Montparnasse, capitale de la Bretagne

Que faire à Paris au mois d’août alors que l’opération Paris Plages n’a pas encore été inventée ? C’est à cette épineuse question que s’attaque Jacques Martin, alors jeune présentateur de l’ORTF. Celui qui ne fait pas encore chanter nos chères têtes blondes, propose aux Parisiens, en plein cœur de l’été 1969, de venir humer un air iodé dans le quartier Montparnasse, déclaré « capitale de la Bretagne ».

Carte postale. Collection particulière.

Pour lui servir de guide dans cet îlot breton dans la capitale, Jacques Martin nous présente « Monsieur l’ambassadeur ». Sous ce titre autant pompeux qu’humoristique, se cache peut-être Jean Le Guellec, administrateur de la Maison de la Bretagne et président de Gaz de France de 1949 à 1969. Ce natif des Côtes-du-Nord est bien implanté au sein de la « colonie » bretonne de Paris puisqu’il est également membre de l’Association des Enfants des Côtes-du-Nord, supporter de l’Union sportive des Bretons de Paris et créateur de l’Association des cadres bretons en 1962.1

Cette Maison de la Bretagne, créée en 1953 à l’initiative des associations qui structurent la diaspora bretonne en région parisienne, prend place en plein cœur de Montparnasse. Un quartier en plein restructuration dans ces années 1960, puisqu’il voit la destruction de l’ancienne gare, ce qui permet à Jacques Martin de sentir « l’air de la Bretagne arriver directement par le boulevard de Vaugirard », ainsi que le début des travaux de la Tour Montparnasse au même endroit.  La nouvelle adresse des Bretons à Paris se trouve donc 3, rue du Départ, à l’étage au-dessus de la brasserie « Dupont tout est bon ».2 Notons qu’aujourd’hui il existe toujours une Maison de la Bretagne dans la capitale. Elle prend place depuis 2007 au n°8  de la rue de l’Arrivée – de l’autre côté de la gare Montparnasse –, après avoir été située boulevard Saint-Germain. En revanche, on notera que d’initiative individuelle, elle est devenue un organisme institutionnel puisqu’elle est portée par la région et les cinq départements de la Bretagne historique.

Annick Burban, élue Duchesse des Bretons de Paris 1963 et ses demoiselles d'honneur. Carte postale de la Fédération des Sociétés bretonnes de la région parisienne. Collection particulière.

Pour l’administrateur, la Maison de la Bretagne poursuit un double objectif. C’est tout d’abord une vitrine de la région dans la capitale, le lieu « où l’on respire déjà la Bretagne ». Il faut « donner envie d’y aller » aux Parisiens. Jean Le Guellec cite notamment « la Côte de granit rose, Dinan et la Rance » et « Pleumeur-Bodou », bourg rural devenu cité des télécommunications au début de la décennie. Une Bretagne moderne donc, mais aussi « le pays des légendes », où la pluie n’est en fait qu’un « aérosol iodé gratuit ». La langue bretonne est également vécue comme actuelle puisque deux collaboratrices de « l’ambassade » la parle, mais l’on n’oublie pas de l’ancrer dans le folklore avec la chanson du « barde Milbeo ». Les produits régionaux sont aussi mis à l’honneur : des « krampouezh » (les crêpes), jusqu’au muscadet des bords de Loire.

Mais la Maison de la Bretagne est aussi un lieu d’accueil pour les Bretons qui vivent à Paris, ceux « qui ont le mal du pays ». Cette « colonie » bretonne aurait carrément « annexé le quartier Montparnasse ». Les Bretons sont également présents dans les 17e et 18e arrondissements, selon les mots de « l’ambassadeur ». Jean Le Guellec explique à Jacques Martin les origines de cette présence importante des Bretons dans la capitale : des terrassiers venus par milliers au XIXe siècle pour poser les voies de chemin de fer ; jusqu’à la nouvelle génération des années 1960 qui « monte » à Paris pour accéder à des postes à responsabilité et ainsi connaître une ascension sociale.

Carte postale. Collection particulière.

Une « colonie » bretonne qui a ses propres structures à Paris. Sur le plan religieux, avec la paroisse Notre-Dame-des-Champs, où l’on célèbre un pardon en l’honneur du père Maunoir.3 Mais également sur le plan associatif, puisque l’on aperçoit dans le reportage de Jacques Martin la devanture de l’Union des Sociétés Bretonnes de l'Ile-de-France, située au n°19 de la rue du Départ. C’est l’une des plus importantes associations des Bretons à Paris, qui se revendique laïque, proche des communistes et du journal Le Pays breton. Elle fait face notamment à la Fédération des Bretons de Paris, mais surtout à la Mission bretonne gérée par le clergé.

Au final, ce reportage, pourtant traité sur un ton badin, montre bien le rôle complexe que se donnent les Bretons de Paris : être à la fois les ambassadeurs de leur « pays » dans la capitale, mais également une « colonie » qui cherche à se donner des structures afin de ne pas se diluer dans la masse des nouveaux arrivants dans la capitale.

Thomas PERRONO

 

1 TARDIEU, Marc, Les Bretons de Paris : de 1900 à nos jours, Monaco, éd. du Rocher,‎ 2003, p. 133.

2 Ibid., p.134.

3 Rectifions l’affirmation de Jean Le Guellec : si le père Maunoir est bien venu faire des missions en Basse-Bretagne, c’est au XVIIe siècle et non « au XIIe ou au XIIIe siècle ».