Passer le bachot en breton

L’école et la langue bretonne : une relation compliquée, s’il en est ! D’un côté, il est courant de voir la politique scolaire de la Troisième République comme l’un des principaux vecteurs du reflux du nombre de locuteurs au début XXe siècle. Mais d’un autre, après la Seconde Guerre mondiale, c’est par l’école que s’engage en grande partie la transmission du breton vers les jeunes générations.1

Candidate au baccalauréat en plein travail. Collection particulière.

Dans un reportage en langue bretonne diffusé le 1er juillet 1971 sur la télévision régionale dans l’émission Breiz o veva, Armand Keravel, l’un des plus fervents promoteurs de l’enseignent du breton, s’exprime sur la possibilité offerte aux lycéens de préparer une option de langue bretonne pour le baccalauréat. Dès 1933, il participe au  mouvement Ar Falz – incarné notamment par Yann Sohier – et est un proche du leader communiste d’origine paimpolaise Marcel Cachin. Après la Seconde Guerre mondiale et son engagement dans la Résistance, il s’investit à nouveau pour la reconnaissance de la langue bretonne à l’école, à travers notamment l’entente culturelle Emgleo Breiz fondée en 1953.

Si, dès 1951, la loi Deixonne autorise un enseignement facultatif du breton au lycée, aux côtés du basque, du catalan et de l’occitan, cette offre ne rencontre dans un premier temps qu’un intérêt limité. En effet, Armand Keravel explique au journaliste Fañch Broudic – grande figure de la télévision régionale en langue bretonne – que jusqu’en 1969, seuls 150 à 180 candidats choisissent cette option chaque année (2’50’’). Cependant, les années 1970 marquent un tournant. Désormais les points au dessus de la moyenne obtenus lors de l’épreuve de langue régionale rentrent en compte dans la note finale du baccalauréat. De quoi motiver un grand nombre de lycéens ! C’est ainsi qu’ils sont désormais 798 candidats en 1971. L’épreuve consiste en une lecture d’un texte en breton, suivi d’une conversation avec l’examinateur (1’55’’). D’ailleurs à écouter ces jeunes, leurs motivations sont limpides et terre-à-terre : faciliter leur obtention du précieux sésame.

Au début des années 1970, l’enseignement scolaire de la langue bretonne n’est pas encore bien structuré. Une grande impression d’amateurisme et de débrouillardise ressort de ce reportage. Un lycéen explique qu’il a suivi « le cours d’un bénévole, monsieur Stéphan, à l’école tous les jeudis » (40’’). Un autre candidat renchérit en disant qu’il a « un peu appris le breton à l’école, mais pas tant que ça » (2’12’’.) Il a suivi des cours de mars à juin, à raison d’une heure de cours par semaine, soit à peine plus de 16 heures d’enseignement du breton. Mais comment peut-on maîtriser une langue en si peu de temps ? D’autant plus qu’une examinatrice avoue que le « niveau de breton est bon ». (2’05’’). Un futur bachelier explique qu’il « a l’habitude de parler breton à la maison avec [ses] parents et les voisins. Pendant la moisson, au mois d’août, [il a] beaucoup parlé breton » (2’12’’). Un apprentissage de la langue en immersion donc.

Alan Stivell en 1971. Photographie originale de presse. Collection particulière.

Ce regain d’intérêt pour la langue régionale peut également se lire à l’aune du renouveau de la culture bretonne des années 1970. Le breton, pour cette jeune génération, n’est en grande majorité plus la langue maternelle, comme c’était le cas pour la génération des parents. La maîtrise de cette langue devient donc un signe fort de bretonnité. Toutefois, on peut se demander si les chansons d’Alan Stivell – qui enflamme l’Olympia en 1972 – ne sont pas une meilleure motivation pour apprendre le breton, plutôt que quelques points supplémentaires au baccalauréat…

Thomas PERRONO

 

1 BROUDIC Fañch et FAVEREAU Francis, « Langue », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves (dir.), Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, pp. 562-566.