Trois jours de fêtes aériennes pour l’inauguration de l’aéroport de Rennes (28-30 juillet 1933)

Voler à la manière d’Icare est un vieux rêve devenu possible grâce aux exploits périlleux de pionniers tels que le breton Jean-Marie Le Bris. Mais c’est véritablement au XXe siècle que l’aviation prend son envol1. Les exploits de Louis Blériot, Roland Garros ou encore Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais suscitent l’admiration des foules qui se déplacent, nombreuses, pour admirer les champions lors de grands meetings. L’aviation est en effet en ce début de siècle un sport extrême, discipline dont les potentialités militaires ne sont pas encore reconnues par les états-majors. Le général Foch aurait ainsi déclaré en 1910, sur le plateau de Malzéville, à l'issue du Circuit aérien de l'Est: « Tout ça, voyez-vous, c’est du sport, mais pour l’armée l’avion c’est zéro »2.

Charles Lindbergh et son fameux Spirit of Saint-Louis. Library of Congress, LC-USZ62-22847.

Pourtant, c’est bien la Grande Guerre qui offre une nouvelle popularité aux aviateurs. Leur utilité dans le survol des tranchées et dans les reconnaissances contre l’ennemi, dans le cadre de la défense contre les sous-marins et surtout les épiques combats aériens encensés et romancés par la presse transforment les « as » en de véritables héros3.

La fin de la guerre et le retour à la vie civile est l’occasion pour ces derniers de s’envoler vers de nouveaux challenges, en défiant continuellement les capacités de leur machines. Le public est d’autant plus réceptif que les records sont nombreux et tombent très régulièrement. C’est ainsi avec un grand enthousiasme que Charles Lindbergh est accueilli le 21 mai 1927 au Bourget, suite à la première traversée de l’Atlantique sans escales.

A contrario, c'est dans la consternation que le public apprend, douze jours plus tôt, la disparition de Charles Nungesser et de François Coli, qui tentaient l’aventure dans l’autre sens…

C’est dans ce contexte que doit être compris le spectacle aérien qui accompagne l’inauguration, en juillet 1933, de l’aéroport de Saint-Jacques de la Lande, à quelques encablures seulement du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine. Pendant trois jours, la population rennaise peut admirer les nombreux champions qui peuplent les unes des quotidiens.

Une inauguration saluée par le passage du ministre de l’Air et du Tour de France aérien

Alors que le pilote australien Charles Ulm s’apprête à tenter une traversée de l’Atlantique au départ d’Irlande, quelques centaines de kilomètres plus loin, Rennes s’éveille le 28 juillet 1933 « dans le doux murmure des moteurs d’avions »4. Ces bruits – peu habituels pour recevoir tant d’éloges – annoncent l’inauguration du nouvel aéroport construit à Saint-Jacques-de-la-Lande sous l’impulsion de la ville de Rennes et de la Chambre des commerçants. Sa réalisation est révélatrice de la prise de conscience qu’un tel outil est désormais indispensable à la croissance économique d’une ville du fait du développement du transport aérien.

L’événement est de taille et justifie la présence d’un important cortège de notables : députés, sénateurs, militaires (dont le général Rivière, commandant par intérim la 10e région militaire), industriels, … Parmi eux, le plus célèbre est certainement le sous-secrétaire d’Etat au Conseil et maire de Saint-Malo, Guy la Chambre. Une telle représentation s’explique également par la venue du ministre de l’Air Pierre Cot qui a entamé, la veille, une tournée d’inspection dans de nombreux aéroports français5.

Sont également sur place un « bon millier » de spectateurs venus pour 5 francs profiter sous le soleil du spectacle offert par le passage du 3e Tour de France aérien. L’épreuve organisée par Le Journal est davantage une exhibition qu’une véritable compétition sportive. Déjà, d'une certaine manière, les prémices du sport-spectacle...

Projet d'implantation de l'aéroport de Rennes à Saint-Jacques de la Lande. Wiki-Rennes.

Le Tour de France aérien accueille des pilotes amateurs (médecins, industriels, avocat, huissier6 …) ainsi que des pilotes chevronnés et célèbres dont Maryse Hiltz, Henri Guillaumet – connu pour avoir survécu trois ans plus tôt à un crash dans la Cordillère des Andes –, et surtout l’un des « as » de la Grande Guerre, Dieudonné Costes. Ce dernier est le premier homme à avoir accompli la traversée de l’Atlantique sans escale de l’Europe vers les Etats-Unis en septembre 1930. Autre vedette, le commissaire général du Tour de France aérien n’est autre que Marcel Haegalen, connu du grand public pour ses exploits face aux Allemands durant la guerre.

Plus surprenant, on remarque en examinant le profil des concurrents la grande modernité de ce sport du fait de sa… mixité ! Sur les 67 participants, 13 sont des femmes. Il faut dire que les pionnières sont nombreuses et parviennent parfois à accomplir des exploits qui échappent aux hommes. Atteints dans leur virilité, certains, semble-t-il, saboteront même l’avion d’Adrienne Bolland, pilote féminine dont on reparlera plus tard. Discipline dangereuse, l'épreuve l'est tout autant comme le rappelle la tragique disparition de deux aviateurs lors de l'étape de Biarritz quelques jours plus tôt.

Pierre Cot, ministre de l'Air en 1933 dont Jean Moulin sera un proche collaborateur. Wikicommons.

Dès 10 heures, les premiers avions apparaissent à l’horizon. Au milieu de la flotte se distingue un monoplan Moran accompagné de deux avions militaires. A bord de l’appareil qu’il pilote lui-même, se trouve Pierre Cot, jeune – il n'a que 37 ans – et dynamique ministre de l’Air. Son atterrissage déclenche immédiatement La Marseillaise jouée par la musique du 41e  régiment d’infanterie, amplifiée nécessairement par les haut-parleurs sans lesquels l’hymne national ne pourrait se distinguer du brouhaha offert par les moteurs. Pierre Cot se plie alors aux exigences de sa charge. Il serre quelques mains, porte un toast au nouvel aéroport puis repart rapidement – non sans offrir au public quelques pirouettes – en direction de Dinan, tout comme les concurrents du Tour de France aérien.

Puis les 200 convives prennent place pour un banquet qui commence par un émouvant hommage à Joseph Le Brix, aviateur morbihannais disparu deux ans plus tôt, et dont le nom est symboliquement choisi pour désigner le nouvel aéroport. Puis à l’émotion succède la tranquillité d’un repas musical que vient seulement perturber la reprise en cœur par l’assemblée de la très populaire chanson de Théodore Botrel La Paimpolaise. Le public profite quant à lui des démonstrations de planeurs durant l’après-midi. Pour les plus aisés, il est possible contre 50 francs d’effectuer son baptême de l’air aux côtés d’un pilote aguerri Maurice Finat. Pour les autres, la chance permet parfois de décrocher un des précieux sésames dissimulés dans les pochettes-surprises vendues sur le site pour la somme plus convenable d’un franc.

L'aéroport de Rennes quelques années plus tard, au début de la Seconde Guerre mondiale. Wiki-Rennes.

Une deuxième  journée consacrée aux démonstrations et aux baptêmes de l’air.

Le samedi, l’orage et la pluie s’invitent aux cérémonies et laissent présager une triste journée. Et pour cause, les avions du Rallye Aérien ne peuvent rejoindre Rennes et l’on craint qu’il en soit de même pour les participants du meeting prévus le lendemain. Avec l’arrêt de la pluie, une éclaircie vient redonner le sourire au public qui voit arriver avec plusieurs heures d’avance le « virtuose du vol sans  moteur », l’Autrichien Robert Kronfeld7 accompagné de son précieux remorqueur, l’Allemand Henkelmann8. Son avance lui permet ainsi de proposer une première représentation acrobatique dès l’après-midi.

Il en va de même pour Adrienne Bolland qui profite d’être sur place pour proposer une série de loopings et de tonneaux sous les yeux ébahis du public rennais. Cette pionnière de l’aviation est connue comme étant la première femme ayant traversé la Manche au départ de France puis pour avoir vaincu la Cordillère des Andes. Elle fréquente assidûment les meetings aériens dont elle est régulièrement une des têtes d’affiche. Enfin, elle est célèbre pour son engagement en faveur du droit de vote pour les femmes mais également, plus tard, pour ses actes de Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

Toutes ces démonstrations s’effectuent au milieu du va-et-vient de l’avion de Maurice Finat qui trouve de nombreux candidat au baptême de l’air.

Le clou de l’inauguration : le meeting

La journée du dimanche commence naturellement par des cérémonies religieuses données en hommage à Joseph Le Brix et à tous les pilotes morts en activité. La première a lieu à la cathédrale de Rennes en compagnie d’une importante assemblée de personnalités civiles et militaires. Puis, la démarche œcuménique de la manifestation conduit le cortège pour une seconde cérémonie au temple protestant 9.*

C’est sous un soleil radieux que les activités aériennes peuvent reprendre. 20 000 personnes se sont ainsi données rendez-vous à l’aéroport pour assister au grand meeting.

Adrienne Bolland. Wikicommons.

Le succès populaire est facilité par la mise en place de trains spéciaux qui permettent à tous les curieux de se déplacer10. L’après-midi est agrémentée par une série de disciplines tout autant surprenantes que fascinantes : le rallye aérien dont le but est de retrouver à travers la campagne rennaise des croix blanches construites en « étoffe » sur le sol ; le concours d’Air-Polo qui consiste à crever des ballonnets lancés préalablement…

Puis, après la démonstration du 31e régiment d’aviation de Tours, les attractions les plus attendues commencent. Les acrobaties menées par Adrienne Bollant, Maurice Finat, Charles Froissart, Charles Kronfeld et Jérôme Cavalli enthousiasment le public. Enfin, c’est au tour du réputé Vassard de s’élancer. Suspendu dans le vide au bout de son trapèze, ce dernier exécute un numéro spectaculaire qu’il conclue par un non moins impressionnant saut en parachute. L’apothéose de trois journées mémorables pour les Rennais.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Sur le sujet, voir à l'échelle de la Bretagne, LE ROY, Thierry, Les Bretons et l'aéronautique. Des origines à 1939, PUR, Rennes, 2002, 530 p.

2 La citation, bien connue est reprise dans de nombreux ouvrages, sans que la source ne soit pour autant vérifiée. On peut ainsi citer ESTIENNE MONDET, Arlette, Le général J.B.E Estienne - père des chars: Des chenilles et des ailes, L’Harmattan, Paris, 2011,  p. 35

3 Ce qui est vrai du côté français avec Roland Garros – à titre posthume –, l’est tout autant du côté allemand. Hermann Göring y a ainsi gagné une importante popularité qui lui est utile au sortir de la guerre, D'ALMEIDA, Frabrice, La vie mondaine sous l'Occupation, Perrin, Paris, 2008; p. 50.

4 LORANZ, Yann, « Sous le signe des Ailes. L’aérodrome de Saint-Jacques-de-la-Lande a été inauguré hier par M. Pierre Cot, ministre de l’Air », L’Ouest-Eclair, n°13414, 29 juillet 1933, p 6.

5  « Le Tour de France des avions », L’Ouest-Eclair, n°13413, 28 juillet 1933, p. 4.

6 BENDER, Jacques, « Ce que sont les concurrents du Tour de France aérien », L’Ouest-Eclair, n°13415, 30 juillet 1933, p. 7.

7 Robert Kronfeld, juif, s'enfuit au Royaume-Uni peu de temps après le meeting de Rennes. Durant la Seconde Guerre mondiale, il combat au sein de la Royal Air Force.

8 « La deuxième journée des fêtes aéronautiques. Contrariés par le mauvais temps, les avions du Rallye Aérien n’ont pu gagner le terrain de Saint-Jacques », L’Ouest-Eclair, n°13415, 30 juillet 1933, p. 6.

9 « Un meeting populaire qui connut le plus grand succès a clôturé les fêtes organisées pour l’inauguration de l’aéroport de Rennes-Saint-Jacques », L’Ouest-Eclair, n°13416, 31 juillet 1933, p. 6.

10 « C’est aujourd’hui que commencent les grandes fêtes aéronautiques de Saint-Jacques-de-la-Lande », L’Ouest-Eclair, n°13413, 28 juillet 1933, p. 5.