Le Club des jeunes de Lanester en 1965

C’est un cliché rebattu de ne voir chez les jeunes vivant dans les quartiers urbains populaires qu’une masse désœuvrée et oisive. Pourtant, même dans une société où la défiance vis-à-vis des jeunes est forte – la France des années 1960 – ceux-ci sont capables de se mobiliser et d’organiser par eux-mêmes leurs temps de loisirs. C’est ce que nous montre un reportage de l’ORTF de 1965, parti à la découverte du Club des jeunes de Lanester1.

Groupe de jeune dans les années 1960. Collection particulière.

Depuis sa création en 1909, la ville de Lanester, située face à Lorient de l’autre côté du Scorff, attire en majorité les populations ouvrières. On y dénombre notamment beaucoup d’ouvriers de l’arsenal de Lorient. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la ville est très éprouvée. Les habitants sont évacués à partir de 1943. A la Libération, 80% de la ville est détruite. Il faut pourtant reloger au plus vite les familles sans logement et absorber une forte croissance démographique : 5 750 habitants en 1946, 11 737 en 1954 et 16 751 en 1962. Pour tenter de faire face à cela, 21 cités de baraques sont construites à Lanester, dont la cité Albert-Le Bail présentée dans le reportage. Cependant, cet habitat provisoire devient pérenne au fil des ans. Ainsi, en 1965, Lanester compte « 2 000 jeunes de moins de 20 ans : apprentis, vendeuses, marins du commerce, ouvriers » et ceux-ci n’ont connu que les baraquements. C’est dans ce contexte qu’une poignée d’entre eux décide de créer un Club des jeunes « construit de zéro sans aucune subvention financière […] au sous-sol d'une carcasse de béton qui est une école ».

Le but du club ? « Rencontrer des amis et faire des connaissances et approfondir nos connaissances culturelles et artistiques ». Le Club des jeunes de Lanester est donc un lieu d’éducation populaire construit et animé par les jeunes eux-mêmes. Il ne propose rien de moins que « 76 manifestations » dans l’année. Il y en a pour tous les goûts. Au début du reportage, on aperçoit un jeune déclamant une ode à la Bretagne par temps de tempête. D’autres, également en quête d’un « moyen d’expression » artistique font du théâtre. De l’aveu d’un jeune

« ceux qui le veulent s’y donnent complètement, à ce moment-là, il y a le feu sacré. [Mais] il y a une chose qui est bizarre, c'est qu'il y a beaucoup plus de filles qui veulent faire du théâtre que les garçons. »

Alors pour recruter des comédiens en herbe, « il faut vraiment aller à la pêche ». Le ciné-club attire également son public. Les séances de cinéma et l’atelier de montage apprennent ainsi à Michel, l’un des membres du club, « à aimer et à faire du cinéma ». Au club, les jeunes peuvent aussi se détendre à la cafétéria : boire un coup au bar ou jouer au flipper. Mais parmi toutes les activités du club, une recueille un succès particulier : le Tremplin. Cette scène musicale est ouverte à tous les jeunes et tous les styles musicaux. On y croise aussi bien des groupes reprenant les Beatles – alors à leur apogée –, de la chanson réaliste française, ou une reprise de Santiano, le tube d’Hugues Auffray. La notoriété du Tremplin est telle que plusieurs invités d’honneurs viennent rencontrer les jeunes de Lanester, dont Tino Rossi et Jacques Brel !

Les Beatles, préoccupation principale des jeunes de Lanester! Collection particulière.

Face au dynamisme et au succès rencontré par le Club des jeunes de Lanester, qu’en pensent les parents ? La femme de Jean Maurice, maire communiste de Lanester depuis 1953, mais qui précise n’intervenir dans le reportage qu’en tant que « mère de famille », trouve « qu'il faut soutenir et aider [le club] parce que ça occupe tous les jeunes évidemment et ils ont un but, quoi, de travailler et de s'instruire ». Un habitant de la cité Albert-Le Bail, père « d’une fille et d’un garçon » qui fréquentent le club, avoue quant à lui qu’à sa création, il « ne savait même pas ce que ça voulait dire » et que sa curiosité s’est arrêté à deux visites en après-midi. Pour autant, il n’hésite pas à laisser ses enfants y aller, pensant « [qu’] ils sont beaucoup mieux là qu'à courir sur les rues ». Cette attitude distante des adultes vis-à-vis  de cette institution semble rester en travers de la gorge des jeunes, notamment de ceux qui l’ont bâti de leurs propres mains  et qui dénoncent

« l'absence totale d'adultes qui s'intéressent à la question. Les parents nous renvoient bien les jeunes, ils envoient leurs enfants au club mais se désintéressent totalement de ce qui peut se passer au club. »

Au milieu des années 1960, on sent bien là les prémices d’une fracture générationnelle entre celle des parents qui ont connu la guerre et celle de leurs enfants nés lors du baby-boom d’après-guerre. Les germes de mai 1968 sont là : une jeunesse en quête de nouveaux horizons culturels qui se sent incomprise des adultes.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Les loisirs des jeunes à Lanester », ORTF, collection Connaissance de l’Ouest, 14/08/1965, en ligne.