Il y a le feu à la baraque : le drame des bidonvilles lorientais (1966)

En 1945, la reddition des poches de Saint-Nazaire et de Lorient met un terme à près de six ans de conflit. Dans la mémoire collective, l’après-guerre apparait rétrospectivement comme une période dynamique que l’on qualifie traditionnellement de Trente Glorieuses. Pourtant, la réalité est bien moins heureuse. En effet, dans l’immédiat après-guerre, les Bretons restent confrontés à de nombreuses difficultés. Si on songe évidemment à l’épuration ou au maintien des restrictions, on oublie en revanche que le relogement constitue un problème majeur dans une région où tant de villes ont été bombardées et parfois rasées presqu’entièrement : Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire mais aussi Nantes ou encore non loin de Rennes le petit village de Bruz.

Vue sur les baraquements de Lorient dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

A Lorient, la libération de la poche ne permet pas le retour immédiat des réfugiés. Il faut, dans un premier temps, déminer les ruines et enlever bombes n’ayant pas explosé. Pressé par l’urgence, le gouvernement privilégie les reconstructions nécessaires à la relance rapide de l’économie (gares, industries, ports de pêche, hôtels et infrastructures touristiques…). De fait, le relogement des populations sinistrées est relégué au second plan et s’effectue le plus souvent dans des habitations préfabriquées construites sur place, ou importées des États-Unis, du Canada, ou encore de Suisse. Ainsi, en 1948, 3 500 baraques accueillent environ 15 000 personnes dans la région de Lorient.

Destinées à n’être que temporaires, ces bicoques lorientaises accueillent encore « près de 8 000 habitants » en 1966. La Liberté du Morbihan critique ouvertement cette « solution provisoire qui dure », déplorant la promiscuité et l’insalubrité de ces « cités [qui] prennent trop souvent l’allure de bidonvilles »1. La réaction du quotidien est à la hauteur de l’émotion provoquée par l’incendie du 30 avril 1966.

A 3h20 du matin, les résidents de la cité de Kerfoun sont en effet brusquement réveillés par les cris salutaires d’un voisin. La « baraque numéro 6 » vient de prendre feu et la flambée se propage rapidement dans cette cité composée exclusivement d’habitations faites de « planches et de cartons bitumes ». Seule la « promptitude » des pompiers permet de stopper la propagation de l’incendie et de limiter les dégâts. Mais au petit matin, au milieu des cendres, ils ne peuvent que constater le drame. Deux corps sont retrouvés calcinés dans la baraque numéro 6. Il s’agit de deux frères, quinquagénaires, « fâcheusement connus pour leur habitude d’intempérance ». Sans le sous, ils s’éclairent « dans leur taudis » à l’aide de bougies et c’est très certainement l’une d’elles qui met le feu à leur literie.

Selon la rédaction de La Liberté du Morbihan, l’incendie soulève « en ville et dans les environs une vive émotion » et pose « devant la conscience des responsables comme devant l’opinion le très grave problème du relogement ». Le quotidien affirme que la population exprime son indignation face à cette situation :

« Quand donc supprimera-t-on ces cités de baraques ? Quand donc tant de familles qui vivent parfois dans une promiscuité pénible et dangereuse seront-elles relogées normalement ? »

Les efforts de la municipalité permettent toutefois de résorber rapidement la précarité des mal-logés. En 1971, il ne reste plus que 153 personnes dans les baraques lorientaises. Les derniers résidents partent définitivement à la fin des années 1980.

A Lorient, au début des années 1950. Carte postale, collection particulière.

Ainsi, pendant près de 40 ans, des centaines de Lorientais subissent les ultimes conséquences de la Secondes Guerre mondiale. Si la mémoire collective se souvient de ces baraques, elle néglige en revanche l’extrême précarité de ces logements provisoires. Dominique Richard, auteur d’un très bel ouvrage illustré sur les baraques lorientaises, apporte sur ce point une très juste explication2. Selon lui, « c’est sans doute parce que ce mode d’habitat est à ce point associé à des moments mêlant l’apaisement d’après tumultes et l’optimisme d’un nouveau départ, que beaucoup en ont gommé les mauvais aspects. Le temps aidant, ne restent que les bons souvenirs ». Et d’ajouter : « On en oublierait presque les difficultés de cette vie imposée…. »

Yves-Marie EVANNO

 

1 « L’incendie de Kerfourn », La Liberté du Morbihan, 30 avril 1966, p. 19.

2 RICHARD, Dominique, Au petit bonheur des baraques : l'habitat provisoire dans le Lorient d'après-guerre, Le Faouët, Liv’Edition, 2006, p. 17. Sur le sujet, voir également, PELAEZ, Caroline, Le temps des baraques à Lorient, 1945-1987, Rennes 2, mémoire de Maîtrise sous la direction de SAINCLIVIER, Jacqueline, 1995.