Pavillon 10 : l’épidémie de variole vannetaise portée à l’écran

La menace de contamination de la grippe dite H1N1 qui gagne la France lors de l'hiver 2009 montre combien la crainte d'une pandémie mortelle est toujours présente dans notre société.  Souvent, cette peur renvoie aux épidémies médiévales apprises sur les bancs de l'école. Pourtant, il n'est pas utile de remonter aussi loin dans le temps.

Lors de l'hiver 1954-1955, un soldat vannetais ramène d'Indochine un passager indésirable : la variole. L'épidémie est meurtrière et marque la société de l'époque. Mais, la mémoire est sélective et l'évènement quelque peu oublié. Peu de travaux universitaires évoquent malheureusement le sujet1. On se réjouit dès lors de l’initiative de Philippe Baron et de Christophe Cocherie de porter (avec succès) à l’écran ce morceau d’histoire. En Envor profite de la projection, en avant-première  hier au Palais des Arts de Vannes, de ce documentaire de 52 minutes pour revenir sur ce moment douloureux de l'histoire bretonne.

©  Vivement Lundi ! / Blink Productions / TVR / TyTélé / Tébéo

Au milieu de XXe siècle, la variole est un lointain souvenir chez les Bretons. Encore active en Asie du Sud-Est, elle est pourtant rapportée dans les bardas de militaires français d’Indochine. En 1952, des cas suspects provoquent la vaccination de 570 000 Marseillais. Si trois décès sont attribués à la « petite vérole » cette même année, les autorités sanitaires pensent le danger définitivement écarté suite à la signature des accords de Genève, le 20 juillet 1954. Pourtant, c’est bien en décembre 1954 qu'une redoutable épidémie se déclenche en Bretagne.

La variole à Vannes : une épidémie meurtrière

Roger Debuigny, sergent parachutiste de l'armée française est rapatrié de Saïgon le 11 novembre 1954. Une tuberculose pulmonaire le retient en effet tardivement dans l'ancienne possession territoriale française. Bien que vacciné, il y contracte la variole et contamine, à son retour, son fils Daniel, âgé de seulement 18 mois. Le 7 décembre, les parents s’inquiètent d’une violente éruption cutanée chez leur enfant. Ils consultent alors leur médecin traitant Jacques Morat qui, impuissant, fait appel aux conseils du pédiatre Georges Cadoret.  Ces derniers hospitalisent l’enfant sans pour autant imaginer un quelconque risque de contagion.

L'histoire prend une nouvelle tournure le 21 décembre lorsque Georges Cadoret ressent des symptômes qu’il pense grippaux. Puis, rapidement, le service pédiatrique est touché par une étonnante crise de varicelle qui contamine de jeunes patients et une aide-soignante. Intrigué par cette curieuse contagion, Georges Cadoret se documente et, le 31 décembre, met enfin un nom sur cette mystérieuse épidémie : la variole. Il contacte dès le lendemain Guy Grosse, médecin inspecteur de la Direction départementale de la santé du Morbihan. Préventivement, le service pédiatrique est consigné. Le 3 janvier, les résultats de l’Institut Pasteur confirment le diagnostic : il s'agit bien de la variole. Trop tard, un nourrisson de six mois décède ce même jour. En attendant la mise en place d’une campagne de vaccination2 et en raison de l’extrême contagiosité, des mesures préventives sont prises à l’hôpital Chubert : le personnel est alors consigné sur place, les visites aux malades sont interdites …

©  Vivement Lundi ! / Blink Productions / TVR / TyTélé / Tébéo

Le 6 janvier débute la campagne de vaccination organisée par Guy Grosse. Au total, 250 000 Bretons sont vaccinés. Les malades porteurs des symptômes de la variole sont quant à eux pris en charge dans le Pavillon 10 de l’hôpital Chubert. Parmi ces patients, on retrouve Guy Grosse, pourtant vacciné. Ce dernier décède le 24 janvier à l’âge de 44 ans. Trois jours plus tard il reçoit, à titre posthume, la Légion d’honneur : il est fait chevalier par le président du Conseil, Pierre Mendès France.

La panique gagne la France. Et pour cause, l’affaire est largement médiatisée. Le populaire Paris-Match, fidèle à sa ligne éditoriale concernant le poids des mots, évoque « des trains entiers de cercueils arrivant sur Vannes ». Le magazine Radar, quant à lui, publie en couverture la photo du petit Daniel Debuigny ... La découverte de la variole chez une Brestoise et l’annonce successive dans la presse de nombreux décès (16 décès à Vannes, 4 à Brest) n’arrangent en rien ce climat d’inquiétude. Pourtant, les cas de variole connaissent un net recul dès la fin du mois de janvier. Le 20 mars l’épidémie est officiellement stoppée à Vannes. Elle l'est également le 11 mai à Brest. Au total, 98 cas de varioles sont recensés lors de cette dernière épidémie enregistrée sur le territoire français.

Pavillon 10, au cœur de l'épidémie

A l'issue des 52 minutes de ce film, le bilan est extrêmement positif. Christophe Cocherie nous plonge avec réussite dans ce tragique hiver 1954-1955. Un pari difficile tant les sources sont lacunaires. L'historien apprécie en premier lieu la documentation méticuleuse du réalisateur. En effet, un véritable travail de recherche a été effectué à cette occasion, principalement dans les fonds d’archives du Centre hospitalier de Chubert et aux Archives départementales du Morbihan. Ce dernier est conforté par des témoignages précieux, notamment celui très émouvant de l'épouse de Guy Grosse. La démarche menée conforte la réussite historique d’un tel projet (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas).

©  Vivement Lundi ! / Blink Productions / TVR / TyTélé / Tébéo

La réalisation est remarquable. Il est toujours risqué de recourir à des acteurs pour le manque d'archives audiovisuelles (une seule source disponible auprès de l'INA) mais le pari s’avère ici largement réussi. Les scénettes sont subtilement intégrées au récit et ne perturbent pas l'objectivité du reportage. Il en va de même de l'usage des images des films Paris en flânant de Louis Martin et Nord Vietnam 1946-1952 de Sigismond Michalowski.

            Centré sur l'équipe médicale, les auteurs font ouvertement le choix de montrer comment le personnel hospitalier consigné dans le Pavillon 10 traite l'épidémie. La trame chronologique montre l'évolution de la psychose qui touche progressivement Vannes, le Morbihan, la Bretagne, la France et, dans une moindre mesure, l'international puisque des médecins britanniques et américains se déplacent à Vannes.

Diffusé en septembre dernier sur Ty Télé/TébéSud et Tébéo le film passe sur la chaine histoire le 14 janvier prochain puis pendant toute la semaine qui suit. Un excellent documentaire, à ne rater sous aucun prétexte, comme en atteste ce témoignage inédit que nous avons récolté il y a quelques semaines. Enfin, rappelons que le Le DVD est enfin disponible pour la somme raisonnable de 15€ sur le site de la société ayant produit ce remarquable documentaire, Vivement Lundi.

Eradiquée officiellement en 1977, la variole semble aujourd'hui un lointain souvenir. Pourtant, comme le souligne les auteurs du film, les autorités françaises conservent des vaccins au cas où …

Yves-Marie EVANNO

 

1 On se permettra de renvoyer à GOURSOLAS,  François, « Une épidémie de variole en Bretagne 1954-1955 », Bulletin des Amis de Vannes, n° 22, 1991, p. 99-108.

La variole est d'autant plus dangereuse qu'il n'existe pas de traitement. Le seul moyen efficace de la combattre est de se vacciner préalablement (renouvelable tous les dix ans). La quasi disparition du virus a entrainé une certaine négligence en 1954 offrant un terrain de diffusion propice.