En cet hiver 1964, 24 087 personnes adressent « une simple carte postale » à la « Maison de la RTF » à Rennes pour faire part de leur choix. La participation est donc loin d’être anecdotique et, avec 14 767 voix, c’est donc Annie Kerbrat qui l’emporte le 28 mars 1964.3 A partir de là, sa notoriété ne fait que croître et, devenue une sorte de vedette régionale, elle devient même la marraine du Roazon Breizh, une vedette destinée au transport de touristes dans le Golfe du Morbihan. Son mariage avec Yves Martin, un célèbre pilote automobile breton ayant disputé une saison en Formule 1, ne fait que renforcer sa célébrité. Il est vrai que, tous les soirs jusqu’en 1976, date à laquelle change de carrière, elle entre dans le quotidien des spectateurs en annonçant les programmes télévisés, position qui à n’en pas douter crée un lien particulier.

Annie Kerbrat, le 2 février 1964, lors du lancement du journal Télé Bretagne actualités. Collection particulière.

Mais si le destin d’Annie Kerbrat constitue un bel objet d’histoire, c’est aussi par ce qu’il dit des rapports hommes-femmes dans la société d’alors. Si la rédaction de Télé Bretagne n’est pas exclusivement masculine, la division sexuelle du travail y est strictement établie : l’écran reste la chasse gardée des hommes et les femmes n’occupent que des postes subalternes, liés à des tâches d’exécution4. Annie Kerbrat elle-même concède que si elle a pu s’imaginer un jour travailler à la télévision, ce n’était pas « devant l’écran » mais en tant qu’assistante de direction, celle-ci étant implicitement assurée par un homme5. C’est donc sans doute malgré elle, à son insu, qu’elle devient un véritable exemple pour de nombreuses jeunes Bretonnes aspirant à une vie professionnelle.

Erwan LE GALL

 

 

1 INA : RYC9710285151 et RXF07117801.

2 INA : RXF07117801 et RYC9710285151.

3 INA : RXF07116141 et RYC9710285151.

4 INA : R15072187.

5 INA : RXF07117801.