Combats ou bataille des poches ?

L’ouvrage que Stéphane Simonnet consacre aux poches de l’Atlantique est de prime abord des plus classiques1. Après avoir traité dans un premier chapitre de leur formation à l’été 1944, l’auteur examine les différentes régions concernées par ces résistances allemandes et achève son propos par deux larges parties sur les forteresses bretonnes de Lorient (p. 215-241) et Saint-Nazaire (p. 243-288). Le récit est à la fois clair, vivant et détaillé et propose au lecteur une bonne synthèse de cet aspect encore trop largement méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Bretagne.

A Lorient, le cours de Chazelles en 1945.

Mais, là où ce volume se démarque assurément, c’est dans la manière d’aborder son sujet, au moyen d’une problématique forte et qui ne manquera pas d’être discutée. En effet, le propos de Stéphane Simonnet est d’interroger ces poches allemandes en se demandant si leur réduction est « une bataille, au sens où on l’entend communément » (p. 12), c’est-à-dire « un combat se déroulant sur un temps long, opposant des belligérants de plusieurs nationalités, dans des affrontements de tous types et de toutes tailles, sur un territoire étendu » (p. 13). Or si cette définition empruntée à Guillaume Picketty est séduisante – même si on pourra objecter que le critère d’internationalité fait peu de cas des batailles des guerres civiles – elle n’est toutefois pas sans poser problèmes.

Bien entendu, le récit proposé par Stéphane Simmonet n’en souffre aucunement et l’ouvrage, malgré la curieuse propension de l’auteur à assimiler la Bretagne à une « presqu’île » (p. 50 notamment), explore en profondeur son sujet. Particulièrement intéressantes sont à cet égard les pages consacrées à la transformation des troupes. Le passage des Forces françaises de l’intérieur aux troupes régulières ne se fait en effet pas toujours sans difficultés, les hiérarchies de la clandestinité n’étant pas toujours compatibles avec celles d’une armée « de droit » (p. 68).

Mais force est néanmoins d’admettre qu’il existe d’autres définitions de la bataille qui, elles, épousent moins bien les contours de l’argumentation de Stéphane Simonnet. Ainsi, l’historien Hervé Drévillon rappelle que « la bataille est un évènement par décret » et que « la reconnaissance même de son existence est un acte délibéré soumis à une véritable procédure »2. Confronter la réalité des poches à cette définition n’est pas une manière de jeter le discrédit sur les hommes qui y combattent lors de l’hiver 1944-1945 ni même de nier les souffrances des populations civiles qui s’y trouvèrent emprisonnées. Au contraire. C’est un moyen pour l’historien d’ordonnancer le réel afin de le rendre plus lisible. Et Hervé Drévillon de rappeler que « si l’infanterie, la cavalerie ou l’artillerie a été employée seule », alors on perlera de « combat » et non plus de bataille. De son côté, Stéphane Simonnet précise à propos de la poche de Lorient que si l’artillerie américaine y déploie une activité soutenue (1 140 tirs par jour), les sorties de l’infanterie, dont les moyens sont souvent limités, sont pour leur part assez rares (p. 234), ce qui ici ne manque pas d’interpeller.

En effet, l’expression de « bataille des poches de l’Atlantique » sonne familièrement aux oreilles alors qu’on l’a vu que le concept même peut être discuté. Or, un colloque tenu en 2012 à Rennes et dont les actes ont été publiés il y a quelques semaines, a montré que si la bataille est avant tout un fait d’armes, elle est néanmoins indissociable du récit qui en est donné, discours qui est, par bien des égards, une manière de poursuivre le combat3. Autrement dit, ici, plus que de savoir si les poches de l’Atlantique constituent effectivement ou non une bataille, c’est de savoir pourquoi celles-ci sont érigées en bataille – ce mot recouvrant dans le langage courant plus d’importance que celui de combats – qui importe. Ici, il est évident qu’un tel discours n’est pas sans convenir à une France qui, fraîchement redevenue républicaine, consolide ainsi son statut aux côté des alliés pour mieux faire oublier Vichy.

Carte postale. Collection particulière. Les bases sous-marines de Lorient et Saint-Nazaire sont essentielles pour comprendre la formation des poches allemandes.

En définitive, cette synthèse publiée par les éditions Tallandier est doublement bienvenue car non seulement elle aborde agréablement un sujet peu connu par le grand public mais, de surcroît, en adoptant une problématique singulière, elle offre le moyen de renouveler les questionnements sur cet aspect important de l’histoire de la Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Certes, la position de Stéphane Simonnet sera probablement discutée mais cet ouvrage rappelle que c’est en posant des questions que s’écrit l’histoire. Et il n’y a probablement pas de meilleur compliment à adresser à un ouvrage que de dire qu’il stimule la réflexion.

Erwan LE GALL

 

SIMONNET, Stéphane, Les Poches de l’Atlantique. Les Batailles oubliées de la Libération. Janvier 1944 - mai 1945, Paris, Tallandier, 2015.

 

 

1 SIMONNET, Stéphane, Les Poches de l’Atlantique. Les Batailles oubliées de la Libération. Janvier 1944 - mai 1945, Paris, Tallandier, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 DREVILLON, Hervé, Batailles. Scènes de la Table Ronde aux tranchées, Paris, Seuil, 2007, p. 11.

3 BOLTANSKI, Ariane,  LAGADEC, Yann et MERCIER, Franck,  La Bataille. Du fait d’armes au combat idéologique, XIe – XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.