Le kouign amann, une pâtisserie devenue symbole

Du haut des 30% de beurre et 30% de sucre qui le composent, le kouign amann a de quoi être le pire cauchemar des chasseurs de calories superflues. Pourtant, comme toute pâtisserie qui se respecte, cette spécialité bretonne apporte une indéniable dimension de plaisir à l’alimentation. Un reportage du 9 janvier 1965, diffusé dans l’émission Bretagne actualités sur l’ORTF, tente de percer les mystères de ce monument de la gastronomie bretonne, dans la pâtisserie douarneniste de M. Lemoine.

Carte postale. Collection particulière.

Douarnenez, le lieu n’est pas choisi au hasard. En effet, la tradition en fait le berceau du kouign amann. A l’instar de la « tarte des demoiselles Tatin », la légende semble se mêler à l’histoire de la création de la pâtisserie bretonne. Son inventeur serait le boulanger Yves-René Scordia, installé dans les années 1860 dans sa boutique de ce qui deviendra, plus tard, la place Gabriel Péri. Comme pour le dessert à la pomme solognot, le kouign amann serait né d’une recette loupée, mais transformée en un succès commercial. Nous ne jugerons pas ici de la véracité de cette histoire largement entretenue.

Toutefois, le boulanger de Douarnenez interrogé un siècle plus tard semble apporter un bémol à cette intuition d’un génie solitaire :  « [ce que l’on] appelait autrefois kouign, c'était un petit pain. Nous y avons ajouté du beurre pour en faire un gâteau ». Le kouign amann pourrait ainsi être une pâtisserie rustique utilisant une base de pain, à laquelle on incorpore un ingrédient abondant dans la région : le beurre, dont le nom en breton est amann. Ce même M. Lemoine repousse également l’idée d’un secret de fabrication ou d’une recette unique : « Chacun a sa façon de le faire. Chacun le fait à sa manière ». Et lui, il « le fabrique avec du bon beurre, de Porzay, et on mélange du sucre et on fait le tour de main ». L’ethnologue Patrick Hervé semble pour sa part rapprocher le kouign amann des gâteaux de noces qui étaient confectionnés au XIXe siècle en Cornouaille, lors des fêtes religieuses et des mariages. Il était alors d’usage d’offrir de grandes quantités de beurre, « en guise de don ou de signe d’amitié », dont une partie servait à la confection de gâteau.1

Le reportage tourné dans les premiers jours de l’année, période de l’Epiphanie, révèle également que le kouign amann semble être, ou avoir été, une version bretonne de la galette des rois. Effectivement, Annick, la vendeuse, propose à une cliente d’ajouter une « petite couronne » sur son gâteau afin qu’elle puisse « tirer les rois ». Cette cliente avoue être loyale à cette boulangerie et leur kouign amann depuis son enfance : « depuis toute petite je venais [en] chercher chez ton grand-père ». La raison de cette fidélité ? « il est bien croustillant [et] bien doré ! » Le goût, c’est bien là que réside le succès.

Carte postale. Collection particulière.

Un goût forgé par le beurre qui dégouline littéralement du gâteau encore tiède. Un beurre salé qui est, de nos jours, un élément identitaire breton, face à ceux qui consomment du beurre doux, ou – pire – de la margarine. Le kouign amann a tout, alors, pour devenir l’ambassadeur d’une Bretagne culinaire, au même titre que les crêpes et les galettes. Un pari plus que gagné, puisque ces dernières années, après avoir conquis le reste de la France, la pâtisserie bretonne connaît un véritable engouement aux Etats-Unis. Le 20 juin est même devenu le National kouign amann day à San Francisco. Du phare ouest, au far west donc…

Thomas PERRONO

 

 

1 HERVE Patrick, « Kouign amann », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves, Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 542.