Le quartier du Colombier à Rennes : avant-gardisme des Trente Glorieuses ou verrue urbanistique ?

S’il est un travail passionnant en histoire c’est bien de voir comment la perception d’un objet par les gens change au fil du temps. Ce qui est notamment le cas pour l’architecture et l’urbanisme. Le quartier du Colombier à Rennes, réalisé dans les années 1960-1970 alors qu’Henri Fréville – maire et historien de profession – cherche à projeter vers l’an 2000 la ville, illustre parfaitement ce changement de point de vue.

Avant. Carte postale. Collection particulière.

Comme nous le raconte un reportage des actualités régionales du 6 décembre 1972, l’ « opération Champ de Mars-Colombier » prend place sur les décombres de l’ancienne caserne du  Colombier, ainsi que sur les anciens faubourgs de la rue de Nantes. Un quartier largement insalubre, où le confort est encore très précaire au milieu du XXe siècle : près de la moitié des logements ne sont pas équipés de sanitaires.1 D’après l’un des responsables interrogés, l’emprise au sol du projet est de « 21 hectares opérationnels », sur lesquels on effectue une « opération de rénovation urbaine ». C'est-à-dire que l’on détruit le bâtit existant pour en reconstruire du neuf. En architecture, il ne faut pas confondre rénovation et restauration ! Il faut dire qu’à cette époque, on fait peu de cas des bâtiments existants. La reconstruction d’après-guerre a permis à un certain nombre d’architectes de partir d’une page blanche pour mettre en œuvre des formes architecturales et urbanistiques vues comme des utopies avant 1940.

C’est notamment le cas de l’urbanisme sur dalle, un concept inventé au tournant des XIXe et XXe siècles par l’architecte lyonnais Tony Garnier. Il imagine séparer les différentes fonctions urbaines : l’habitat, les activités commerciales, de service et de travail, ainsi que les circulations. Au Colombier, c’est bien ce type d’urbanisme que l’on met en pratique avec la « reconstruction sur les terrains libérés de 2 500 logements environ ainsi que l'aménagement de 50 000 m² de bureaux et environ également de 30 000 m² de commerce ». Les fonctions commerciales, administratives et culturelles s’y organisent autour du « forum qu'est la dalle centrale ». Cet espace de béton a également pour intérêt que les « hommes ne soient pas troublés par la mécanique », avec la relégation au sous-sol de plusieurs « kilomètres de voies souterraines pour les véhicules de tourisme, une voie express pour les véhicules utilitaires, [ainsi que] deux kilomètres de galeries de service ». En surface, le piéton est roi !

C’est là qu’intervient la dichotomie dans la perception du quartier Colombier qu’en a un acteur de l’époque, par rapport à celle d’un Rennais du XXIe siècle. Aujourd’hui, cet urbanisme est largement qualifié de froid, austère, bétonné, sans âme, bref une verrue  urbanistique… Alors que de l’aveu même d’Henri Fréville, le quartier a été pensé par le grand architecte Louis Arretche – par ailleurs reconstructeur, presque à l’identique, de Saint-Malo – dans une vision humaniste. Les logements y sont modernes et confortables, un « mobilier urbain de qualité » y a été installé, tout ceci pour « donner au Rennais de demain un cadre de vie qui lui permette de se rappeler qu'il est un homme. »

Après. Carte postale. Collection particulière.

En fait, face à l’espace historique de la ville haute, le quartier du Colombier-Champs de Mars est conçu comme un second centre-ville « moderne, adapté à [l’] expansion » d’une commune qui se veut « la capitale intellectuelle de l'Ouest, une métropole de recherche et un pôle d'animation régionale. » Le maire de Rennes précise par  ailleurs que ce « nouveau centre-ville » est amené à s’étendre vers le quartier de l’arsenal,  avec la construction  notamment de l’hôtel de police et de la Cité judiciaire. On peut alors se demander si la création de ces nouveaux quartiers à l’emplacement d’anciens faubourgs insalubres, espaces regroupant toutes les fonctions urbaines essentielles, n’ont pas engendré à leur insu la patrimonialisation et la muséification des centres-villes anciens…

Thomas PERRONO

 

 

1 AUBERT Gauthier, CROIX Alain, DENIS Michel (dir.), Histoire de Rennes,  Rennes, Apogée/PUR, 2006, p. 181.