Bruz, effroyable 8 mai

8 mai. Partout dans le monde cette date évoque la fin du Reich, Berlin dévastée, la reddition sans condition de l’Allemagne nazie, et non l’armistice comme on le voit écrit bien trop souvent. C’est la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, celle-ci se poursuivant pour quelques semaines encore en Asie, avec en point d’orgue les bombardements nucléaires d’août sur Hiroshima puis Nagazaki.

Le 8 mai est une date ambivalente. Pour beaucoup elle marque la fin d’un long cauchemar, débuté en France cinq ans auparavant. Elle est donc un moment de soulagement, de joie. Mais le 8 mai 1945 évoque également le difficile retour des prisonniers de guerre et des requis du travail forcé, ainsi que l’absence des victimes de la répression, déportés et fusillés. Plus dure encore est la situation des rescapés de la Shoah qui doivent en plus faire face aux conséquences de la spoliation de leurs biens. Le 8 mai 1945 est une date complexe, charnière, en ce que, déjà, elle marque le basculement vers un nouveau monde, celui de la guerre froide et de la décolonisation. N’est-ce pas à Sétif et à Guelma qu’éclatent ce jour des émeutes qui, pour beaucoup, sont un moment essentiel dans le déclanchement de la guerre d’Algérie ?

Mais en Bretagne, et tout particulièrement à Bruz, en Ille-et-Vilaine, le 8 mai n’évoque pas tant 1945 que 1944. Petit bourg rural des environs de Rennes, Bruz est en effet dévasté dans la nuit du 7 au 8 mai 1944 par un terrible bombardement.

La journée du 7 mai 1944 est pourtant particulièrement belle. Très ensoleillée, de nombreuses communions solennelles sont célébrées. Les familles sont réunies et insouciantes, comme plongées dans une merveilleuse parenthèse au milieu de cette terrible guerre. Chacun attend le débarquement… Des tracts sont bien lancés quelques jours auparavant pour prévenir de probables bombardements mais ceux-ci ne sont censés cibler que les « endroits stratégiques », et Bruz est éloigné du terrain d’aviation de Saint-Jacques. Le souvenir du bombardement de Rennes du 9 mars 1943 est déjà ancien…

L'église de Bruz avant le 8 mai 1944. Wikicommons

Mais à 23h45 les sirènes d’alarme commencent à hurler, signalant le début d’une épreuve que Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Cherbourg, Coventry ou encore Dresde n’ont que trop connu. En vingt-cinq minutes le centre-bourg est rasé. Bombes explosives, incendiaires ou encore au phosphore s’abattent sur le petit village.

L'église de Bruz, après le bombardement du 8 mai 1944. Wikicommons.

A peine les survivants ont-ils le temps de sortir des décombres de leurs habitations dévastées et de se porter au secours des victimes qu’une seconde vague s’abat, impitoyable, aggravant encore plus le bilan de cette nuit tragique. De Rennes on entend le bombardement. Le bilan est terrible : 183 tués dont une cinquantaine d’enfants, 300 blessés, 600 sinistrés alors que le bourg ne compte à l’époque que 800 habitants. Parmi les morts on compte notamment le député-maire de Bruz, François Joly, ainsi que le premier adjoint et dix conseillers municipaux.

Immédiatement, la propagande de Vichy s’empare du drame. Le bombardement de Bruz fait la « une » du Matin, le grand quotidien collaborationniste parisien, qui voit là une nouvelle occasion de dénoncer la « guerre contre les civils français » que mènent les « Anglo-américains ».

A Rennes, des tracts sont collés sur les murs invitant la population à aller « voir à Bruz la manière barbare dont les Anglo-Américains doivent vous libérer ».

Les archives sont pour leur part accablantes puisque ce n'est pas ce village que les bombardiers de la Royal Air Force entendent détruire cette nuit là mais un dépôt de munitions, situé à quelques kilomètres de là. Le bombardement de Bruz doit en effet être compris dans le cadre d'une opération massive, impliquant 400 avions à qui sont assignés des objectifs situés dans la région de Rennes mais également de Nantes, Tours et Salbris, dans le Loir-et-Cher. Le raid s'opère parfois dans des conditions très difficiles pour les alliés, la chasse allemande parvenant à abattre neuf appareils. Les conditions météorologiques ne sont pas nécéssairement optimales. A Bruz, c'est d'ailleurs la brûme qui, semble-t-il, est à l'erreur de la tragique méprise de l'aviation britannique.

Aujourd’hui encore la ville porte les stigmates de bombardement. L’architecture du centre-bourg ainsi que l’Eglise témoignent de l’ampleur des dégâts. En 1994, pour commémorer le cinquantenaire anniversaire du drame, un parc du souvenir et un monument sont érigés en plein cœur de la commune. Il est un lieu de recueillement que connaissent tous les Bruzois et, en s’y promenant, il n’est pas rare d’entendre un ancien évoquer cette sinistre nuit du 7 au 8 mai 1944.

Erwan LE GALL