Imaginer le Rennes de l’an 2000 en 1967

Au-delà de la nostalgie que suscitent les images en noir et blanc de la ville de Rennes, ce reportage des actualités régionales de l’ORTF intitulé « Rennes de l’an 2000 » est un reflet parfait de la société française – et bretonne – des sixties. On y voit même Henri Fréville, maire du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine entre 1953 et 1977, donner sa définition du « Rennes de l’an 2000 : un Rennes moderne, un Rennes travailleur, un Rennes humain ».

Une ville donnée à l'automobile. Carte postale. Collection particulière.

En 1967, la Reconstruction d’après-guerre est terminée. La France connaît alors une période d’expansion économique, que l’on a nommée a posteriori les Trente glorieuses. Le progrès, la science, la confiance en l’avenir sont des valeurs importantes de cette société des années soixante. C’est pourquoi l’an 2000 semble être une perspective motivante. Attention, pour  autant ce n’est pas un reportage de science-fiction. Aucune voiture volante n’est imaginée ici… C’est à un exercice de prospective que le téléspectateur est invité. Le développement de Rennes est planifié pour faire émerger une « agglomération fonctionnelle et nouvelle ». Une modernisation rendue nécessaire par un sentiment, dans la population rennaise, de « retard à rattraper ».

Une ville de Rennes voulue moderne notamment par son expansion urbanistique. Celle-ci est alors comprise comme relevant du progrès, de l’ordre naturel des choses pour une ville qui souhaite jouer un rôle national dans les années 1960 : « par rapport aux grandes villes de France comme Grenoble, je trouve que la ville de Rennes s'étend aussi bien que les autres villes. », nous dit un passant rennais. On imagine alors que l’agglomération rennaise atteindra « 500.000 habitants en l’an 2000 », contre 180.000 habitants en 1967. Une croissance démographique déjà à l’œuvre puisque la population a doublé depuis 1939 ! On assiste également à un changement d’échelle géographique, administratif, puisque l’on évoque désormais l’agglomération rennaise comme horizon d’expansion de la ville. Cette dernière déborde sur ses périphéries. Une « poussée subite » de l’urbanisation faite de « gigantesques îlots de constructions neuves, de building aux lignes futuristes, de tracés d'avenue rectilignes » qui remplacent « le paysage de la campagne d’Ille-et-Vilaine ». Un autre passant confirme cet état de fait : « La route que je prenais habituellement, c'étaient que des prairies il y a une dizaine d'années. Maintenant, il y a des maisons tout du long ». Cette urbanisation galopante nécessite la création d’infrastructures, notamment  pour la fourniture en eau potable des nouveaux habitants. Cela entraîne la pose de « 233 kilomètres de tuyauterie » et la construction « d’une usine d'épuration qui est une des plus importantes de France », avec ses « 140 kilomètres de canalisation ». L’étalement de la ville sur ses périphéries requiert de plus la création de réseaux de communications : « 38 kilomètres de rues nouvelles réalisées », la construction de voies rapides pour accéder plus rapidement à l’agglomération rennaise, le train dont la ligne depuis Le Mans a été électrifiée en 1965, mais aussi l’avion jugé « capital » par le journaliste pour le développement économique.

La place de la gare au début des années 1960. Carte postale. Collection particulière.

Le « Rennes de l’an 2000 » doit être également travailleur. Pour cela, la ville située « au centre d'une région éminemment agricole » se tourne vers les industries « dites de pointe » : « après Citroën, c'était Fairchild [fabricant de composants électroniques], c'était Antar [pétrochimie], puis le Centre Electronique d'Armement de Bruz, les zones industrielles de la route de Lorient et de Saint Grégoire »… Pour fournir une main d’œuvre hautement qualifiée à ces usines, il est nécessaire d’investir massivement dans la recherche et les universités. Dans une ville qui compte plus d’un tiers de moins de 30 ans, le nombre d’étudiants «  est passé de 7500 à près de 15 000 ». Il faut ainsi ouvrir « près de 700 classes » et « rajeunir les facultés ». « L'université changeait de visage et se voyait couronnée du complexe scientifique de Rennes, Baulieu », construit à la périphérie nord-est de la ville et occupé depuis 1965.

Malgré tout, « le Rennes de l’an 2000 » doit rester humain. Cela passe notamment par la capacité de la ville à répondre aux besoins de « la civilisation des loisirs » naissante. Pour assouvir cette quête de « bien-être » des Rennais des sixties comme ceux du futur, « les espaces verts sont nécessaires en même temps que les stades ou les centres culturels ». Une ville humaine également car, d’après le maire : « ce sont ces enfants qui sont notre préoccupation, notre souci et notre espoir. Tous nos efforts, actuellement, tendent à leur assurer l'avenir ».

La Vilaine vue du quai Aristide Briand, en 1960. Collection particulière.

Au final, si Rennes reçoit le « grand prix d'expansion de la ville française » en cette année 1967, c’est certainement parce qu’elle représente un archétype de la ville des Trente glorieuses : en pleine croissance urbaine, avec une activité économique et industrielle privilégiant les technologies « de pointe » et surtout parce qu’elle se tourne exclusivement vers l’avenir. Il est d’ailleurs savoureux de constater que l’évocation, au début du reportage, de l’histoire urbanistique de la ville depuis Condate – la ville gallo-romaine – ne laisse place à aucune volonté de patrimonialisation. Un désir pourtant devenu très fort dans « le Rennes de l’an 2000 », notamment depuis l’incendie du Parlement de Bretagne en 1994.

Thomas PERRONO