Larmor-Plage, commune balnéaire du Morbihan défigurée ?

La France défigurée est une émission emblématique de la télévision française des années 1970. En 1975, les caméras de ce programme vedette de la toute récente chaîne TF1 – qui vient juste de succéder à l’ORTF – viennent enquêter à la sortie de la rade de Lorient, dans la petite commune balnéaire de Larmor-Plage. Il y est en effet question de grandioses projets tout entiers dévoués à l’industrie touristique : des logements, beaucoup de logements, et un port de plaisance. Mais le ton de l’émission n’est pas sans poser problème à l’historien. Car si le prétexte de la sauvegarde de l’environnement et du paysage est évidement des plus louables, le droit à l’activité économique et, en l’occurrence, aux retombées de la manne touristique, est également légitime.

La plage de Toulhars à Larmor-Plage dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

D’ailleurs, qui connaît Larmor-Plage aujourd’hui est rétrospectivement étonné de ce qu’annonce cette émission La France défigurée. Oui le port de plaisance a été construit. Pas dans l’entrée de la rade de Lorient comme redouté par la télévision mais un petit peu à l’intérieur de celle-ci, au lieu-dit Kernevel, au pied la splendide villa Margaret, en face de la base sous-marine. Il est inauguré en 1988, soit 13 ans après la diffusion de ce reportage et n’a depuis cessé de grandir : s’il accueille 450 bateaux en 1988, ce sont 1 100 navires qui aujourd’hui y sont amarrés et certains mesurent près de 20 mètres !

Les caméras de La France défigurée interrogent en 1975 un homme qui s’en prend à ce projet pharaonique, redoutant une sorte de Port-la-Forêt bis, à savoir une marina ultra-moderne qu’il croit destinée aux « capitalistes ». Il est vrai que tous les amoureux du patrimoine frissonnent rétrospectivement à l’idée de voir un tel port de plaisance au pied de la citadelle de Port-Louis. Pourtant, bien qu’agité comme un chiffon rouge par l’émission, le projet ne paraît pas très sérieux puisqu’un tel équipement aurait bloqué l’accès de la rade, et donc aux ports de Lorient et de Keroman, sans compter la base sous-marine qui accueille encore à l’époque des submersibles de la Royale. Enfin, détail qui a probablement du paraître superflu aux journalistes mais a toutefois son importance : le tirant d’eau est dans ces parages dérisoire, surtout lors des grandes marées, ce qui n’est pas très pratique pour accueillir des voiliers munis d’une quille profonde...

A bien y réfléchir, le regard posé par les caméras de La France défigurée sur les projets de la commune de Larmor-Plage est non seulement inutilement sensationnaliste mais témoigne par bien des égards d’une réelle méconnaissance du climat socio-économique d’alors. Le pays de Lorient fait en effet face à cette époque à de réelles difficultés. La course à la technologie qu’impose la guerre froide oblige à abandonner les submersibles conventionnels au profit de la propulsion nucléaire et le départ annoncé des sous-mariniers pour Brest est un véritable choc pour la région. De son côté, la pêche est loin d’être miraculeuse et tout semble, en réalité, sonner le glas de Trente glorieuses qui ne l’ont pas été nécessairement tant que cela. Dans la sous-préfecture morbihannaise, les années 1950 et 1960 sont avant tout celles des baraquements de la reconstruction

La plage de Toulhars à Larmor-Plage à la fin des années 1970. Carte postale. Collection particulière.

Le port du Kernevel est en définitive un bel exemple de reconversion d’une véritable friche maritime – la vasière était un vaste cimetière à bateaux – et plus globalement parlant d’un espace littoral. Autrefois traversée par de nombreux navires de guerre, la rade est aujourd’hui le terrain de jeu de nombreux amateurs de voile. C’est d’ailleurs toute une économie qui a été développée avec des chantiers navals, des voiliers, des marchands d’accastillage… bref, une belle illustration de ce qu’est la tertiarisation. Ajoutons enfin que cette reconversion s’est accompagnée de choix architecturaux légèrement différents de ceux qui ont pu être opérés à La Baule ou la Grande Motte. Contrairement à ce que fait craindre le reportage, ce sont essentiellement des maisons individuelles qui sont construites à l’exception d’un grand immeuble vert, en forme de croix à trois branches, érigé sur les roches de Toulhars. Preuve d’ailleurs que les choix qui ont été faits étaient les bons, les prix de l’immobilier n’ont jamais été aussi hauts à Larmor-Plage. Pas mal pour une commune défigurée

Erwan LE GALL