Les pénuries de la reconstruction

On ne le dira jamais assez, la reconstruction est un défi. Plus que de longues démonstrations théoriques, quatre « notes » émanant du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, documents conservés aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine1, permettent de s’en rendre compte.

Datée du 1er janvier 1945, la « note générale sur les constructions provisoires » dit bien le contexte global de pénurie, alors que le conflit n’est pas encore terminé et le territoire national pas encore entièrement libéré. En effet, ce document informe les préfectures que « la production actuelle de constructions provisoires est insuffisante pour couvrir les besoins des sinistrés ». Une nouvelle d’importance lorsque l’on connait la situation de communes comme Lorient, Brest, Saint-Nazaire, Bruz ou encore Nantes. Et encore, il convient de préciser que l’essentiel de ces baraquements provisoire est en bois et non en dur puisque le ministre de la reconstruction, Raoul Dautry, prend soin de préciser que « pour les constructions maçonnées » il convient de n’utiliser qu’avec parcimonie les « matériaux rares tels que le ciment […] car les besoins de ciment sont très supérieurs aux possibilités de fabrication ».

A Lorient, rue du port, les ruines. Collection particulière.

Mais avant de reconstruire il faut faire place nette et c’est justement aux travaux de déblaiement que se rapporte la note signée du 16 février 1945. Une tâche gigantesque lorsque l’on a en tête les ravages causés par les tapis de bombe de la Seconde Guerre mondiale. Là aussi, la Bretagne peut en témoigner… Pour autant, c’est bien l’urgence qui guide ici l’action de l’Etat, ce d’autant plus que ces travaux de déblaiement « permettent l’emploi d’un grand nombre d’ouvriers et […] sont donc de nature à éviter le chômage ».

Cette phrase est d’autant plus surprenante que cette note du 16 février 1945 est suivie, huit jours plus tard, d’une autre portant justement sur la question de la main d’œuvre. En quelques lignes, elle décrit parfaitement le problème qui se pose alors aux autorités, trois mois encore une fois avant que la reddition de Berlin soit obtenue :

« Le relèvement de nos ruines va nécessiter l’emploi d’une main d’œuvre particulièrement importante, variable suivant le rythme d’arrivée des matériaux, mais qui ne saurait être inférieur à 1 million ou 1 500 000 hommes. Or, des 700 000 ouvriers du bâtiment que comptait notre pays, il ne reste à l’heure actuelle que 300 000 ouvriers. »

Le centre-ville de Lorient, dévasté par les bombardements. Collection particulière.

D’où provient ce déficit démographique ? Comme souvent en de telles circonstances, il y a plusieurs facteurs à avancer. Ces hommes peuvent être tués pendant la campagne de France ou les combats de la Libération, ils peuvent aussi être déportés ou encore détenus en Allemagne, soit en tant que prisonniers de guerre soit au titre des réquisitions pour le travail obligatoire, les actions Sauckel étant particulièrement friandes d’ouvriers spécialisés.

Pour constituer « une masse de main d’œuvre nécessaire à la reconstruction », Raoul Dautry, « en liaison avec le Ministère de l’Education Nationale », préconise notamment qu’une « grande impulsion [soit] donnée à toutes les œuvres publiques ou d’initiative privée pratiquant l’apprentissage des jeunes de 14 ans à 18 ans ». Mais, conscient sans doute des faiblesses de la démographie française – le baby-boom n’en est qu’à ses balbutiements ! – le ministre précise que ses services étudient « dès maintenant les demandes de main d’œuvre à présenter au cours des négociations internationales au moment de l’occupation de l’Allemagne »,  estimant même à 1 million le nombre nécessaire de travailleurs à prélever outre-Rhin « pour donner à la reconstruction française le rythme rapide qu’elle devra connaître ».

Si on ajoute à ces déficits de matière première et de main d’œuvre les budgets nécessairement limités et une ambition d’organiser cette reconstruction dans un véritable schéma cohérent d’urbanisme, question qui fait l’objet d’une note datée du 1er février 1945, on comprend mieux que le ministre concède « que la reconstruction ne pourra commencer qu’en 1946 ». Véritablement, il s’agit d’un défi.

Erwan LE GALL

1 Arch. Dép. I&V : 43 W 40.